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Actualités - REPORTAGE

Demain, dernier soir Randa Ghossoub fait swinguer la rue Allenby (photo)

1976, rue Allenby, enfer de feu et de sang. 1998, un vendredi de septembre, 22h10 pour toujours: l’horloge est peinte. Des passants, badauds, promeneurs attardés, qui viennent de loin parfois. Un Chinois, semelles usées, tibias gonflés de grand marcheur, des couples trop blonds avec landaus, des autochtones, des rangés, des grungies. On croirait rencontrer le monde entier dans cette ruelle de sinistre mémoire à présent meublée de vieilles chaises en osier et de tables de cousette, éclairée a giorno comme pour une fête. Et tout à coup, inattendue, la fête commence. Et tout à coup, une voix s’infiltre dans l’air fraîchissant, infuse du bonheur à cette foule disparate, la compacte, l’intimise. Alors comme un seul homme, suspendu à cette voix-là, on a envie de croire à ce bonheur-là: que Beyrouth ressuscité — et non pas relifté — tient enfin sa promesse. Si elle se trouve là, avec tous les musiciens du «Midnight Groove» à l’invitation de Solidere, Randa Ghossoub est d’abord venue pour le plaisir de faire plaisir, pour le «fun». Malgré sa bosse de la bossa-nova, elle n’est pas fille d’Ipanema mais Libanaise pur jus. Dans sa famille, depuis au moins trois générations, tout le monde chante ou joue d’un instrument. Un grand-père pharmacien doublé d’un saxophoniste lui a donné le goût du jazz. Une grand-mère brésilienne, elle lui a appris les principaux airs de bossa avec les paroles en portugais. Quand un vendredi soir, rue Allenby (il vous reste encore demain) vous serez pris au cœur par les premiers accents d’une ballade (My Funny Valentine, ou My Foolish Heart), quand vous serez pris à la hanche d’un mouvement irrépressible aux premières notes de «All of Me», quand, en écoutant «My Heart Belongs to Daddy» vous vous sentirez couvert (e) de paillettes, quand vous reconnaîtrez le bon vieux «Summertime» ou encore «Nature Boy» en version funk: alors vous comprendrez que cette fille a charrié dans sa voix tant d’autres voix, y compris cette petite voix en vous qui appelle le rêve. Après, elle chantera sous sa douche, en attendant la suite. Communicatrice professionnelle, elle créera sans doute d’autres événements. Randa Ghossoub, en cinq vendredis, aura réussi ce tour de force de convaincre sceptiques et blasés que ce centre-ville de toutes les discordes vit bien sa vie au présent et non en puissance, et s’imbibe et s’embaume de toutes les vibrations bénéfiques de la jeunesse et de l’art. Et que l’on n’aille pas croire que de telles initiatives n’ont d’autre objectif que de faire vendre les bureaux et galeries d’un quartier à peine sorti des limbes.
1976, rue Allenby, enfer de feu et de sang. 1998, un vendredi de septembre, 22h10 pour toujours: l’horloge est peinte. Des passants, badauds, promeneurs attardés, qui viennent de loin parfois. Un Chinois, semelles usées, tibias gonflés de grand marcheur, des couples trop blonds avec landaus, des autochtones, des rangés, des grungies. On croirait rencontrer le monde entier dans cette ruelle...