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Actualités - REPORTAGE

Rien ne montre que l'Irak vit une période de fin de règne

BAGDAD, de notre envoyé spécial Paul KHALIFEH Dans les escaliers de l’hôpital central de pédiatrie de Bagdad, résonnent les longs sanglots d’une femme en détresse. Soutenue par un homme, elle quitte le bâtiment en essuyant ses larmes avec la coin de son voile. Elle a vu agoniser sous ses yeux son enfant de 3 ans. Il n’était pourtant atteint que d’une pneumonie, une maladie qui n’est plus mortelle depuis longtemps. Mais en Irak, les enfants meurent à cause de maladies bien moins graves que celle-là. Ce drame se répète en moyenne quatre fois par jour dans cet établissement de 400 lits, que certaines mères n’hésitent pas à appeler «le cimetière». Hier, elles étaient plusieurs dizaines, portant des enfants maigres et malformés, à manifester devant le siège du PNUD. Si le but de l’embargo qui dure depuis sept ans était de renverser le président Saddam Hussein, il a échoué. Rien ne prouve en effet que le pays vit une période de fin de règne. Au contraire, les bases du régime ont l’air solides. Le blocus a cependant atteint un objectif, celui de replonger l’Irak dans un type de sous-développement que l’on ne rencontre que dans quelques pays d’Afrique. Impact catastrophique L’embargo a eu un impact catastrophique sur tous les secteurs de la société et de l’économie. La santé, l’éducation, l’industrie, l’agriculture, rien ne fonctionne, tout est paralysé. Si le blocus est levé demain, il faudra au moins dix ans pour retrouver le niveau de 1990. Propagande du pouvoir? Absolument pas, car les chiffres fournis par les autorités sont souvent plus modestes que ceux des organisations internationales opérant en Irak! En visitant l’hôpital de pédiatrie, on ressent l’ampleur du drame vécu par la population irakienne. Jadis un des plus importants hôpitaux de la région, l’établissement tombe aujourd’hui en ruine. Les couloirs sont sales, les murs crasseux et certains ascenseurs inopérants. Dans les urgences, il y a 35 lits occupés par autant d’enfants entourés de parents désespérés. «Nous manquons de sérum, de seringues, de gants, d’anesthésiants, de stérilisants, d’antibiotiques...», explique un jeune médecin, le Dr Yasser Raouf Mohammad. «Il n’y a plus de pièces de rechange pour le matériel, notamment les équipements des laboratoires et les radios, ajoute-t-il. Nous n’avons plus les moyens de procéder à des examens de sang sophistiqués sur les hormones et les enzymes par exemple. Nous établissons nos diagnostics à l’aide des stéthoscopes». Le jeune médecin indique que les enfants souffrent surtout de malnutrition, ce qui entraîne une faiblesse de leur système immunitaire. Toutes sortes de maladies, même les plus banales, peuvent alors devenir mortelles. Le Dr Mohammad déclare que pour faire face à cette situation, les autorités ont lancé une campagne nationale de prévention suivante, encourageant notamment les mères à allaiter leurs nourrissons. «Mais nous manquons de vaccins», s’empresse-t-il d’ajouter. La mortalité infantile Les chiffres fournis par le gouvernement illustrent à quel point le système de santé s’est dégradé en Irak en l’espace de sept ans. Avant l’embargo en 1989, 7110 enfants de moins de 5 ans sont morts des suites de maladies. En 1991, 27473 décès ont été enregistrés et un an plus tard, 46933. En 1996, le nombre d’enfants morts en bas âge s’élevait à 56997. En 1989, la mortalité infantile était de 32/1000. Elle a grimpé à 126/1000 en 1996. Entre 89 et 96, le nombre d’interventions chirurgicales sur les enfants a baissé de 70,8% en raison du manque de moyens. Le tableau brossé par M. Denis Halliday, coordinateur de cinq organisations de l’ONU opérant en Irak, n’est pas plus optimiste. Lors