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Actualités - REPORTAGE

Nouvelle série d'auditions mardi prochain L'enquête sur la MEA touche à sa fin et la politique refait son apparition La balle est désormais dans le camp de la Banque Centrale

Et si la tempête autour de «l’affaire MEA» se terminait en crachin?... A la fin de la troisième semaine de l’enquête du Parquet sur le contrat de bail entre la MEA et la Singapore Airlines, la question se pose de nouveau avec insistance. Non pas parce que les investigations piétinent — au contraire, elles toucheraient à leur fin — mais plutôt parce que, comme à la case départ, la balle est de nouveau dans le camp de la Banque centrale.


La nouvelle série d’audiences prévue pour mardi ne servirait ainsi qu’à confirmer les conclusions des investigateurs, qui pencheraient pour l’existence de commissions dans le contrat de location d’avions par la MEA auprès de la Singapore Airlines. Mais, pour aller plus loin, il leur faut savoir ce que veut exactement la Banque centrale, qui possède 99,7% des actions de la MEA. C’est elle qui avait alerté le Parquet sur le contrat qui lui paraissait suspect. Et c’est à elle de décider aujourd’hui, alors que l’enquête se précise, si elle veut engager des poursuites contre les personnes qui pourraient avoir desservi les intérêts de la MEA, ou si elle préfère en rester là et se contenter de demander la convocation d’une assemblée générale de la compagnie qui réclamerait la démission de l’actuel conseil d’administration. Car, si l’existence de commissions est prouvée, il ne s’agira pas d’un délit passible de poursuites pénales, puisque la Banque centrale se comporte en société privée lorsqu’elle gère des fonds commerciaux et le ministère public ne peut donc porter spontanément plainte contre les coupables présumés.
Si, comme cela a été dit au début de la crise, le seul objectif de la Banque centrale est de changer le conseil d’administration de la MEA, l’enquête en restera donc là. Dans le cas où elle voudrait assumer réellement son rôle de protecteur des intérêts de la compagnie, elle devrait porter plainte auprès du Parquet contre les personnes impliquées dans le contrat suspect.
Hier, le procureur général près la Cour de cassation, M. Adnan Addoum, a d’ailleurs reçu deux avocats de la BDL, MM. Emile Kanaan et Chawki Kazan, pour les informer de la progression de l’enquête, une enquête particulièrement difficile, en raison de ses multiples aspects, commercial, légal et peut-être pénal et de son caractère international.

Contrat compliqué

Au départ, le Parquet a dû examiner un contrat de bail compliqué, signé le 4 juin dernier par correspondance entre le PDG de la MEA, M. Khaled Salam, et le directeur de la Singapore Airlines, M. Matthew Samuel. Le chef de la brigade criminelle, le général Béchara Salem a, dès la première audience, demandé à M. Salam de lui remettre une copie du contrat, qu’aucun des dix autres membres du conseil d’administration ne possédait. Après l’avoir lu attentivement et avoir consulté des experts, le Parquet a constaté que le contrat comportait des clauses totalement désavantageuses pour la compagnie. Il y est notamment prévu que les trois avions de type «Airbus» sont loués pour une période de cinq ans, à raison de 210.000 dollars par mois et par avion. Or, selon les experts, le montant de la location devrait baisser, chaque année, puisque l’avion, en prenant de l’âge, perd de sa valeur marchande. Le contrat prévoit aussi qu’à la fin de la période de cinq ans, la MEA doit remettre les avions à la Singapore Airlines dans l’état où elle les a loués, ce qui est très contraignant pour la compagnie libanaise. Enfin, les négociations entre la MEA et la Singapore Airlines ont commencé en novembre 1996 et l’avant-contrat a été signé en avril. Le texte final a été signé le 4 juin. Il a été transféré de la Singapore Airlines à la Singapore Airlines Mauritius le 29 juillet et le 31 juillet , la Mauritius a vendu les avions loués à la MEA à la SALE.
Toute cette précipitation, accompagnée de clauses techniques désavantageuses et du fait que le contrat ne comprend pas une clause-corruption, a poussé les enquêteurs à croire à l’existence de commissions payées en marge de ce contrat.
Mais, pour pouvoir identifier les bénéficiaires de ces commissions, il leur fallait savoir qui a négocié, signé et participé à l’élaboration du contrat. Et c’est là que les choses ont commencé à se compliquer.
Officiellement, c’est le PDG qui a signé le contrat. Mais en est-il réellement l’unique responsable? Dans la loi sur les sociétés, le directeur général partage une partie des pouvoirs du PDG. C’est pourquoi, le Parquet a voulu entendre M. Youssef Lahoud, directeur général de la compagnie depuis 1991 et membre de son conseil d’administration depuis 1983. M. Lahoud, un homme discret et réservé, a déclaré au général Salem qu’il n’était pas au courant du contrat. Mais M. Khaled Salam, dont les nerfs sont visiblement très résistants, a soutenu le contraire. Le général a procédé à deux confrontations entre les deux hommes, sans aboutir à un résultat décisif. Il a alors décidé, sur l’impulsion de M. Addoum, de convoquer d’autres membres du conseil d’administration et des ingénieurs techniciens qui ont été, en principe, chargés d’inspecter les avions. Tout ce monde s’est donc retrouvé, à plusieurs reprises, dans l’accueillant bureau du président du greffe au Parquet, M. Nabil Féghali, qui tentait désespérément de détendre l’atmosphère, alors que chacune des personnes présentes se méfiait désormais des autres.

