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Actualités - REPORTAGES

Justice - Un rapport du service des avis et de législation relance l'affaire des objets de fouilles Irrégularités de procédure et violations de la loi

Une consultation du service des avis et de législation au ministère de la Justice relance l’enquête sur les objets de fouilles, ouverte au début du mois de mars par le parquet financier. Demandé par le ministre de la Culture, ce rapport exhaustif relève les multiples irrégularités dans la procédure suivie par l’avocat général financier M. Khaled Hammoud, et rappelle que la loi régissant les objets de fouilles au Liban, qui remonte à 1933, autorise la libre possession de pièces antiques par les particuliers. Une façon discrète de dénoncer la précipitation judiciaire dans cette affaire et surtout de mettre un terme aux dérives éventuelles de la justice. C’est dans la plus grande discrétion que le service des avis et de législation au ministère de la Justice a planché sur le dossier des objets de fouilles, à la demande du ministre de la Culture, M. Mohamed Youssef Baydoun. Finalement, après une recherche minutieuse, il a présenté son rapport rédigé par M. Antoine Breydi et signé par le directeur de ce service, le magistrat Ghaleb Ghanem. M. Breydi a longuement étudié la loi régissant les objets de fouilles au Liban, qui remonte à 1933, à l’époque du Mandat, avant de montrer que la procédure suivie par l’avocat général financier est entachée de nombreuses irrégularités. Un petit rappel des faits s’impose : début mars, le procureur général financier Ahmed Takieddine (il a été remplacé il y a une semaine par M. Khalil Rahal) demande à l’avocat général financier Khaled Hammoud d’enquêter sur une note d’information reçue en septembre 1997, selon laquelle il y aurait du gaspillage de fonds publics à la Direction générale des antiquités. Après un examen rapide du dossier, M. Hammoud estime qu’il s’agit plutôt de la disparition d’objets de fouilles appartenant à l’État. Il décide donc l’ouverture d’une enquête sur ce sujet. Hasard ou pas, cette initiative coïncide avec la promulgation d’une nouvelle loi en Syrie sur les objets de fouilles qui prévoit une très grande sévérité dans le commerce des pièces antiques et la restitution des objets vendus ou cédés lorsque le Liban et la Syrie étaient régis par la même loi (en fait un arrêté ayant force de loi) adoptée sous le Mandat français. Le ministre de la Culture syrien, Mme Najah Attar, a même effectué une visite au Liban pour vérifier si certaines pièces disparues de Syrie se trouvent au Liban. La décision d’ouvrir une enquête prise, l’avocat général financier décide aussitôt d’effectuer des perquisitions chez tous ceux qui pourraient détenir des objets de fouilles. Il réquisitionne ainsi la plupart des pièces trouvées et décide le 18 mars de visiter le palais Pharaon, acheté par l’homme d’affaires libanais, Robert Moawad. L’avocat de ce dernier, Me Joe Khoury-Hélou, se rend sur les lieux à l’heure dite. Il est surpris par le nombre de journalistes et d’agents des FSI présents sur place. Le responsable de la Direction générale des antiquités, relevant du ministère de la Culture, Chaker Ghodbane, est tout aussi surpris et demande un report de deux heures de la visite, dans l’espoir que la foule se disperse. En vain. L’avocat général décide de saisir les objets trouvés dans ce palais et délivre une commission rogatoire à la Direction générale des antiquités afin qu’elle prenne possession de toute pièce qu’elle considérera comme propriété de l’État. Or, la DGA n’a pas une liste des objets de fouilles appartenant à l’État. Par conséquent, quels seront les critères dont elle tiendra compte pour faire son inventaire ? Et sur quels fondements juridiques se basera-t-elle pour déposséder les détenteurs actuels des objets de fouilles ? Possession vaut titre… Ce sont ces questions sans réponses qui ont poussé le ministre de la Culture à demander une consultation au ministère de la Justice. Et la réponse est arrivée il y a une dizaine de jours, sans équivoque. Selon le rapport établi par le juge Breydi, l’arrêté n° 166 qui tient lieu de loi sur les antiquités au Liban (et jusqu’à récemment en Syrie) consacre la libre possession des objets de fouilles, sauf en matière de biens immeubles. Dans ce cas, la DGA peut prendre l’initiative de répertorier un immeuble et le propriétaire ne peut alors en modifier l’aspect. De même, la DGA peut demander l’enregistrement d’un bien immeuble comme pièce d’antiquité et, dans ce cas, son propriétaire ne pourra pas le détruire ou le restaurer