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Actualités - INTERVIEWS

Dans une interview exclusive à l'Orient Le Jour Barre optimiste : la livre libanaise retrouvera sa place de monnaie de choix La paix au P.O. pourrait s'édifier autour de l'eau, facteur potentiel d'accord, estime l'ancien premier ministre français (photo)

La dollarisation? Un phénomène normal dans le cas du Liban; mais la livre se renforce de jour en jour et avec le temps, elle devrait retrouver sa place de monnaie de choix. La paix au Proche-Orient? Elle pourrait s’édifier autour de l’eau, facteur potentiel d’accord, comme le furent autrefois pour l’Europe l’acier et le charbon. En visite au Liban pour la signature d’un accord de partenariat Lyon-Beyrouth puis d’une «charte d’amitié» entre le sixième arrondissement de Lyon et Deir el-Qamar (VOIR PAGE 5) l’ancien premier ministre de France, M. Raymond Barre, a abordé pour «L’Orient-Le Jour» les grands thèmes de l’actualité économique, bien entendu, mais aussi politique. Question: Comment situez-vous le libre échangisme économique dans les relations multilatérales actuelles? Réponse: L’expérience m’a montré que les partenaires, lors des échanges économiques, avaient toujours intérêt à éliminer les obstacles qui peuvent freiner ces échanges. Même si des polémiques se sont engagées à propos du libre échangisme économique et du protectionnisme, certains prétendant que le premier est destructeur, d’autres pensant que le protectionnisme favorise le développement. Il est un fait que la France elle-même, dans les années 50, s’est ouverte aux échanges et a largement bénéficié des avantages de ces échanges. La principale raison étant que ces échanges libres favorisent la compétition. Les entreprises, les acteurs économiques sont ainsi contraints de s’adapter à cette compétition. Le résultat est qu’ils deviennent plus compétitifs. Au contraire, une entreprise qui vit sur un marché protégé a tendance à s’endormir. Le succès des entreprises françaises à l’heure actuelle vient de leur adaptation forcée, ces dernières années où la globalisation a fait naître une compétition plus âpre. Cela étant, dans certains cas, il est évident que des mesures de protection doivent être prises, mais pour assurer une transition lors de changements brusques. Il est nécessaire que les opérateurs économiques puissent avoir le temps de s’adapter à la compétition mondiale, mais en gardant pour objectif le libre-échange et la compétition. Q: Peut-on encourager les privatisations, y compris celle des services publics? R: Je n’ai pas de position a priori sur les privatisations. Il existe des entreprises publiques qui fonctionnent de façon très efficace. Le principe de base est de privatiser un secteur dès lors qu’il est confronté à une compétition. Ainsi, une entreprise publique engagée dans un secteur concurrentiel ne connaît pas nécessairement toutes les contraintes qu’elle subirait si elle était privée (en matière d’électricité par exemple). Cette entreprise peut recevoir de l’aide de l’Etat, bénéficier d’un certain nombre d’avantages spécifiques et se trouver finalement en position d’infériorité par rapport à des entreprises privées qui, elles, doivent faire face à la compétition. Par ailleurs, on peut admettre que certains services publics, les hôpitaux par exemple, aient un statut particulier, à condition qu’ils soient gérés comme une entreprise privée, selon les règles de la compétitivité. Q: Que penser de la jugulation de l’inflation, au Liban comme ailleurs? R: Je pense que c’est le grand changement entre la décennie 70 et celle de 90, pour le monde entier. En fait, durant de nombreuses années, il y a eu une propension à l’inflation. Les spécialistes pensaient que l’inflation permettait de mettre de l’huile dans les rouages et qu’elle pouvait être une solution aux problèmes de l’époque. En réalité, l’inflation est apparue comme un mal endémique dont il a été difficile de se débarrasser. Depuis 1980, c’est-à-dire après le deuxième choc pétrolier, les Banques centrales et les gouvernements ont décidé de revenir à des politiques de stabilité; ce qui caractérise le monde d’aujourd’hui, c’est une culture de stabilité. Il est frappant de voir combien des pays totalement différents, sont tous attachés à la stabilité. Le dernier exemple important est celui de la Chine qui après avoir connu une période d’inflation, s’active à atteindre une stabilité économique. Une telle stabilité économique sera un pilier fondamental du XXIe siècle. Q: Dans ce contexte, quelle vision avez-vous des régions émergentes? R: L’un des traits les plus importants de la période actuelle est certainement le développement rapide d’un certain nombre de régions du monde qui ne peuvent se maintenir dans le retard économique qui les caractérisait jusque-là. Ces régions ont fait des efforts considérables pour accroître leurs productions et améliorer le niveau