Concentration des pouvoirs

Si MM. Skayné et Kanaan (membres du conseil d’administration) ont affirmé qu’ils n’étaient pas au courant du contrat, l’ingénieur technicien, M. Nazareth Karakachian, a déclaré qu’il avait été effectivement chargé d’inspecter les avions sur le plan technique , mais qu’il mettait constamment M. Lahoud au courant de ses initiatives. Gros dilemme pour le Parquet, qui s’est empressé de mener des investigations poussées sur ce problème.
Selon des sources judiciaires, au cours de la première réunion du conseil d’administration sous sa présidence, en septembre 1995, M. Salam avait modifié le statut des responsables réduisant les prérogatives du directeur général à leur plus simple expression , pour augmenter les siennes et celles du directeur général des relations publiques.
De plus, toujours selon les mêmes sources, toute la correspondance entre la MEA et la Singapore Airlines est concentrée entre M. Khaled Salam d’une part et MM. Matthew Samuel et Khoo Soo Hock, d’autre part. Il y aurait même des fax très personnels entre MM. Samuel et Salam, prouvant l’existence de relations amicales entre eux. Même les ingénieurs techniciens , chargés de mission , dans le cadre de ce contrat, adressaient leurs rapports au PDG, et jamais au directeur général. Enfin, les juristes de la compagnie — qui ont participé à la rédaction du contrat — travaillaient directement avec le PDG. Tous les documents ont d’ailleurs été remis au Parquet et il semblerait qu’il n’existe aucun texte adressé à M. Lahoud.
Enfin, selon des sources informées des détails de l’enquête, pratiquement harcelé par le général Salem, M. Khaled Salam aurait fini par reconnaître que tout au long des négociations avec la Singapore Airlines, il n’avait informé que très vaguement les membres du conseil d’administration de la teneur des pourparlers. D’ailleurs, toujours selon les mêmes sources, alors qu’il venait de signer le contrat, le 4 juin, il avait aussi présidé un conseil d’administration, qui lui avait donné un mandat pour poursuivre les négociations.
Hier, MM. Addoum et Salem ont longuement entendu M. Georges Yacoub, membre du conseil d’administration, qui s’était violemment opposé à la signature du contrat, lorsqu’il en avait pris connaissance, en novembre, parce que selon lui, il ne comportait pas une clause anticorruption. Pendant plus de 6 heures, M. Yacoub a expliqué au Parquet le fonctionnement de la compagnie sous la présidence de M. Salam. Selon des sources judiciaires, le témoignage aura été particulièrement intéressant et aurait permis de mettre en lumière des points qui avaient été jusqu’à présent négligés. Le Parquet pourrait décider, à la suite de cette longue audition, d’ouvrir de nouvelles enquêtes, portant sur une fraude au sein de la compagnie. Mais le général Salem n’a pas pu entendre, comme il l’avait prévu, M. Khaled Salam, qui ne s’est pas rendu au Palais de justice hier. Il avait une réunion avec des représentants d’Air France pour la signature d’un contrat de location pour une durée d’un mois de l’un des trois Boeing Jumbo vendus à la AIA, qui doivent être livrés en février 1998. Ce contrat devrait rapporter 3 millions de dollars à la compagnie, qui en a, aujourd’hui plus que jamais, besoin. Après la réunion, M. Salam a convoqué le conseil d’administration pour une réunion consacrée à l’examen de ce contrat.
Il devra donc se présenter de nouveau devant le général mardi prochain, ainsi d’ailleurs que MM. Lahoud et Yacoub pour vraisemblablement une ultime confrontation.
Son fils, Sélim, qui devait remettre au général l’ordre de mission que lui aurait délivré la banque «American Express» pour qu’il se rende à Singapour en novembre 96, a demandé hier au général un délai supplémentaire. Mardi, il devrait apporter le document. Sinon, il devra justifier sa présence à Singapour au moment où commençaient les négociations pour la conclusion du contrat entre la MEA et la Singapore Airlines. Cela pourrait être une simple coïncidence, mais elle serait quand même singulière...
Mardi, le général devrait aussi entendre, une nouvelle fois, les ingénieurs, Antoine Thoumy et Antoine Massoud qui ont nié hier avoir été chargés de la moindre mission en rapport avec les trois avions loués, contrairement à ce qu’avait déclaré M. Salam. Le général a aussi convoqué M. Makram Alamuddine, autre membre du conseil d’administration, afin d’écouter sa version sur le fonctionnement de la compagnie et la procédure adoptée pour la négociation des contrats.
L’enquête se précise donc et elle est sur le point d’aboutir. Mais le plus curieux de toute l’affaire c’est que bien que désavoué par certains membres du conseil d’administration, et entendu pendant plus de 20 heures par le Parquet, M. Khaled Salam continue à assurer normalement ses fonctions. La politique ferait-elle de nouveau son apparition? Ou bien n’a-t-elle jamais réellement cédé la place à la justice, dans cette affaire frustrante à plus d’un titre et pour plus d’une partie?
Scarlett HADDAD
S. H.
Et si la tempête autour de «l’affaire MEA» se terminait en crachin?... A la fin de la troisième semaine de l’enquête du Parquet sur le contrat de bail entre la MEA et la Singapore Airlines, la question se pose de nouveau avec insistance. Non pas parce que les investigations piétinent — au contraire, elles toucheraient à leur fin — mais plutôt parce que, comme à la case...