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Actualités - REPORTAGES

Jurisprudence - Les ministres ne bénéficient plus de l'immunité La Cour de cassation déclare la justice ordinaire compétente pour juger Barsoumian

Sans tambour ni trompettes, la Cour de cassation a inauguré hier une nouvelle jurisprudence, faisant entrer la justice au Liban dans une nouvelle ère. En rejetant les pourvois présentés par les avocats de l’ancien ministre Chahé Barsoumian et en déclarant la juridiction de droit commun compétente pour juger son cas, cette cour fait carrément tomber l’immunité traditionnelle qui protégeait jusqu’à présent les ministres pendant l’exercice de leurs fonctions et provoque une sorte de révolution blanche dans la pratique judiciaire. Lorsqu’il y a quelques mois, le procureur général près la Cour de cassation, M. Adnane Addoum, réclamait, dans un entretien avec L’Orient- Le Jour, la levée des îlots d’immunités pour que le parquet puisse agir, il ne pensait pas être entendu aussi rapidement. Après une semaine de recherche et de réflexion, la troisième chambre de la Cour de cassation, présidée par M. Afif Chamseddine et ayant pour assesseurs MM. Élias Abdallah et Fouad Geagea, a déclaré la juridiction ordinaire compétente pour juger l’ancien ministre Chahé Barsoumian. Dans un arrêt qui fera date dans l’histoire de la justice, puisqu’il est en totale contradiction avec la tradition, la cour a estimé que lorsqu’un ministre commet des crimes ou délits en contradiction avec les obligations de sa charge, il est passible de poursuites devant la justice de droit commun. Les anciens ministres Jamil Kebbé et Joseph Hachem avaient eu plus de chance que M. Barsoumian, puisque menacés de poursuites judiciaires, ils avaient été protégés par leur immunité ministérielle. Dans l’esprit de cette tradition, les avocats de M. Barsoumian, MM. Badawi Abou Dib et Akram Azoury, avaient soulevé le principe de l’incompétence du tribunal de droit commun pour juger l’ancien ministre du Pétrole, car, selon eux, il faut appliquer l’article 70 de la Constitution qui donne au Parlement le droit de mettre en accusation «les ministres pour toute trahison ou manquement grave aux besoins de leur charge». Dans ses attendus, l’arrêt opère une distinction entre le président de la République «qui ne peut être accusé que par la Chambre des députés et les ministres qui peuvent être mis en accusation par cette même Chambre». Se basant sur une jurisprudence française, la cour relève que les dispositions de l’article 70 de la Constitution ne supprimeraient nullement «la juridiction de droit commun pour les crimes et délits prévus par la loi pénale qu’un ministre aurait commis dans l’exercice de ses fonctions». Selon cette jurisprudence, la Chambre sait que la constitution lui donne le droit de mettre en accusation les ministres, mais elle ne lui en impose pas l’obligation. «Si donc, la Chambre n’use pas de son droit et ne prend pas l’affaire en mains, celle-ci suivra son cours régulier devant la justice». Le débat est ainsi tranché et si les avocats de M. Barsoumian se sont déclarés stupéfaits, l’arrêt de la Cour de cassation ne peut en principe faire l’objet d’un recours. Mais au-delà du cas de l’ancien ministre du Pétrole, c’est une nouvelle ère qui semble s’ouvrir au Liban. Longtemps «surprotégés»(à l’instar de tous ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir au Liban), les ministres sont désormais privés de l’immunité dont ils bénéficiaient. Alors que députés, fonctionnaires, chefs de municipalités et moukhtars, sans parler des avocats, continuent de jouir de la leur. C’est sans doute normal dans un régime en principe démocratique où les élus du peuple (députés, membres des conseils municipaux, moukhtars), doivent être protégés en raison de leur mandat populaire. Mais le danger est que ce nouveau pouvoir donné au parquet et qui permet désormais à l’avocat général d’interpeller un ministre sur une simple notification qui lui parviendrait se transforme en règlements de comptes politiques. D’autant que dans l’atmosphère actuelle du pays, l’opinion publique aussitôt alertée n’attend pas la fin de la procédure judiciaire pour émettre son jugement. Et, convoqué pour un interrogatoire, le ministre ou fonctionnaire est aussitôt condamné par le peuple. Qu’importe s’il est par la suite innocenté, le verdict populaire est déjà tombé. La justice doit certes prendre son cours, mais elle peut le faire dans la discrétion, pour protéger les dignités. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le président Mounir Honein avait interdit récemment la convocation des médias au Palais de justice pendant les interpellations. Mais il reste encore à réglementer strictement l’action du parquet, pour éviter les dérapages… En attendant de lever les autres immunités.
Sans tambour ni trompettes, la Cour de cassation a inauguré hier une nouvelle jurisprudence, faisant entrer la justice au Liban dans une nouvelle ère. En rejetant les pourvois présentés par les avocats de l’ancien ministre Chahé Barsoumian et en déclarant la juridiction de droit commun compétente pour juger son cas, cette cour fait carrément tomber l’immunité...