d’une rencontre hier avec des journalistes, il a déclaré que 13% des enfants irakiens de moins de 5 ans souffrent de malnutrition chronique. «Certains porteront toute leur vie les traces de cette malnutrition», dit-il. M. Halliday ajoute que l’ONU a noté une très grave régression dans le niveau de l’éducation en Irak, où le nombre d’analphabètes, avait été réduit au minimum à la fin des années 80. «La situation est très mauvaise dans ce domaine, dit-il. Il y a des écoles sans livres et sans papiers. Toute une génération d’Irakiens va se retrouver sans éducation». Il y a plus triste encore. Le pays est en train de se vider de ses cerveaux. L’élite professionnelle formée dans les meilleures universités du monde et que le gouvernement irakien avait réussi à absorber en lui donnant les moyens de ses ambitions, est en train de quitter le pays. «Des centaines de milliers de personnes qualifiées sont parties, indique M. Halliday. Des ingénieurs, des architectes, des physiciens, des médecins, vont chercher du travail ailleurs. Même s’ils laissent leurs familles en Irak, beaucoup ne reviendront pas. Il y a eu entre 4000 et 5000 départs en Malaisie. Et la Malaisie c’est loin. Environ 25000 autres sont au chômage dans leur pays». M. Halliday raconte que lorsque les organisations de l’ONU ont fait passer des annonces pour recruter des chauffeurs, la plupart de ceux qui se sont présentés étaient titulaires de diplômes supérieurs du niveau du DEA. Cela se comprend lorsque l’on sait que le salaire minimum en Irak est de 3000 dinars, c’est-à-dire 2,5 dollars. L’industrie qui s’était considérablement développée avant l’embargo s’est aujourd’hui effondrée. Il n’y a plus de pièces de rechange pour les machines et plus de marchés pour exporter la production. M. Halliday déclare que le président de la Confédération générale des travailleurs d’Irak, qui affirme regrouper 5 millions de membres, est venu le voir pour lui expliquer les conditions de vie des ouvriers. Selon lui, plus de 3 millions de membres n’ont plus les moyens de payer la cotisation mensuelle. La situation des transports en commun n’est guère plus brillante. Les liaisons intérieures aériennes sont suspendues depuis 7 ans, la moitié des trains sont inopérants et une grande partie des bus sont immobilisés. Toujours par manque de pièces de rechange. La guerre et l’embargo Avec le nouvel accord pétrole contre nourriture, l’Irak pourra importer pour 1,5 milliard de dollars de nourriture et de médicament tous les six mois. Mais cela demeure largement insuffisant. «Le pays a besoin de 3 fois plus d’argent pour subvenir aux besoins les plus élémentaires de la population», précise M. Halliday. Le responsable onusien indique qu’il y a aujourd’hui en Irak une génération qui n’a connu que la guerre et l’embargo. Cette génération endurcie est imprégnée d’un très fort sentiment nationaliste et exerce, selon lui, une influence importante sur la direction du pays. En Irak, il n’y a plus de traces des destructions causées en 91 par 42 jours de raids et de bombardements. Dans un sursaut d’orgueil national, les Irakiens ont reconstruit en plus beau les ponts, les routes, les ministères, les écoles et les tours de communications. Au fil des ans, le pays a épuisé toutes ses réserves. Aujourd’hui, il n’a visiblement plus les moyens de supporter l’embargo. Mais la volonté demeure intacte. Et c’est cela qui agace les Etats-Unis. P. KH.
BAGDAD, de notre envoyé spécial Paul KHALIFEH Dans les escaliers de l’hôpital central de pédiatrie de Bagdad, résonnent les longs sanglots d’une femme en détresse. Soutenue par un homme, elle quitte le bâtiment en essuyant ses larmes avec la coin de son voile. Elle a vu agoniser sous ses yeux son enfant de 3 ans. Il n’était pourtant atteint que d’une pneumonie, une...