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Actualités - INTERVIEWS

Au-delà du fourre-tout dit mondialisation Michel Serres : brève leçon de pédagogie comparée ... (photo)

Répondant à l’invitation du père Sélim Abou, recteur de l’Université Saint-Joseph, et du doyen de la Faculté de médecine, le professeur Pierre Farah, l’académicien et philosophe Michel Serres est de passage à Beyrouth. Il donnera une conférence publique demain vendredi 24 avril sur «Les nouvelles technologies et leurs conséquences», mais rencontrera également des jeunes des Facultés de médecine et de sciences humaines. Par ailleurs, M. Serres participera également à l’Assemblée générale de l’AUPELF-UREF qui se tiendra lundi 27 et mardi 28 au palais Unesco. Discussion à bâtons rompus avec cet «apôtre du renouvellement de l’enseignement» sur la mondialisation. Pour Michel Serres, le phénomène de «globalisation» n’est pas nouveau. Le passé, proche et lointain, en est un exemple. «Il y a deux millénaires, la Méditerranée en entier vivait une globalisation commerciale et scientifique», rappelle-t-il. «A un certain moment, il y a eu une langue de communication qui était le grec, et toute la Méditerranée parlait grec. Quelques siècles plus tard, elle a parlé latin, puis arabe, puis français et aujourd’hui elle parle anglais. La différence est qu’il ne s’agissait pas d’une globalisation de la planète entière, mais d’une région», souligne-t-il, «et c’est cela qui est nouveau. On ne peut donc pas dire qu’il y a un changement de nature, mais plutôt d’échelle. Nous sommes passés de la communauté scientifique ou commerciale à une communauté réellement mondiale, et ce changement est évidemment très important». Dans le domaine de l’enseignement, on assiste dans certains établissements à la disparition, peu à peu, du cours magistral. On opte plutôt pour l’étude de «cas». L’étudiant travaille et réfléchit lui-même sur un problème ou un sujet; le professeur est simplement présent pour superviser, pour une introduction ou une synthèse... A la question de savoir si les disciplines fondamentales risquent ainsi de perdre leur place, Michel Serres répond que «dans cette optique, il est intéressant d’opposer le pragmatisme anglo-saxon et la manière d’enseigner dans les pays d’héritage latin-grec-arabe. La Méditerranée», note-t-il, «est en général plus déductive. Les pays anglo-saxons sont pour leur part plus empiriques. Cela se retrouve dans l’enseignement». Enseignant actuellement à Paris et à Stanford, en Californie, l’académicien note en effet qu’«en Amérique, il est tout à fait normal que l’étudiant coupe la parole au professeur s’il a besoin d’un éclaircissement; ce qui n’est pas le cas en France ou dans les pays latins. Toutefois, précise-t-il, je crois que ce sont plutôt des distinctions de type pédagogique que des distinctions de type scientifique profond. C’est une manière de transmettre le savoir; une méthode et non pas une philosophie des sciences». Et d’ajouter: «Au bout du compte, il est bien clair que le savoir fondamental restera quand même fondamental (comme la mathématique, pour ceux qui enseignent les sciences ou la biochimie pour ceux qui enseignent la médecine)». Osmose Il note cependant que toute méthode pédagogique laisse des traces et influence le sujet. Prenant l’exemple de deux ingénieurs, un Méditerranéen et un Américain, à qui on confierait la construction d’un pont, Michel Serres affirme que «la première action de l’ingénieur américain sera de se rendre dans les bibliothèques pour une recherche sur tous les ponts de ce genre qui ont déjà été construits. Pour sa part, l’ingénieur de la Méditerranée commencera immédiatement à faire des calculs: résistance du sol... Il est plus théoricien, plus près des conditions pratiques. Il déduit son pont. L’Américain, lui, est «historien». Là , ajoute-t-il, il ne s’agit plus de phénomène de mondialisation mais d’osmose entre le pragmatisme anglo-saxon et le caractère plus théorique des pays de la Méditerranée». «Plonger l’étudiant d’emblée dans la pratique sans lui donner