sans son accord. Mais, en matière de biens meubles, la DGA peut aussi demander leur enregistrement, auquel cas ils ne peuvent être déplacés ou restaurés sans son accord. Si le propriétaire décide de les vendre, la DGA peut alors exercer un droit de préemption. Ces cas exceptés, la loi de 1933 reconnaît la libre possession des objets de fouilles et applique le principe suivant : «En matière de biens meubles, possession vaut titre». Il suffit donc que le propriétaire montre de façon sans équivoque sa possession, pour que sa propriété soit établie. Pour faire le commerce des objets de fouilles, il faut obtenir une licence de la DGA, de même que pour l’exportation de ces mêmes objets qui est plus sévèrement réglementée, mais en 1933, entre le Liban et la Syrie considérés par les autorités mandataires comme une seule unité juridique, il ne pouvait être question d’exportation. Dans son rapport, le service des avis et de législation relève que la loi toujours en vigueur reconnaît comme principe de base la bonne foi du propriétaire des objets de fouilles. Si celui-ci peut faire état d’une possession notoire, permanente et sans équivoque, il ne peut être dépossédé de ses biens. Enfin, toujours selon la loi, si la DGA considère qu’il y a un litige sérieux avec un particulier sur la possession d’un bien, seul un tribunal est habilité à le trancher. Par conséquent, les réquisitions de l’avocat général financier sont en violation de la loi, ainsi que la commission rogatoire qu’il a adressée à la DGA, lui demandant de répertorier des objets appartenant à des particuliers ; ce qui est une manière de les déposséder. L’affaire Moawad Mais la goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été l’affaire Robert Moawad. Non content de réquisitionner les objets se trouvant au palais Pharaon, l’avocat général financier délivre à son encontre un mandat d’amener devant la brigade de lutte contre les vols internationaux, le convoquant pour le 30 mars. Il l’accuse d’avoir fait sortir du Liban une tête de Jupiter et une peau de gazelle portant une inscription attribuée au prophète Mohammed. La nouvelle a été publiée dans la presse, avant que M. Moawad ne soit notifié de sa convocation. L’avocat de l’homme d’affaires, Me Khoury-Hélou, en appelle au procureur général Adnane Addoum qui demande à la brigade de ne pas prendre la moindre initiative sans son accord personnel. Mais l’avocat général financier insiste sur la présence personnelle de l’homme d’affaires et menace de lancer un avis de recherche s’il ne se présente pas à la convocation. Il ne tient pas compte des affirmations du fils d’Henri Pharaon, M. Naji Pharaon, qui précise que tous les objets de valeur qui se trouvaient au palais Pharaon avaient été vendus bien avant que M. Moawad n’achète la villa. De plus, l’homme d’affaires a obtenu plusieurs jugements émis par des tribunaux confirmant ses titres de propriété sur les objets de fouilles réquisitionnés au palais Pharaon. Choqué, M. Moawad menace à son tour de geler ses intérêts au Liban. La nouvelle est si grave que le président du Conseil et le ministre des P et T lui présentent des excuses. De son côté, le procureur général Addoum en fait une affaire personnelle et exige d’être préalablement informé de toute nouvelle initiative dans ce dossier. L’avocat général est en pratique dessaisi de l’affaire, qui est désormais entre les mains de la DGA. Avec la consultation publiée par le service des avis et législation au ministère de la Justice, elle pourrait prendre une toute nouvelle tournure. Quant à l’enquête sur la dilapidation de fonds publics à la DGA évoquée dans la note déposée devant le parquet financier en 1997, elle est désormais confiée au juge d’instruction de Beyrouth Raymond Oueïdate. Ce dernier est d’ailleurs sur le point de la clôturer et de publier un acte d’accusation. Voilà comment une affaire qui a failli discréditer la justice a été rattrapée de justesse par les personnes concernées. Et pour éviter de nouvelles dérives, le nouveau procureur général financier, M. Khalil Rahal, a décidé lundi une redistribution des dossiers, ainsi que des mesures strictes de discrétion afin de respecter la dignité des personnes. La crédibilité de la justice est à ce prix.
Une consultation du service des avis et de législation au ministère de la Justice relance l’enquête sur les objets de fouilles, ouverte au début du mois de mars par le parquet financier. Demandé par le ministre de la Culture, ce rapport exhaustif relève les multiples irrégularités dans la procédure suivie par l’avocat général financier M. Khaled Hammoud, et rappelle que...