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Actualités - REPORTAGES

Correspondance Ce vive impuni, le goût du calembour(photos)

Que le vice impuni des Français soit leur amour immodéré du calembour, on aurait mauvaise grâce à s’en plaindre. Voilà qui met du sel dans bien des conversations et de la bonne humeur jusque dans les couloirs du métro puisque les jeux de mots fleurissent aussi sur les affiches, apparemment plus accrocheurs, aux yeux des publicitaires, que les slogans classiques ou les effets visuels. Carrelage du capitaine Comme beaucoup de téléspectateurs, je regardais de préférence Antenne 2 à l’époque où Bruno Masure émaillait les nouvelles de réjouissants quoique parfois indiscernables à peu près du genre «not atoll» quand il traitait d’un sujet sur la Polynésie. Mal lui en avait pris car il fut écarté de la grand-messe du J.T., sans doute en partie à cause de ces petites licences qu’il s’autorisait quotidiennement. Comme quoi le vice du calembour ne reste pas toujours impuni... Mais qu’importe ! Ne lui faisons pas pour autant grise mine sauf, bien entendu, quand trop c’est trop et que la vulgarité guette. Je serais, pour ma part, plutôt bon public et j’applaudis toujours en passant devant trois magasins de mon quartier, une librairie qui porte le nom spirituel de Mona lisait, une caverne d’Ali Baba où s’entassent des jeux de société et qui s’est mise à l’enseigne de Jeux Descartes et une échoppe qui dissimule une offre banale de reproduction de documents sous l’appellation malicieuse de Faustocopi. J’aime également assez, dans le 16e arrondissement, cet Espace Vital – rue Vital, évidemment – qui corrige le côté galvaudé du terme «espace», naguère mis à la mode par Cardin. Mais la palme de la drôlerie revient à coup sûr à ce magasin de carreaux de faïence du 12e qui s’est choisi pour raison sociale Carrelage du capitaine. Et ceux qui n’auraient pas compris au quart de tour sont bons pour potasser Calembourdes (Le Seuil), un petit livre tout juste paru et dont l’auteur, la linguiste Marie Treps, nous avait déjà donné deux volumes aussi délectables qu’instructifs, Allons-y Alonzo ! et Le dico des mots-caresses. « Faux bel esprit » Elle s’emploie cette fois à rendre justice au calembour, longtemps victime d’impitoyables censeurs même si le Christ lui-même ne dédaigna pas d’y sacrifier en disant à son apôtre préféré : «Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église». (Matthieu, 16, 18). Éternellement opposé au mot d’esprit, le calembour est mal vu, constate Marie Treps. Et, de fait, Voltaire crut y reconnaître «la pire espèce du faux bel esprit», Littré n’hésita pas à le qualifier d’«abus» et Victor Hugo le décrivit comme «la fierté de l’esprit qu’il vole». Heureusement, il eut aussi ses défenseurs et fut pratiqué ou analysé par quelques grands tels Balzac, Proust, Valéry, Barrès ou Aragon. Avant d’être illustré de façon débridée par ces classiques de l’à-peu-près que sont, entre autres, Alphonse Allais, Pierre Dac et Frédéric Darb. «Ma matière grise me grise», explique ce dernier, comme pris du besoin de se justifier. Et Pierre Bouteiller absout les uns et les autres par cette réflexion à la fois magnanime et laxiste : «C’est le propre d’un jeu de mots que d’être lamentable, sinon il n’a aucun intérêt». Il y en a qui se sentiront aussitôt dédouanés. N’empêche : cela reste un dur métier que celui de calembourier.
Que le vice impuni des Français soit leur amour immodéré du calembour, on aurait mauvaise grâce à s’en plaindre. Voilà qui met du sel dans bien des conversations et de la bonne humeur jusque dans les couloirs du métro puisque les jeux de mots fleurissent aussi sur les affiches, apparemment plus accrocheurs, aux yeux des publicitaires, que les slogans classiques ou les effets visuels. ...