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Actualités - ANALYSE

Présidentielle : controverse larvée à l'est sur le rôle de Bkerké

Aux visiteurs qui défilent à Bkerké, et qui sont le plus souvent animés d’une insatiable curiosité sur le chapitre de la présidentielle, le patriarche Sfeir se voit contraint de répéter qu’il ne lui appartient pas d’avoir des préférences personnelles, de soutenir tel ou tel candidat. Et que son rôle se limite à indiquer les qualités dont devrait jouir le futur président, ajoutant que si un besoin de clarification se fait sentir, le prochain communiqué de l’assemblée des évêques maronites y répondra. Il est cependant évident que les critères retenus obéissent à deux impératifs: une personnalité qui inspire confiance, ce qui résume toutes les spécifications requises d’abord; et ensuite une ligne politique qui aille dans le sens des constantes nationales toujours prônées par Bkerké, dont la souveraineté… Il est tout aussi évident que le patriarche, père de tous, ne peut pas prendre parti pour l’un ou pour l’autre. Et que, s’il le faisait, il rendrait le siège patriarcal comptable, le cas échéant, des erreurs que commettrait plus tard le candidat, s’il devait être élu. Autrement dit, Bkerké se verrait impliqué dans la politique politicienne, ce qui est proprement impensable. Bien que reconnu par toutes les parties comme étant un recours national, ou plutôt à cause même de cette position distinctive sinon supérieure, le patriarcat doit garder une attitude d’observateur vigilant, pour critiquer ou encourager le pouvoir, et le choix d’un nouveau président, en toute libre conscience. En d’autres termes, le siège patriarcal se veut un mentor d’opinion publique générale. Et un censeur plutôt qu’un encenseur, en ce qui concerne les actes de gouvernement, le système en place et la politique qu’il suit. Une autorité morale de contrôle qui s’exerce naturellement d’une façon préférentielle sur le comportement de la présidence de la République, étant donné que c’est la communauté maronite qui en fournit le titulaire. Une transposition en quelque sorte de l’adage qui conseille de balayer devant sa propre porte avant de se soucier du voisinage… Autre raison pratique, presque superfétatoire du reste, de ne pas soutenir tel ou tel candidat: la fonction peut changer les hommes, souvent dans le mauvais sens car, comme on dit, le pouvoir corrompt. Dès lors, le postulant qu’on appuierait parce qu’il présenterait une configuration idéale pourrait à l’usage se révéler désastreux, et on n’en finirait pas de gloser sur le manque de clairvoyance du patriarcat, dont le prestige en prendrait un sérieux coup. Une prudence qui s’explique aussi par le fait tout simple que le système triangulaire en place étouffe les qualités personnelles pour exalter les défauts — les vices également — de l’attelage dit troïka. A cette règle, tout impétrant doit se soumettre ou se démettre. Et, en principe, on ne peut trop en attendre, ni le charger de trop d’espérances car son pouvoir singulier est en tout cas des plus limités. L’antithèse Bkerké reste donc au-dessus d’une mêlée nécessairement confuse. Ce qui déçoit sourdement nombre d’instances ou de groupements politiques chrétiens dont le point de vue est que le patriarche doit assumer un rôle de phare, éclairer la voie en désignant les candidats qui, à ses yeux, sont qualifiés pour servir la patrie en cette phase délicate qu’elle traverse. Une responsabilité de sélectionneur d’autant plus nécessaire à leurs yeux que le camp chrétien a pratiquement perdu ses guides, ses forts leaderships qui jadis faisaient pour lui les choix requis. Les défenseurs de cette antithèse développent ensuite les arguments suivants: — Le camp mahométan n’est pas directement concerné par l’échéance, alors que le camp chrétien, et plus particulièrement sa composante maronite, l’est totalement. Investi dès lors d’une lourde responsabilité à caractère national, ce camp doit tout mettre en œuvre pour faire le bon choix. Et avoir des chances sérieuses de le voir adopter par la Chambre. — Les blocs parlementaires, les partis, les leaderships maronites qui orientaient ce choix ont disparu de la scène ou n’y jouent plus qu’un rôle effacé. La seule voix autorisée qui puisse encore parler pour les maronites est celle de Bkerké, et elle doit donc se faire entendre quand des intérêts communautaires aussi cruciaux sont en jeu. — Si, comme cela est fort possible à cause des déséquilibres connus, un candidat devait être élu hors de la liste des postulants agréés que Bkerké aurait proclamée, le patriarcat pourrait très librement critiquer d’entrée de jeu ce choix. Et le monde aurait ainsi meilleure conscience des discriminations qui ont cours dans ce pays sous tutelle. — Il n’est pas souhaitable, il est même inadmissible pour la communauté mais aussi pour le Liban que Bkerké se cantonne vis-à-vis d’une échéance aussi importante dans une attitude d’«observateur vigilant» comme le disent ses proches. Sa contribution est d’autant plus requise que l’occasion s’offre enfin de corriger le tir des deux côtés de la barrière: le camp chrétien se verrait redonner une vraie place au soleil et en retour il sortirait de sa bouderie pour participer activement à la vie nationale, politique, économique et sociale. — En s’abstenant de proclamer des préférences, sous prétexte qu’il est le père de tous, le patriarche Sfeir favorise en réalité les «mauvais éléments», puisque le bon grain ne serait pas explicitement séparé de l’ivraie aux yeux de l’opinion chrétienne. L’instance religieuse maronite ne peut aider les chrétiens à se dégager de leur stress, voire de leur désespoir, qu’en montant courageusement au front pour eux, puisqu’il n’y a plus personne pour assumer cette responsabilité concrète. Mais bien entendu ces arguments ne convainquent nullement les autorités religieuses qui, outre les limites qu’elles doivent s’imposer en politique pour éviter la confusion des genres, pensent d’une manière réaliste qu’il faut laisser le choix sous la responsabilité de décideurs qui, en tout cas, n’en feraient qu’à leur tête. Ceci pour se distinguer d’eux…
Aux visiteurs qui défilent à Bkerké, et qui sont le plus souvent animés d’une insatiable curiosité sur le chapitre de la présidentielle, le patriarche Sfeir se voit contraint de répéter qu’il ne lui appartient pas d’avoir des préférences personnelles, de soutenir tel ou tel candidat. Et que son rôle se limite à indiquer les qualités dont devrait jouir le futur...