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Actualités - ANALYSE

Fuites judiciaires - Le projet de loi étonne les juristes La liberté d'informer dans l'oeil du cyclone

Une coïncidence étrange : au moment même où la défense des libertés mobilise les journalistes, on vient les brider un peu plus en les empêchant de répercuter en direction du public les informations en provenance de sources judiciaires. Cela au motif qu’il faut protéger les justiciables et leur réputation, pour que leurs noms ne soient pas divulgués avant qu’ils aient fait l’objet d’un acte d’accusation en bonne et due forme. Indépendamment des libertés constitutionnelles que l’on traite de la sorte avec désinvolture, le procédé que l’on compte adopter pêche contre la logique. Il veut arrêter l’écoulement à l’embouchure, à l’arrivée, et non à la source. Autrement dit, au lieu de menacer à titre dissuasif de lourdes sanctions dissuasives les fonctionnaires tenter de jouer les rapporteurs, on interdit aux journalistes de faire leur métier. Ce sont les juges ou les policiers exploitant à d’obscures fins les médias qu’il faut juguler et contrôler. C’est sur eux que l’État a prise et autorité, non sur une profession du secteur privé classée comme libre. Un mélange des genres, un amalgame dont les loyalistes ne distinguent pas bien la nocivité. L’un d’eux, avocat, affirme ainsi que «ce qui compte, c’est d’obtenir un résultat concret. Une fois appliquée, la nouvelle loi fera qu’aucun fonctionnaire ne donnera plus d’informations supposées rester secrètes aux médias». Ce qui n’est pas tout à fait exact : les fuites pourraient continuer, mais les médias ne pourraient plus les rendre publiques. On sait que les récentes révélations concernant des procédures envisagées contre des députés ont beaucoup indisposé la Chambre. Dont le président, M. Nabih Berry, a dès lors chargé deux spécialistes, MM. Nicolas Fattouche (déjà auteur d’une étude extensive sur l’immunité parlementaire) et Chaker Abousleiman de préparer une législation coupant court à de telles fuites. Les deux hommes se sont réunis hier et ont préparé un brouillon qui généralise l’interdiction des fuites à l’ensemble des départements officiels. En tout cas, l’idée d’une digue conçue par la Chambre a plu au gouvernement, qui y a applaudi des deux mains. Ce qui aurait dû en principe étonner les parlementaires et leur mettre la puce à l’oreille. Car le texte en question est supposé faire mordre la poussière au pouvoir judiciaire, qui dépend de l’Exécutif, dans le bras de fer qui l’oppose depuis des mois au Législatif sur divers points. Certains députés s’aperçoivent maintenant qu’en réalité, le gouvernement y trouve son compte parce que les pots cassés vont être en définitive payés par une tierce partie : l’opinion publique. Pour sa part, un constitutionnaliste de renom, ancien député, M. Hassan Rifahi, relève qu’une fois de plus on se laisse aller, sous le coup de l’émotion, à de redoutables pléonasmes juridiques. Ce qui veut dire que l’on veut, comme pour l’enrichissement illicite, élaborer des législations alors qu’il y en a déjà «qui sont amplement suffisantes et qu’il suffit d’appliquer», souligne-t-il. M. Rifahi rappelle en effet que la loi interdit strictement à un juge, sous peine de poursuites, de divulguer des informations revêtues du cachet du secret judiciaire. Il souligne que dès lors, s’il apparaît qu’il y a eu des transgressions, il suffit que le ministère de la Justice adresse au corps de la magistrature une mise en garde sous forme de circulaire. M. Rifahi estime qu’une loi spéciale serait une atteinte au moral de la magistrature. Et surtout qu’elle interdirait au journalisme de s’exercer, ce qui est inadmissible en termes de libertés constitutionnelles. Le député Abousleiman répond de son côté que ce n’est pas la liberté d’informer qui est visée, mais ces fuites judiciaires qui ont indisposé même le gouvernement. Reste la question, qui se répond à elle-même : une cause déterminée peut-elle justifier n’importe quel effet ?
Une coïncidence étrange : au moment même où la défense des libertés mobilise les journalistes, on vient les brider un peu plus en les empêchant de répercuter en direction du public les informations en provenance de sources judiciaires. Cela au motif qu’il faut protéger les justiciables et leur réputation, pour que leurs noms ne soient pas divulgués avant qu’ils aient...