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Actualités - OPINION

Carnet de route Et puis merdre !

C’est entendu, nous sommes en plein tiers-monde. C’est entendu, les mentalités et l’application des lois et des règlements sont ce qu’elles sont : pour la plupart déficientes. L’indignation est quotidienne, l’effort-et-le-découragement-et-encore-l’effort, aussi. L’usure en somme, et le sentiment pour chacun d’être un Sisyphe à sa propre mesure. Alors il y a les moralisateurs : les «il faut» par exemple («il faut éradiquer l’ignorance et imposer un strict contrôle bi-annuel des freins, amortisseurs, pneumatiques et autres organes vitaux des véhicules automobiles. Il y va de notre honneur». Auxquels se joignent les IL N’Y A QU’À («faire comme à Montréal, Paris ou Sydney etc., avec des ponts élévateurs Black and Pepper comme à Chicago et des mécaniciens-techniciens formés par cours accélérés à Kyoto. C’est facile». Les moralisateurs et les IL N’Y A QU’À se superposent mais ne se confondent pas forcément, sauf par une carence commune dans le passage à l’acte, mais foin de la psychanalyse. On peut hasarder l’hypothèse que les premiers relèvent de la classe à responsabilité politique, légiférante ou technocratique, bref, à responsabilité tout court, les seconds à la nébuleuse des personnes privées, au demeurant citoyens «sachant». C’est entendu, nous sommes en plein tiers-monde et rien ne va très bien. C’est mauvais pour les nerfs, pour le moral, c’est parfois mortifère. Alors on s’indigne, on jure, et, même les sages qui s’en remettent à Dieu ou à Georges Corm se retrouvent épuisés le soir, les adeptes du christianisme social, ceux de l’humanisme athée, les accros de la démocratie, les croisés de l’environnement, les vertueux et les voyous. Alors se fait sentir un urgent besoin de soupape, de clapet, de valve, un prurit démissionnaire, une envie de dire, de vivre un voluptueux et libérateur «et puis merdre !». À dose réduite bien sûr (éventuellement avec un chronographe pour les anxieux), à titre provisoire, mais avec la conviction d’être dans son plein droit d’animal humain. Inoffensive, bénéfique, voire thérapeutique, et en tout cas bien méritée, c’est une attitude qui n’est ni celle du yogi ni celle du commissaire, ni chère ni poison et qui, à défaut de détachement, amène un dégagement. Salubre. Ceux qui ne sont pas d’accord (virils fanatiques de la vigilance permanente, grands angoissés certains que la patrie s’en ira à vau-l’eau à leur moindre moment d’inattention, adeptes d’un sérieux absolu à plein temps, mais aussi, qui sait, pudibonds de la forme aggripés à la bienséance du langage et que la lettre «r» ajoutée par Jarry-Ubu ne saurait tromper (1), bref gens biens ou emmerd(r)(eurs) peuvent objecter dans les colonnes de L’Orient-Le Jour, ils seront les bienvenus, moi-même, au demeurant, ne souffrant pas de cette tétanisation que sont les certitudes absolues. Et puis merdre ! (1) «Merdre !» est la première réplique d’Ubu Roi, la pièce de théâtre d’Alfred Jarry. Dans sa traduction arabe (certains se souviennent de la mémorable représentation donnée à Dar el-Fan au début des années 1970), cela donnait un tonitruant «tôz !». Mot vulgaire ? Non, savoureux, qu’il soit prononcé avec l’accent du quartier de Mar Maroun ou celui de Basta. Les hommes de ma famille l’employaient souvent, c’est peut-être pour cela que j’en aime tellement la phonétique...
C’est entendu, nous sommes en plein tiers-monde. C’est entendu, les mentalités et l’application des lois et des règlements sont ce qu’elles sont : pour la plupart déficientes. L’indignation est quotidienne, l’effort-et-le-découragement-et-encore-l’effort, aussi. L’usure en somme, et le sentiment pour chacun d’être un Sisyphe à sa propre mesure. Alors il y a les...