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Actualités - REPORTAGES

Jeunesse - Première expérience, loin de la famille Foyers universitaires : le passage à l'âge adulte (photo)

Dana a 18 ans. Elle vient de décrocher son baccalauréat, série philosophie. Dès son plus jeune âge, elle rêvait d’être un jour professeur d’anglais. Aujourd’hui, un problème se pose : Dana habite Marjeyoun. Et le siège de la faculté de lettres de l’Université libanaise est à Beyrouth. Les trajets à faire sont longs, coûteux et difficiles. Pour suivre son cursus, elle doit résider dans la capitale. Elle demande à ses parents de l’autoriser à louer une chambre dans un foyer universitaire. Mais le père aussi bien que la mère acceptent difficilement l’idée : «Les citadins ont une autre façon de vivre. Comment lâcher une fille, à peine sortie de l’adolescence, dans un monde complètement différent de celui où elle a vécu ?». Ils finiront toutefois par se faire une raison et par accepter l’idée. C’est que, aussi, Dana sait ce qu’elle veut. Va donc pour la littérature anglaise. Et pour le foyer. Surtout ne pas briser le rêve mais plutôt l’aider à le réaliser. «Interdiction de fumer et de consommer de l’alcool. Interdiction de discuter de religion ou de politique, de coller sur les murs les photos de personnalités politiques ou miliciennes mortes ou vivantes. Interdiction de recevoir des visiteurs dans sa chambre, parents inclus. Si deux étudiants se disputent dans le foyer, ils seront renvoyés tous les deux ; si un étudiant se marie, adieu le foyer (compréhensible, puisqu’il va en fonder un …). Et aussi : interdiction de coller des photos pornographiques, de jouer aux cartes, de donner le numéro de téléphone du foyer sinon aux seuls parents». On le voit : la liste des tabous est longue ; elle pourrait être interminable. On appelle cela des statuts internes, comme pour un établissement de commerce, une école. Une copie en est remise à tout étudiant qui a eu le bonheur de voir sa demande agréée. Soyons objectifs : la réalité est loin d’être aussi stricte. Et bien que les parents accompagnent leurs enfants pour choisir le foyer universitaire le plus adéquat et que le contact se fait directement avec les responsables des lieux, ces derniers se déclarent responsables des étudiants seulement à l’intérieur des locaux. Tout ce qui se passe extra muros ressort de la responsabilité des parents. Les statuts internes des foyers se ressemblent tous, à quelques différences près : les heures de fermeture des portes qui varient entre 20h30 et 22h00, les jours de sorties nocturnes qui sont le samedi pour quelques-uns, les mercredi et samedi pour d’autres. Les étudiants sont en outre priés de recevoir leurs visiteurs dans un salon commun pour sauvegarder le calme dans les chambres, le plus souvent partagées par plusieurs locataires. Foyers : lieux de cohabitation Quand Bassel Nazireddine el-Deiri est arrivé du Koura au foyer, dirigé par Mme Souad Bado, il a eu des difficultés à se faire admettre par ses camarades. «Avec un nom comme le mien, tout le monde me prenait pour un intégriste, confie-t-il. Il a fallu attendre quelques jours pour que chacun réalise qu’aucun aspect politique ou religieux ne pouvait nous diviser. Nous sommes tous liés par une même mentalité, celle qui anime garçons et filles de notre génération, partout dans le monde, et ceux du Liban plus que d’autres ; liés aussi par notre jeunesse, nos études, par la sympathie que nous éprouvons les uns à l’égard des autres». Jinane, elle, est au foyer de Mme Evelyne K. depuis quatre ans. Elle vient d’Alma el-Chaab, au Liban-Sud. Beyrouth, elle en rêvait, car la capitale incarnait à ses yeux une certaine liberté, l’indépendance en quelque sorte vis-à-vis de ses parents. À son arrivée, elle découvre que les règlements du foyer prévoient la fermeture des portes à 20h00, qu’elle n’a pas accès au téléphone, qu’elle doit préparer ses repas, laver son linge, etc. Elle se rend alors compte que vivre seule nécessite plusieurs sacrifices et un sens aigu des responsabilités qui incombent à chacun à l’égard de la communauté dont il est membre désormais. Jinane a appris par ailleurs «à accepter son prochain, à le supporter avec ses défauts – ses qualités aussi, il faut le reconnaître – et son mode de vie qui n’est pas nécessairement le vôtre». C’est qu’elle doit «partager la même chambre avec quelqu’un qu’elle rencontre pour la première fois». Jinane avoue : «J’ai toujours le sentiment que je ne suis