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Actualités - INTERVIEWS

Entretien - L'homme d'affaires évoque son rôle crucial dans la libération en 1987 des otages français Anthony Tannouri livre une partie de ses secrets(photos)

«J’étais un marchand de sable, un coup de vent m’a ruiné». En reprenant pour son compte ce vieux proverbe bédouin, Anthony Tannouri n’a aucune amertume, il l’énonce simplement comme une constatation. Pour lui, le coup de vent s’est transformé en bourrasque et lui a valu une condamnation à verser 400 millions de dollars au fisc français. Mais cet homme d’affaires en a vu d’autres et il continue à gérer ses sociétés, en évitant autant que possible les médias et la publicité. S’il a accepté aujourd’hui de sortir de son mutisme habituel, c’est à cause de la récente déclaration du préfet Christian Prouteau (Voir L’Orient-Le Jour du 7 août) qui affirmait au Parisien que la France a payé une rançon pour la libération en 1987 de ses otages détenus au Liban, réveillant ainsi une vieille polémique. L’information est de taille, d’autant que le ministre français de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua, n’a cessé de proclamer que la France n’a pas payé un sou aux ravisseurs, alors que M. Tannouri déclarait depuis plusieurs années déjà être l’homme qui a versé les sommes convenues à l’émissaire des preneurs d’otages. Il confirme de nouveau la théorie du préfet Prouteau et lève ainsi le voile sur certaines zones d’ombre dans cette étrange tragédie. Ce n’est pas volontiers que Tannouri, cet amoureux de l’art – qui ne possède pas moins de 400 œuvres d’art dont 60 toiles de maîtres – parle de son rôle dans cette affaire, tant ses conséquences ont marqué sa vie et sa carrière en France. Mais cet homme énigmatique, qui affirme s’être penché sur ce dossier «parce qu’il s’agissait avant tout d’une tragédie humaine», en a eu brusquement assez de payer pour «ce service rendu à la nation française»... Un rapide retour en arrière s’impose. Lorsque au milieu des années 80, des Français ont été enlevés au Liban, la France a frappé à plusieurs portes dans l’espoir d’obtenir leur libération. Selon M. Tannouri, cette tragédie a réveillé les appétits de tous les amateurs de bonnes affaires et ce pays qui visiblement ne connaissait pas vraiment la situation libanaise a failli se faire avoir par des escrocs. Il raconte ainsi qu’un homme d’affaires syrien aurait réussi à convaincre le frère du président français, Robert, qu’il était un grand ami du président Assad et qu’il pourrait intervenir en faveur de la libération des otages. Le président français lui libelle une lettre d’accréditation que l’homme remet au président syrien en affirmant, cette fois, être un ami du président français. Le pot aux roses a été rapidement découvert et a valu à cet homme d’affaires d’être expulsé de France par M. Pasqua, avant que son séjour ne soit de nouveau autorisé par le gouvernement socialiste. « Le boucher escroc » Tannouri tient à préciser que les kidnappeurs ne sont pas les geôliers. Selon lui, lorsque les otages ont été enlevés, tout le monde tâtonnait dans le noir et la moindre rumeur pouvait devenir une piste «sérieuse». C’est ainsi qu’un homme de Saadnayel (Békaa), dont les parents possèdent une boucherie dans ce village – ce qui lui a valu le surnom de boucher – a induit la France en erreur, lui précisant que contrôlant des barrages dans la Békaa, il était en mesure de lui fournir des informations précieuses, moyennant la coquette somme d’un milliard de francs. Paris a sérieusement songé à négocier avec lui, envoyant trois émissaires pour le rencontrer. Or, selon Tannouri, les otages qui auraient été enlevés par un petit groupe qui n’avait pas vraiment d’étiquette définie ont été très vite récupérés par d’autres geôliers, qui n’avaient rien à voir avec le boucher escroc. Et ce n’est que lorsque l’Iran a laissé entendre qu’elle était intéressée par l’affaire que les choses ont commencé à se préciser. Un jour, Tannouri est contacté par des représentants du gouvernement, afin de voir si, grâce à ses relations dans la région, il peut faire quelque chose. «J’ai accepté, raconte l’intéressé, parce que j’ai senti que je pouvais être utile, connaissant en outre la fille de Marcel Carton, je me sentais personnellement concerné». De Beyrouth, où il s’est rendu deux fois, à Alger, Téhéran et Tripoli (Libye), Anthony Tannouri entame ses négociations qui dureront plusieurs mois. Selon lui, si les otages étaient détenus sur le sol libanais, la décision de les libérer n’a pas été prise au Liban. Ici, il n’y avait que les exécutants et ceux qui géraient leur détention. M. Tannouri raconte d’ailleurs que l’épouse de l’un des otages, Mme Joëlle Kaufmann, qui s’était rendue régulièrement à Beyrouth pendant cette période, rencontrait à chaque fois son mari détenu avant de rentrer en France où elle déclarait qu’elle ne l’avait pas vu et qu’elle était sans nouvelles de lui. Tannouri confie aussi que parmi ses interlocuteurs, nombreux étaient ceux qui trouvaient l’affaire révoltante sur le plan humain, tout en gardant les otages pour des raisons politiques. Finalement, lorsque l’accord a été conclu, du côté des ravisseurs, tout le monde y trouvait son compte : il y avait ceux qui voulaient mettre à genoux la France, ceux qui avaient une option stratégique et les aigrefins qui s’en sont mis plein les poches. M. Tannouri précise que l’argent a été payé à Abidjan à un dignitaire chiite libanais, mais qu’il ne s’agissait pas de coupures placées dans une valise, comme l’avait voulu la rumeur. «Je produirai les justificatifs en temps voulu, dans le livre que je compte publier sur cette affaire». Un scénario modifié à la dernière minute Au départ, le scénario de la libération prévoyait le transport immédiat des otages vers Chypre. Mais pour des raisons diplomatiques, il a été finalement convenu de les libérer devant l’hôtel Summerland avant de les emmener en Syrie. L’avion a alors décollé de Damas pour se rendre à Chypre. M. Tannouri est toutefois catégorique : les Syriens n’ont pas été impliqués dans la prise des otages, ils essayaient simplement de se trouver un rôle dans leur libération. Les Français étaient surtout soulagés d’en finir avec cet odieux chantage, tout en ayant sauvé la face puisqu’ils affirmaient ne pas avoir déboursé un sou. «En un sens, c’est vrai, précise Anthony Tannouri, puisque les six personnes choisies comme émissaires, dont trois Libanais, ont payé aux ravisseurs de leur propre poche. C’est pour cela d’ailleurs que nous avons été considérés comme des amis de la France». Certains ont obtenu à la suite de cette affaire la Légion d’honneur, Tannouri, lui, a été naturalisé. Le 24 décembre 1987, le président Chirac, alors Premier ministre de la cohabitation, contacte Anthony Tannouri et lui lance un joyeux : «Mon cher compatriote». En principe, pour obtenir la nationalité française, il faut d’abord la demander. Or, M. Tannouri n’a jamais présenté une requête en ce sens, mais dans le Journal officiel français, le décret précise que la nationalité française lui est accordée pour service rendu à la nation. L’affaire aurait dû se terminer là, mais pour Tannouri, les ennuis vont commencer. Lutte entre diverses tendances, contraintes de la cohabitation, pression due à l’approche de la campagne présidentielle de 1988… il ne sait pas vraiment, toujours est-il qu’en février 1988, le nouveau citoyen français est accusé de frauder le fisc français. Il est condamné à verser 400 millions de dollars d’amende. Mais le juge Ferry après avoir mené l’enquête reconnaît avoir été induit en erreur et écrit, dans ses attendus que M. Tannouri ne peut avoir commis de telles infractions, d’autant que la nationalité française ne saurait être accordée à une personne qui n’est pas en règle avec l’État. Son jugement est cassé en cour d’appel. La gratitude, un sentiment qui vieillit vite Le scandale éclate en France. MM. Pasqua et Pandreau (respectivement en charge du ministère de l’Intérieur et de celui de la Police) sont mis en cause pour avoir signé la naturalisation de M. Tannouri et M. Pasqua retarde la promotion de deux préfets parce qu’ils refusent de déformer les faits. M. Tannouri déclare, aujourd’hui, avec un grand calme : «Je crois avoir été la victime de la lâcheté de mes amis et de la lourdeur judiciaire. En France, la gratitude est un sentiment qui vieillit vite». Il est, en tout cas, le seul condamné fiscal à n’avoir jamais été entendu par le fisc, ayant été immédiatement déféré devant le juge d’instruction. De même, il est le seul condamné fiscal auquel on n’a pas proposé un règlement à l’amiable. Non, c’est sa destruction qu’on voulait, affirme-t-il. Et ce n’est pas par hasard qu’en parallèlle, de nouvelles affaires ont été ouvertes contre lui. Il y a eu le dossier Gaith Pharaon, l’affaire de la SASEA et enfin la plus terrible, le fait qu’on l’ait confondu avec un trafiquant de drogue recherché aux États-Unis et en Italie et actuellement emprisonné à Roumié, Antoine Assaad Tannouri, alors que son propre père s’appelle Gabriel. Il a fallu sept ans à Anthony Tannouri pour gagner son procès pour homonymie. Sept ans et beaucoup d’humiliations qui lui donnent aujourd’hui cette sagesse un peu blasée de l’homme qui s’attend à tout et généralement au pire. Dans l’immense appartement qu’il est en train d’aménager à Beyrouth, ou il n’y pas encore de meubles, mais seulement des œuvres d’art, il apporte la dernière touche au livre qui sera bientôt publié en France et qui aura pour titre Si la France savait. «Je ne veux pas régler des comptes, dit-il, ni engager une polémique, mais expliquer ce qui m’est arrivé». La France l’a-t-elle déçu ? «Je fais la distinction entre la France et une partie des Français», répond-il. Mais il prépare déjà son installation au Liban qu’il prévoit pour 2001. Pour y faire de la politique ? «Certainement pas. Elle ne m’intéresse pas et puis, j’en connais trop les ficelles». Une sorte de retour aux sources, donc, pour ce Békaïote qui a fait le tour du monde, brassé des millions et qui aujourd’hui semble revenu de tout.
«J’étais un marchand de sable, un coup de vent m’a ruiné». En reprenant pour son compte ce vieux proverbe bédouin, Anthony Tannouri n’a aucune amertume, il l’énonce simplement comme une constatation. Pour lui, le coup de vent s’est transformé en bourrasque et lui a valu une condamnation à verser 400 millions de dollars au fisc français. Mais cet homme d’affaires en a vu...