de vie de leurs populations. Cela est vrai de l’Asie; même si des problèmes financiers existent actuellement, ils ne sont pas de nature à faire perdre à ce continent l’importance qu’on lui a accordé jusqu’ici. Il en est de même pour l’Amérique du sud où plusieurs pays — Argentine, Chili, Brésil — ont accompli de grands efforts pour s’engager sur la voie du développement dans la stabilité. Enfin, l’Afrique, que l’on croyait perdue, fait preuve depuis un certain nombre d’années, d’une volonté de se développer et de suivre les recommandations du FMI. Le fait que les pays développés ouvrent leurs marchés aux pays en développement est un facteur bénéfique pour tous. En effet, les exportations des pays industrialisés vers les autres régions du monde représentent un poids important dans l’économie mondiale et cela est possible grâce à l’ouverture des frontières. Le deuxième élément déterminant est l’accroissement des échanges financiers dans cette «planète financière mondiale» qui s’est créée depuis quelques années. Les problèmes de financement sont résolus de façon beaucoup plus efficace grâce à la libre circulation des capitaux et à la dérégulation monétaire. Toutefois, cette mondialisation financière exige que les pays mènent des politiques crédibles qui justifient la confiance des investisseurs étrangers. Q: La région du Moyen-Orient où se trouve le Liban, connaît une croissance démographique très importante et des revenus en baisse. Dans un tel contexte, peut-on parler de pays émergents? R: Le Moyen-Orient n’a pas bénéficié jusqu’ici de ce facteur fondamental pour le développement qu’est la paix. D’un autre côté, les conflits sont provoqués par le développement de certains pays de la région. Or, tous ces pays possèdent des atouts pour le développement, notamment, le pétrole qui non seulement sert les pays qui sont producteurs, mais aussi ceux sur lesquels cette production rejaillit. Il serait sans doute intéressant de penser à des formules analogues à celles employées après guerre en Europe occidentale, lorsque l’acier et le charbon étaient source de conflits graves entre les nations européennes. Ceux-ci ont été transformés en prétexte à s’unir dans les années 50, pour former une communauté qui allait devenir ensuite l’Union européenne. Pour la région du Moyen-Orient, l’eau ne pourrait-elle pas être à l’origine d’une entente, d’une «communauté de l’eau»? Cette solution serait porteuse de fruit et de paix. S’agissant du Liban plus particulièrement, j’ai été frappé par le fait qu’un début de paix a déjà permis au peuple libanais de s’engager sur le chemin de la reconstruction. Je suis positivement surpris par la solidité des structures bancaires et monétaires qui permettent au Liban de recevoir les financements nécessaires à sa reconstruction. A côté de cela, il existe une vitalité hors pair des acteurs économiques qui permet au Liban, notamment sur le plan financier, de retrouver une place régionale de premier plan. Je vois très bien, dans une perspective de paix, le Liban devenir à nouveau la Suisse du Moyen-Orient. Q: Pour conclure, pouvez-vous commenter ces quelques chiffres pour 1997: le PNB du Liban est de 14 milliards de dollars, l’inflation de 6% par an, la croissance nette n’est que de 3%. L’endettement est de 14 milliards de dollars dont 3 milliards pour la dette externe. La dollarisation de l’économie libanaise atteint 66%. R: La dollarisation est un phénomène fatal dans un pays qui reçoit l’essentiel de ses ressources de l’étranger où les marchés de capitaux sont généralement en dollars. Dans ces conditions, il est normal que la Banque centrale ait d’importantes réserves en dollars. Par ailleurs, les Libanais, après avoir perdu confiance dans la monnaie nationale, ont trouvé naturellement refuge dans le dollar. Toutefois, rien n’est irréversible en la matière. D’autre part, il est un fait que la livre se renforce de jour en jour; avec le temps, elle retrouvera sa force, sa stabilité naturelle et son rang d’une monnaie de choix. S’agissant de l’endettement, il est vrai que le poids de la dette est lourd; il est malheureusement le fardeau, le prix à payer pour les tragiques événements que ce beau pays a connus durant des années. Cela étant, un pays vient toujours au bout de sa dette, pourvu qu’il soit bien géré. Il est à noter qu’avec une dette externe de 3 milliards de dollars, le Liban est dans une position tout à fait maîtrisable. Quant à la dette interne, si le taux d’épargne est élevé, celle-ci ne peut qu’être absorbée sans douleur.
La dollarisation? Un phénomène normal dans le cas du Liban; mais la livre se renforce de jour en jour et avec le temps, elle devrait retrouver sa place de monnaie de choix. La paix au Proche-Orient? Elle pourrait s’édifier autour de l’eau, facteur potentiel d’accord, comme le furent autrefois pour l’Europe l’acier et le charbon. En visite au Liban pour la signature d’un...