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Actualités - CHRONOLOGIE

Tendances - Cet hiver, le vêtement affiche ses origines Oser l'ethnique

Le prêt-à-porter s’est toujours inspiré de la tradition et sans artisanat il n’y aurait pas de haute couture. Cette année, parallèlement à l’invasion du gris, la tendance ethnique s’accentue : si le monde est devenu un village, pourquoi s’habiller city? On voyage de plus en plus et de plus en plus loin. On se familiarise avec d’autres cultures, et au retour, chargé de bagages et d’émotions, on les adopte, histoire de prolonger les vacances. S’impose enfin l’attitude socio-écologique : ranimer dans le tiers et le quart-monde des métiers qui ont fait la prospérité de classes aujourd’hui défavorisées par l’invasion industrielle. Sans compter le nouveau concept de Philippe Starck : relancer la mode du coton brut pour orienter les pays producteurs de pavot (notamment en Amérique latine) vers une agriculture plus clean. À Beyrouth, le vêtement artisanal se porte facilement chez soi, mais ne sort qu’au prix d’une grande audace. Il est vrai que chez nous, tout ce qui touche au folklore est réservé à la scène. S’habiller ethnique revient-il donc à se donner en spectacle? «Peu de femmes et d’hommes savent où et quand mettre nos vêtements». Nadia el-Khoury, prêtresse des Artisans du Liban et d’Orient, a l’art de précéder les tendances et semble douter que les Libanaises acceptent de suivre le mouvement. Il y a pourtant de quoi rêver dans cette boutique en bord de mer, mi-bazar, mi-comptoir du bout du monde, où se mêle tout ce que la Méditerranée orientale produit de senteurs, de textures, de couleurs et de froufrous. Robes sans manches en najafi brodées de petits poissons en perles, abayas du même tissu semées de minuscules broches en argent massif, jupes en korneiche, satin de Syrie naturellement indéfroissable – Issey Miyake ne le bouderait pas ! – chemises en soie ou en coton bruts, col Mao ; pantalons en drap élastiqués d’inspiration sherwal, robes traditionnelles de Hama en soie tissée sur métier – il a fallu convaincre les ouvrières de ne pas les teindre pour en souligner la pureté – gilets tibétains bordés de fausse-fourrure... On trouve même un proche cousin du fameux manteau déstructuré d’Hermès.«En chinant aux puces, j’ai récupéré la doublure d’un vieux manteau militaire qui m’a inspiré ce modèle». Nadia el-Khoury reconnaît qu’en matière de mode les créateurs boivent souvent aux mêmes sources. Si les Koweïtiennes ont adopté Les Artisans comme but de shopping au Liban, les Libanaises, elles, continuent à douter que ces vêtements-là soient portables. Est-ce dû au rapport épineux qu’elles ont depuis près d’un siècle à leur identité orientale? Certaines pourtant, comme Ginane Mahmassani, ont adopté ce look comme une seconde peau : «Je sens que c’est mon style, je porte rarement autre chose. Quand je vivais à Paris, je chinais aux puces des robes du début du siècle que je faisais restaurer. J’aime les vêtements qui ont une âme, qui racontent une histoire. Chez Les Artisans, comme chez Assyla et d’autres, on trouve une mode à part, authentique et qui exprime l’authenticité de celle qui l’adopte». Chez Assyla, justement, Hareth Haïdar et son associée Najwa Sinno ont constitué en dix ans une véritable collection de broderies et de tissus précieux prélevés sur des vêtements anciens. «Notre procédé est empirique. C’est autour de la broderie choisie que nous concevons le patron, toujours à partir d’un modèle d’époque. Nous dessinons à même le tissu». Depuis sa boutique en face de l’hôtel Palmyra, Haïdar embrasse Baalbeck du regard. Pour lui, cette ville est mère de tous les raffinements. «Dans l’Antiquité, les soies provenaient de Chine, étaient cousues et brodées à Baalbeck et vendues en Égypte. Au temps des Mamelouks, le coton produit dans la Békaa était aussi célèbre que le coton indien. Chaque prince, chaque sultan avait dans son palais son propre atelier de tissage. Ils frappaient leurs coupons de leur emblème et les offraient comme le plus précieux des cadeaux. Quel archéologue trouvera-t-il aujourd’hui ne serait-ce que la trace d’une plantation de coton ou d’une filature de cette époque? Les petites mains et brodeuses que nous employons travaillent à demeure. Leurs gestes sont intuitifs. Elles n’ont jamais appris le métier mais semblent le posséder par atavisme». Immuable, indémodable, le vêtement traditionnel traverse le temps sans une ride. Epuré au niveau de la forme, précieux par ses broderies, il est fait pour durer. Alors? Fripes à part pour une société à part? N’y aurait-il que des marginaux, des excentriques, des artistes ou des intellos pour les endosser? Faudra-t-il toujours la caution d’une marque prestigieuse pour rendre portables des modèles proposés ici avec trois ans d’avance?
Le prêt-à-porter s’est toujours inspiré de la tradition et sans artisanat il n’y aurait pas de haute couture. Cette année, parallèlement à l’invasion du gris, la tendance ethnique s’accentue : si le monde est devenu un village, pourquoi s’habiller city? On voyage de plus en plus et de plus en plus loin. On se familiarise avec d’autres cultures, et au retour, chargé de bagages...