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Actualités - REPORTAGES

Kfarhouna: le vide sécuritaire

«Cette nuit-là, nous avons perdu notre tranquillité». Il y a trois mois, alors que les hommes de l’Armée du Liban-Sud quittaient l’enclave de Jezzine, et que les Jezzinois célébraient leur «libération», à quelques kilomètres de là, sur la route du Sud, Kfarhouna était gagné par l’inquiétude : situé à moins d’un kilomètre de la bande frontalière, le village se trouvait désormais «sur la ligne de front», à la merci des représailles de l’aviation israélienne en riposte aux opérations de la Résistance. Les rares habitants n’osaient guère mettre le nez hors de chez eux. Aujourd’hui, les rues autrefois désertes sont investies par des adolescentes qui y déambulent sous le regard amusé des «chabab», tant dans le quartier chrétien que dans la partie chiite de ce village mixte. Là, c’est tout un attroupement qui s’est formé devant l’épicerie. Hier encore, il n’y avait aucun commerce ; dans cette partie du village, douze personnes à peine vivaient. Des vieillards pour la plupart. Seulement 10 % de la population totale de Kfarhouna n’a pas quitté les lieux pendant les quatorze années d’occupation. «Soixante-dix personnes sont revenues nous rendre visite dès le premier week-end qui a suivi le retrait», raconte un des doyens du quartier. Lui-même a retrouvé un ancien voisin, «de l’autre côté». «On a bu le café comme autrefois. Ici, il n’y a aucune différence entre la mosquée et l’église, elles sont toutes deux la maison de Dieu», lance-t-il aux visiteurs étrangers. Dans l’autre partie du village, on ne peut s’empêcher de souligner qu’ils sont plus nombreux à être revenus «côté musulman». Mais tout est à refaire : les intérieurs des maisons sont désespérément vides ; et quand le mobilier n’a pas été emporté, il est dans un piteux état. Surtout, les murs des habitations portent les séquelles des bombardements ; le Conseil du Liban-Sud, venu dresser un état des lieux, a dénombré 210 maisons entièrement ou partiellement endommagées par les combats sur les 260 que comptait Kfarhouna avant-guerre. Pour l’heure, seule la mosquée est en cours de reconstruction. Les travaux ont été pris en charge par Jihad al-Bina, la société de reconstruction relevant du Hezbollah, responsable de la reconstruction des habitations endommagées par les bombardements israéliens au Liban-Sud. Ce serait elle aussi qui entreprendra la réhabilitation des cent trois maisons du quartier chiite du village. «Les gens sont contents de retrouver leur maison, ils viennent avec des plans pour reconstruire, mais on ne sait pas s’ils vont rester. Il n’y a aucun travail et tout manque», raconte un commerçant. Si Kfarhouna ne manque ni d’eau ni d’électricité, il n’y a toujours pas de téléphone. Et le projet d’installation d’un relais de téléphonie mobile risque de prendre du temps. Seule réalisation entreprise depuis le retrait : le réasphaltage de la route pour masquer les cratères béants creusés par les explosions d’engins piégés. «C’est un premier geste symbolique. Nous essayons de rassurer la population», explique Riad el-Assaad, le très dynamique directeur de l’entreprise South for Construction, qui a pris à sa charge la totalité des frais de ces travaux. Car si la peur est moins présente au sein de la population, elle n’a pas pour autant disparu. «On est désormais libre de ses gestes et de ses mouvements, on peut sortir et marcher dans la rue, on ne subit plus les pressions de l’occupant. Mais on est toujours dans un vide sécuritaire, sans aucune protection des deux côtés. Nous n’avons même pas un gendarme», confie un habitant. Il rappelle qu’il y a peu de temps encore, des éclats d’obus atteignaient les dernières maisons du village. Celles-ci font face au centre militaire de l’ALS, perché sur l’une des collines qui entourent Kfarhouna. «Là, personne n’ose revenir», poursuit l’homme. Il préférera taire son nom. «Ils sont là-haut derrière la colline. Peut-être viennent-ils la nuit, qui sait ?» lâche-t-il. À Kfarhouna, le barrage de l’armée libanaise de Kfarfalous est bien loin, celui de l’ancien occupant bien proche : moins de huit cents mètres.
«Cette nuit-là, nous avons perdu notre tranquillité». Il y a trois mois, alors que les hommes de l’Armée du Liban-Sud quittaient l’enclave de Jezzine, et que les Jezzinois célébraient leur «libération», à quelques kilomètres de là, sur la route du Sud, Kfarhouna était gagné par l’inquiétude : situé à moins d’un kilomètre de la bande frontalière, le village se trouvait...