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Actualités - REPORTAGES

Procès Karamé - Reconstitution de tous les éléments du gigantesque dossier Badawi Abou Dib à la Cour de justice : ne faites pas de Matar un bouc émissaire (photo)

C’est dans un bien long chemin que Me Badawi Abou Dib a entraîné hier la cour en retraçant le parcours de son client, le brigadier inculpé Khalil Matar. Les heures filent et les pages de l’immense plaidoirie se tournent lentement. Mais les personnes présentes ne se lassent pas d’écouter ce brillant avocat défendre avec les mots de la loi, mais aussi de la raison et du cœur, celui dont l’innocence ne fait à ses yeux aucun doute. Pourtant, de simple témoin (c’est ainsi qu’il s’est cru lorsqu’il a été convoqué par les services de renseignements de l’armée libanaise le 15/7/97), le brigadier est devenu dans l’acte d’accusation un complice de l’assassinat du Premier ministre Rachid Karamé, avant de se transformer dans le réquisitoire du procureur général en acteur direct, passible de la peine capitale. Avec la patience d’une fourmi et le talent d’un romancier, Me Abou Dib reconstitue devant l’assistance tous les éléments du gigantesque dossier afin d’essayer de faire partager à la cour ses convictions. Et, contredisant les prévisions du président Honein qui espérait achever hier les plaidoiries des avocats du brigadier, il parle pendant plus de six heures. MM. Chaker Abousleimane et Rachad Salamé – qui défendent aussi Matar – devront donc attendre cet après-midi pour prendre la parole. Evitant les pièges de la politique, Abou Dib se contente de reprendre les faits réels ou «rajoutés» selon sa propre expression, pour tenter de démonter une à une les preuves accumulées contre son client. Mais il a un tel talent d’orateur que la salle l’écoute sans broncher, Samir Geagea en oubliant même de lancer ses habituels baisers à son épouse. Seul l’inculpé Antoine Chidiac qu’Abou Dib traite de menteur et de personnage retors qui joue l’imbécile lorsque cela l’arrange, tente à plusieurs reprises de protester. Et comme le président le fait taire, il demande alors à aller aux toilettes. Abou Dib commence par dresser un portrait du brigadier, cet homme complexe qui pendant des audiences entières a constitué un véritable casse-tête pour les magistrats et les avocats. Il insiste sur sa famille chrétienne (réellement dit-il et non dans les apparences), originaire de la bourgade de Naamé, connue pour sa tradition d’ouverture et de tolérance. L’avocat raconte ensuite comment alors qu’il avait commencé des études de droit, l’appel du drapeau lui fait tout abandonner au profit d’une brillante carrière militaire, marquée, selon lui, par l’attachement à l’unité de l’armée et par de mauvaises relations avec celui qui était à l’époque du drame (le 1er juin 1987) le responsable du service des renseignements, le brigadier Simon Kassis. Entre les deux hommes, le conflit a commencé, d’après le récit d’Abou Dib, en 1975, lorsque Kassis, alors commandant de la base de Kleyate a quitté celle-ci, alors que son subordonné, Khalil Matar est resté sur place. Toujours selon Abou Dib, lorsqu’il est devenu en 1983 commandant de la base de Halate, Matar a empêché celle-ci de tomber sous le contrôle du service de renseignements dirigé par Kassis, comme ce fut le cas de la base d’Adma, d’où, rappelle l’avocat, est parti l’hélicoptère piégé à bord duquel Karamé a été tué. Abou Dib se lance ensuite dans le vif du sujet. Selon lui, son client n’était au courant de rien lorsque ce triste lundi 1er juin 1987, il s’est rendu au domicile de Ghassan Touma à Fatka, muni de son poste radio, le fameux «Genav». Tout au long des deux cents pages de sa plaidoirie, Abou Dib va essayer de montrer que le rôle du brigadier était celui du témoin malgré lui, et que, de toute façon, il n’avait aucun mobile pour participer à un tel crime. Une somme dérisoire Évoquant les sommes que Matar, de son propre aveu, recevait du chef du service de sécurité des FL dissoutes, plus ou moins régulièrement, Abou Dib précise que celles-ci se sont élevées à 2000 dollars américains pour une période de deux ans. «Une somme dérisoire, précise-t-il, que Matar a utilisée pour aider ses soldats en difficulté. Ce n’est certes pas pour 2000 dollars qu’il allait tuer Karamé !». Ses bonnes relations avec les FL ne pourraient-elles pas constituer un mobile suffisant ? L’avocat rappelle à ce sujet que Matar a noué des relations de bon voisinage avec les FL à la demande de ses supérieurs. Mais tout au long des années de guerre, il n’a jamais rencontré le chef de la milice, Samir Geagea, en tête à tête. À ce stade des développements, Abou Dib s’insurge contre ce qu’il appelle les rajouts, «des petits mots en apparence anodins» ajoutés aux réponses de son client, lors de l’enquête préliminaire et qui modifient totalement le sens de ses propos. Ces mots ont servi, selon Abou Dib, de base à l’inculpation de Matar dans l’acte d’accusation établi par le juge Georges Ghantous. Passant ensuite aux éléments matériels, l’avocat reprend les dizaines de dépositions qui, selon lui, montrent que le poste «Genav» n’a été d’aucune utilité pour l’identification de l’hélicoptère piégé. Il dément aussi les allégations de l’inculpé Antoine Chidiac qui avait affirmé que Matar avait participé à une mission de préparation de l’attentat destinée à tester le fonctionnement de la radio commande, en survolant avec son avion le bateau à bord duquel se trouvaient Touma et ses compagnons. Il nie aussi les propos du témoin José Bakhos qui avait affirmé avoir vu Matar sortant du bureau de Touma, la veille du drame, muni d’un colis. Pour Abou Dib, les seuls faits établis sont la rencontre avec Touma vers la mi-mai, lorsque celui-ci lui annonce que les SR de l’armée avec d’ex-FL hostiles à Geagea s’apprêtent à tuer Karamé. Le 30 mai, Touma l’appelle chez lui et lui demande s’il est intéressé à connaître les derniers développements dans l’affaire dont il lui avait parlé. Comme Matar répond par l’affirmative, il lui demande de venir chez lui le lundi matin, 1er juin. Tous les autres détails ne sont pas prouvés selon Abou Dib. Il ajoute enfin que pour être le complice d’un crime, il faut accomplir une action quelconque soit dans sa préparation, soit dans son exécution soit pour en effacer les traces. Il faut aussi, avant tout, que l’action soit prévue par la loi, car en matière pénale, les textes sont interprétés de manière restrictive. Il conclut ce qu’il appelle la plus longue plaidoirie de sa carrière en demandant à la cour de ne pas faire de Matar un bouc émissaire ou de le punir par défaut, à la place du poseur de la bombe qui n’a toujours pas été identifié. Plus de six heures de plaidoirie suffiront-elles à convaincre la cour ? Il faudra attendre le jugement pour le savoir.
C’est dans un bien long chemin que Me Badawi Abou Dib a entraîné hier la cour en retraçant le parcours de son client, le brigadier inculpé Khalil Matar. Les heures filent et les pages de l’immense plaidoirie se tournent lentement. Mais les personnes présentes ne se lassent pas d’écouter ce brillant avocat défendre avec les mots de la loi, mais aussi de la raison et du...