auparavant des notions fondamentales serait aussi sot que de le laisser absorber des choses abstraites sans lui permettre de les expérimenter». Quant à savoir ce que deviendra l’enseignement lorsque démarrera l’«université virtuelle» sur Internet, Michel Serres indique qu’«il faudra alors entièrement «repenser» l’enseignement. Dès que les multimédias commenceront à avoir de l’influence sur le métier de pédagogie, tout changera», insiste-t-il. «Comprise ainsi, la mondialisation n’est autre que la rencontre entre différents types de tempéraments. Je pense pour ma part qu’un mélange est toujours positif. Plus il y a de rencontres entre les civilisations, les langues et les manières de penser, plus le résultat est enrichissant». Michel Serres souligne qu’il ne faut pas confondre entre langue de communication et langue universelle. Pour lui, toutes les langues ont un rôle à jouer. «A l’époque où le latin était langue de communication, il y a eu d’autres langues qui ont produit des œuvres de génie, littéraires ou scientifiques», dit-il. Et de rappeler que «si l’anglais est aujourd’hui langue de communication, elle ne le sera peut-être plus demain. Par ailleurs, cela n’empêche pas qu’une autre langue reste importante, dans plusieurs domaines». «Tête» médicale Au cours de son séjour à Beyrouth, Michel Serres rencontrera des étudiants en médecine. Sans être un spécialiste de médecine, il déclare que «pour le philosophe, le médecin est un être très particulier et très intéressant. Il existe une «tête» médicale parfaitement définissable», ajoute-t-il. «Le médecin est obligé de mêler l’enseignement qu’il a de la maladie et celui qu’il a du malade. D’une part, il y a le savoir médical, d’une autre, un cas médical, une personne humaine, vivante, unique et qui souffre d’une manière unique. Le médecin est donc un homme qui est à la fois universel dans son savoir et singulier dans son métier, et c’est ce qui le distingue de tout autre homme de science». «La médecine traverse une situation difficile», poursuit Michel Serres. «Elle a appris à guérir et a oublié de soigner». Repensant aux années cinquante, il rappelle qu’«on peut dater de cette époque le moment où la médecine est devenue réellement efficace. C’est l’arrivée de la grande science médicale, l’époque où le prix Nobel de médecine est devenu prix Nobel de sciences médicales. Nous avons tous hérité et bénéficié de la génération des médecins scientifiques, grâce à laquelle on a fait reculer l’heure de la mort», poursuit-il. «Toutefois, le médecin est passé un peu plus du côté de la science et un peu moins du côté du «cas». Aujourd’hui, toute cette science est assimilée de façon définitive par les professeurs de médecine, les facultés, l’enseignement, les étudiants... Elle est devenue un bien commun. Il reste maintenant au médecin à reprendre son profil traditionnel et à le reformer en lui redonnant le sens de la singularité». Rappelons enfin que Michel Serres donnera demain vendredi 24 avril à 18h, au Campus des sciences médicales de l’U.S.J (rue de Damas), une conférence publique sur «Les nouvelles technologies et leurs conséquences». «A l’époque où Edith Cresson était premier ministre en France, elle m’avait chargé de faire un rapport sur l’«université à distance», explique-t-il. J’ai alors pris mon bâton de pèlerin, je suis allé un peu partout dans le monde et en France. J’ai beaucoup réfléchi sur ces questions et c’est le fruit de ces réflexions qui fera l’objet de ma conférence». Retour à la mondialisation pour une conclusion «rassurante»: «Je crois que la mondialisation ne fait peur que si on oublie que nous savons toujours créer de la différence. Or nous en recréons toujours...»
Répondant à l’invitation du père Sélim Abou, recteur de l’Université Saint-Joseph, et du doyen de la Faculté de médecine, le professeur Pierre Farah, l’académicien et philosophe Michel Serres est de passage à Beyrouth. Il donnera une conférence publique demain vendredi 24 avril sur «Les nouvelles technologies et leurs conséquences», mais rencontrera également des...