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Actualités - REPORTAGES

Reportage - Près de deux cents combattants veulent se mettre à la disposition de l'Etat Le grand désarroi des miliciens de Lahd

Ils s’étaient enrôlés en 1985 parce qu’ils croyaient à «la cause» ou parce que leurs partis respectifs le leur avaient demandé. Aujourd’hui, au fil des années et des batailles perdues, et après avoir enterré bon nombre de leurs camarades harcelés par la résistance, ils se sentent totalement perdus et abandonnés. Depuis l’annonce du retrait de l’ALS, ils se réunissent régulièrement au couvent Saint-Joseph, à Jezzine, afin de s’entendre sur une formule qui leur permettrait de se mettre à la disposition de l’Etat, après avoir encaissé leurs indemnités de la milice. Car, pour ces jeunes gens (deux cents presque et leur nombre grandit de jour en jour), il n’est pas question de renoncer à l’argent que, selon eux, Lahd leur doit. D’ailleurs, les négociations ont été âpres à ce sujet et, désormais, leur seul espoir vient de l’État, ce même État qu’ils ont si souvent bafoué… Marié sur le tard, Élias a un petit garçon bruyant et gâté qu’il suit d’un regard attendri. «Demain, je serai peut-être en prison, dit-il. J’en souffre car j’ai longtemps attendu la naissance de mon fils et j’ai tellement envie de le voir grandir». Mais il est résigné. «Nous avons fait le mauvais choix et nous devons en payer le prix.» Élias, Maroun, Joseph et les autres sont tous des miliciens de l’ALS. Depuis des années, ils sont en principe en charge de la sécurité de Jezzine où ils imposaient leur loi, tantôt avec conviction, mais ces derniers temps, le plus souvent, par lassitude et dans la peur. Ce sont eux qui ont d’ailleurs pesé sur la décision du général Lahd de retirer ses troupes de la localité : ils ne voulaient plus tenir des positions dangereuses d’autant qu’ils avaient le sentiment qu’Israël ne leur donnait pas les moyens de combattre. La décision prise, ils sont un peu soulagés d’en finir avec leur situation de hors-la-loi, mais aussi, en même temps, ils sont très inquiets. Quel sort leur sera réservé ? C’est la question qu’ils se posent et qu’ils posent aussi aux notables de Jezzine. Une question d’indemnités Au début, le général Lahd avait commencé à exercer des pressions sur eux afin qu’ils se replient avec lui sur Marjeyoun. N’ayant plus confiance en lui et en ses promesses et désireux de retrouver le Liban, leur pays malgré tout, bon nombre d’entre eux ont préféré prendre le risque de rester sur place. Lahd a alors changé de tactique. Il a décidé de leur verser leurs indemnités à Marjeyoun, pour les contraindre à se rendre dans la zone occupée. Leur choix étant fait, les jeunes gens ont refusé et d’âpres négociations ont commencé, des négociations au cours desquelles toute la rancœur accumulée depuis des années est ressortie. Finalement, Lahd a accepté de payer les sommes dues (un total d’un million 800 000 dollars) par chèque à Jezzine. Ces chèques ne seront encaissables qu’à partir de mardi et cela pendant trois jours ; ils sont aussi bien destinés aux miliciens qu’aux familles des morts (chaque milicien et chaque famille recevra 8 000 dollars). Avant d’avoir encaissé la totalité de l’argent, les miliciens ne comptent rien entreprendre. Mais cela ne les empêche pas de discuter sans fin de la démarche à suivre. Ils sont conscients du fait que leur vie va prendre une toute nouvelle direction, mais ils estiment que, malgré une étape difficile, au moins avec l’Etat libanais, il y a un avenir possible. Certains d’entre eux ont quitté l’ALS depuis quelques mois déjà et ils espèrent que cela jouera en leur faveur. D’autres avaient présenté une démission que Lahd avait refusée, d’autres enfin avaient quitté la milice depuis longtemps, mais n’étaient pas rentrés à Beyrouth parce qu’ils y font l’objet de jugements par contumace. Une commission d’avocats, présidée