pas chez moi. Je me sens étrangère, dans un lieu étranger. La chaleur de la maison familiale me manque». Pourtant, elle est là depuis quatre ans. Rita a 19 ans. C’est sa première année de biologie à Fanar. Un tantinet mélancolique, elle confie : «J’ai grandi d’un coup. J’ai appris à organiser ma vie. J’ai même pris l’habitude de cuisiner. Vous savez, maman n’est plus là pour moi». Quand il vivait encore chez ses parents, Jamil ne rangeait jamais ses habits, ne préparait jamais son lait le matin. Bref, c’était un garçon libanais qui vivait chez lui comme un coq en pâte où maman et les bonnes étaient là pour le servir. Au foyer universitaire, Jamil s’est métamorphosé. Il nettoie sa chambre, fait son lit, prépare son Nescafé, range ses habits et même, des fois, les repasse. «J’ai l’habitude maintenant. Cela ne me dérange plus. À la maison, je ne faisais rien car l’occasion ne se présentait jamais», explique-t-il. Tania critique, pour sa part, l’éducation que donnent les parents libanais. «La liberté de prendre des décisions n’a jamais été notre fort. Ce sont toujours nos parents qui décident pour nous. On n’essaie jamais – ou presque – de nous faire assumer une part de responsabilité, même dans les choses qui nous concernent. Une fois seules, dans le foyer, nous nous sentons perdues. Quelques-unes de nous ne savent plus comment résister à certaines tentations dont sorties nocturnes et cigarettes. Choses, d’ailleurs, qui font trembler nos parents. La seule raison à cela, c’est l’éducation reçue, et qui fait de nous des mineurs à l’âge de 20 ans, incapables de prendre une décision. C’est la dépendance totale. Au foyer, nous nous découvrons très tôt des gens responsables qui se prennent totalement en charge». Rami et Nabila sont d’accord avec Tania, mais ils considèrent qu’ils dépendent toujours de leurs parents, du moins financièrement. Les étudiants, résidant dans des foyers depuis deux ans ou davantage, se font difficilement à l’idée de retourner vivre sous le toit familial à la fin de leurs études. Ils ne sont plus habitués à subir l’autorité parentale. C’est le cas de Maya, de Ghada et de Marouan. Maya en souffre particulièrement : «Je sens un dédoublement de ma personnalité. Quand je suis chez mes parents, j’essaie d’être comme ils veulent que je sois mais eux ne comprennent pas que j’ai changé, que je pense différemment à présent. Je vis dans un foyer depuis trois ans. Les vacances d’été dans mon village sont, depuis, très dures». Des loyers pas très modestes La plupart des parents libanais croient que le seul héritage qu’ils laissent à leurs enfants, qu’ils soient garçon ou fille, c’est «le diplôme», objet de toutes les ambitions, fruit de tant de sacrifices. Ils seront capables de tout vendre pour payer à leur progéniture les études universitaires. En fait, pour l’année scolaire (neuf mois) dans un foyer universitaire, il faut prévoir 1 200 dollars américains. Dans d’autres établissements similaires, le lit est facturé 50 dollars américains dans une chambre à quatre, 70 dans une chambre à 2, et 100 pour une pièce à un lit. Les parents de Jean n’hésitent pas à l’appeler tous les jours ; ceux de Rita apprécient l’indépendance dont jouit leur fille au foyer mais ils n’ont pas confiance dans les «autres» et surtout dans le mauvais exemple qu’elles peuvent représenter. Le père de Marouan croit que le rendement intellectuel de l’enfant est supérieur quand il vit avec ses parents. Il est convaincu que «les universitaires ne sont pas encore à l’âge réellement adulte, celui où ils peuvent prendre les bonnes décisions». Quoi qu’il en soit, les résidents des foyers sont unanimes à reconnaître l’importance de cette expérience et de ses apports intellectuel, personnel et social dont ils profitent. En attendant que le secteur public décide de prendre en charge et de réunir – prochainement, il faut l’espérer – ces étudiants dans un même campus, les parents ont toujours une appréhension à l’idée que leur enfant pourrait se laisser entraîner à quelque écart. Savent-ils seulement que leur progéniture affronte pour l’heure son concours d’entrée dans la vie adulte ?…
Dana a 18 ans. Elle vient de décrocher son baccalauréat, série philosophie. Dès son plus jeune âge, elle rêvait d’être un jour professeur d’anglais. Aujourd’hui, un problème se pose : Dana habite Marjeyoun. Et le siège de la faculté de lettres de l’Université libanaise est à Beyrouth. Les trajets à faire sont longs, coûteux et difficiles. Pour suivre son cursus,...