par l’ancien président du Conseil de la magistrature et ancien ministre Youssef Gebrane, s’apprête d’ailleurs à étudier leurs dossiers afin de préparer une suggestion globale qui sera remise aux autorités. L’âge d’or de la milice En dépit de ces promesses, ils sont quand même inquiets, surtout après les conditions mises par le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah. Lahd en a d’ailleurs profité pour tenter de les faire renoncer à leur projet de se mettre à la disposition de l’État. Il craint d’ailleurs qu’une fois les indemnités encaissées, nul n’accepte d’acheminer les équipements de l’ALS vers Marjeyoun, le contraignant à faire appel à des miliciens de la zone occupée. Avec leur ancien chef, les miliciens ne sont pas tendres. «Il n’a jamais réussi à être crédible auprès des Israéliens et il s’est bien plus soucié de faire de l’argent que de faire la guerre», précise Zouzou. Certes, à Jezzine, tout le monde se souvient qu’en 1985, c’est sur sa seule initiative que la localité a tenu bon face à la vague d’exode dans les villages à l’est de Saïda. Il avait alors réclamé 400 combattants aux Forces libanaises, mais celles-ci, trop occupées à mener des intifadas, n’ont pas tenu leurs promesses et ce sont les habitants de Jezzine qui ont fourni les combattants nécessaires pour faire face aux assaillants. Ce fut alors l’âge d’or de la milice, qui, aux yeux des habitants, avait fait de Jezzine une oasis de paix au milieu d’une région en plein bouleversement. Toutefois, depuis le retour de la légalité et le déploiement de l’armée dans les villages à l’est de Saïda, en prélude au retour des habitants, les circonstances ont changé, ainsi que le regard porté par les Jezziniotes sur l’ALS. La résistance ayant pris de l’ampleur, la milice était de plus en plus traquée et discréditée. Les habitants de Jezzine ne la toléraient plus, au point que Lahd a dû instaurer l’enrôlement obligatoire, contraignant la plupart des jeunes à quitter la localité, alors que d’autres se voyaient engagés de force à la suite de pressions exercées sur leurs familles. «Lahd n’a jamais réussi à s’imposer comme chef militaire. Souvenez-vous l’an dernier comment il a été insulté à la Knesset», rappelle Élias. Il évoque ensuite la duplicité des Israéliens qui, selon lui, n’avaient aucune considération pour l’ALS depuis la mort de Saad Haddad. «Il y a quelques mois, raconte-t-il, ils ont convaincu Abou Arz (Étienne Sakr) de renverser Lahd et de prendre en charge l’ALS. Après maintes hésitations, ce dernier a décidé de tenter l’aventure. Lorsqu’il a achevé les contacts et les préparatifs, les Israéliens ont alerté Lahd qui a arrêté Sakr, menaçant de le remettre à la justice libanaise (qui l’avait condamné à mort par contumace). Finalement, les Israéliens sont intervenus et ont assuré le départ de Sakr pour les États-Unis… Voilà comment ils agissent. Dire que c’est entre leurs mains que nous avons placé notre sort pendant des années…». Amertume, révolte, tristesse et inquiétude, tel est aujourd’hui le quotidien de ces miliciens qui ont décidé, au bout du compte, de choisir l’État libanais. «Quelle que soit sa décision, je prends le risque, explique Élias. Si je mérite d’être condamné, je suis prêt à aller en prison. Au moins, je saurai enfin à quoi m’en tenir…» Le sort de ces anciens miliciens est donc désormais entre les mains de l’État, mais la décision ne sera certes pas facile. À Jezzine, en tout cas, une page est en train d’être tournée. Pourvu que celle qui s’ouvre soit placée sous le signe la loi.
Ils s’étaient enrôlés en 1985 parce qu’ils croyaient à «la cause» ou parce que leurs partis respectifs le leur avaient demandé. Aujourd’hui, au fil des années et des batailles perdues, et après avoir enterré bon nombre de leurs camarades harcelés par la résistance, ils se sentent totalement perdus et abandonnés. Depuis l’annonce du retrait de l’ALS, ils se réunissent...