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Actualités - REPORTAGE

L'Orient Le Jour publie de larges extraits d'un rapport adressé à l'ONU par le barreau Tortures, arrestations arbitraires, séquestrations, violations de domiciles, un document accablant pour le pouvoir

En 12 pages dactylographiées, le rapport aborde les différentes questions relatives aux droits de l’homme. Après avoir cité les faits, il formule des recommandations pour améliorer la situation et moderniser les législations en vigueur au Liban. Il demande au gouvernement de ratifier le plus rapidement possible le premier protocole de la convention internationale des droits civils et politiques de 1966.
L’Ordre des avocats réfute les arguments développés par le gouvernement pour confier à l’armée libanaise le maintien de la sécurité conformément au décret 7988 du 27 février 1996. Le rapport indique que cette décision prise par le Conseil des ministres visait à empêcher la centrale syndicale d’organiser des manifestations. Il dénonce aussi l’utilisation «abusive» du concept de la «sécurité nationale» pour mener une répression et pour limiter les droits de l’homme. «Le gouvernement doit cesser d’utiliser la crainte légitime de l’atteinte à la paix civile et à la sécurité nationale comme prétexte pour étouffer les libertés fondamentales», déclare l’Ordre des avocats. Le rapport demande par ailleurs au gouvernement de revenir sur sa décision de septembre 1993 interdisant l’organisation de manifestations pour une période indéterminée, ce qui constitue une violation flagrante des dispositions de la Constitution qui garantit le droit à la libre expression.

Tortures, arrestations
et transferts en Syrie

Le rapport du barreau souligne que les informations fournies par le gouvernement au sujet de la torture pratiquée par l’armée d’occupation israélienne et sa milice dans la prison de Khiam et au Liban-Sud sont correctes. Il rappelle cependant que le Liban n’a toujours par ratifié la Convention internationale contre la torture et les autres traitements cruels, inhumains et dégradants (1984). Le rapport fait état d’une utilisation accrue de la torture et de traitements cruels et inhumains par la police judiciaire et par les autres services militaires, notamment durant les interrogatoires (les suspects sont battus et pendus par les mains). Affirmant que dans la plupart des cas les victimes n’osent pas porter plainte par crainte de représailles, le barreau indique que la cour criminelle de la Békaa avait estimé, lors d’une décision assez rare prise le 20 juin 1996, que les aveux d’un accusé avaient été extorqués sous la torture. Les juges ont déclaré avoir découvert des traces de torture sur le corps de l’accusé. Le dossier de l’affaire a été transmis au procureur général, mais les coupables n’ont toujours pas été punis.
Le rapport ajoute que les traitements dégradants sont utilisés à grande échelle, plus particulièrement par la police militaire. Les personnes arrêtées par cette unité ont les mains ligotées, les yeux bandés et les cheveux rasés.
Il fait aussi état d’une multiplication des «violations flagrantes» des lois lors des arrestations pratiquées par la police judiciaire et par les autres services de sécurité. «Beaucoup d’arrestations ont lieu sans feu vert préalable de la part du parquet et, très souvent, les procureurs cautionnent ces arrestations après coup, précise le rapport. Les détenus sont maintenus en garde à vue pour une période dépassant les 24h autorisées par la loi (souvent, la détention dépasse les dix jours). Pendant la période dite de l’interrogatoire préliminaire mené par les membres des services de sécurité, le détenu ne peut pas être assisté par un avocat. Dans la plupart des cas, les personnes arrêtées ne sont même pas informées des faits qui leur sont imputés ou des soupçons qui pèsent sur eux. Par peur de représailles, les victimes n’osent pas porter plainte. Récemment, Mlle Oumayya Abboud, appréhendée dans le cadre de l’affaire de l’Armée rouge japonaise, a porté plainte pour la violation de ses droits pendant son arrestation. Le procureur a rejeté la plainte et les coupables n’ont toujours pas été punis. Ces violations ont souvent été dénoncées par le barreau et sévèrement critiquées par la commission parlementaire des droits de l’homme».
Le rapport du barreau fait état en outre de plusieurs arrestations opérées sans mandat d’arrêt émis par les autorités judiciaires compétentes. Les personnes appréhendées sont transférées vers des centres de détention en Syrie sans qu’aucun chef d’accusation ne leur soit communiqué. La détention de citoyens libanais en Syrie a été confirmée par le chef de l’Etat, M. Elias Hraoui, au cours d’une conférence de presse. «Il n’existe aucune législation ou traité bilatéral autorisant ce genre d’agissements», précise le rapport.
Le barreau recommande que les interrogatoires soient menés exclusivement par des juges libanais en présence d’un avocat et l’adoption de sanctions contre les personnes responsables des violations des droits des détenus.

L’état des prisons

Le barreau estime que les informations fournies par le gouvernement sur la situation des prisons reflètent la réalité et montrent dans quelles conditions précaires vit la population carcérale. Les prisons sont surpeuplées et le centre de détention des étrangers est vraiment trop étroit. Les prisons actuelles sont très loin des critères fixés par la loi libanaise.
Les réticences du ministère de l’Intérieur — qui contrôle les prisons — à collaborer avec la commission parlementaire des droits de l’homme, avec le barreau et avec les ONG, rendent difficile une évaluation précise de l’état des pénitenciers au Liban. En 1964, une loi a confié au ministère de la Justice la gestion des prisons. Mais, à ce jour, aucun transfert des responsabilités n’a eu lieu à cause de l’absence de décrets d’application. Il semble que le gouvernement n’ait pas l’intention de régler ce problème et les fonds nécessaires pour améliorer le niveau des prisons n’ont pas été débloqués. Les accusés attendant leur procès, où les personnes attendant d’être interrogées, peuvent être détenus pendant de longues périodes. Selon les plus récentes statistiques datant de 1995, il y a dans les prisons libanaises 2482 accusés et 1388 condamnés purgeant leurs peines. En 1995, 70% de la population carcérale féminine était composée d’accusées ou de détenues attendant d’être interrogées. Le décret 6236 du 17 janvier 1995 a institué des prisons pour mineurs et pour femmes placées sous le contrôle des services de renseignements, contrairement aux lois libanaises et aux conventions internationales.

L’indépendance
de la justice

En dépit des dispositions très claires de la Constitution, la justice n’a pas le statut d’un pouvoir indépendant. «Il y a des juges mais non pas une justice indépendante», déclare le barreau.
Cette indépendance limitée est due au fait que les nominations et les permutations de magistrats des tribunaux ordinaires sont effectuées par l’Exécutif selon un processus dans lequel les prérogatives sont partagées entre le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et le ministère de la Justice. En cas de désaccord, la décision finale revient au Conseil des ministres. Cela est aussi dû au fait que la justice est divisée en un certain nombre de branches ayant chacune son propre organigramme: les tribunaux ordinaires (dirigés par le CSM), les tribunaux administratifs (Conseil d’Etat), la Cour militaire et les tribunaux religieux des différentes communautés. La désignation des membres de ces tribunaux ne se fait en aucun cas à travers des élections.
Le tribunal militaire est le moins indépendant parmi toutes ces juridictions et ne fournit pas assez de garanties quant au respect des droits des accusés. Cette cour est composée d’un nombre de juges qui sont en fait des officiers de l’armée et qui ne sont pas nécessairement titulaires de diplômes de droit (même si en réalité la plupart d’entre eux possèdent de tels diplômes). Ils sont nommés par la hiérarchie militaire. La plus importante juridiction est le tribunal militaire permanent composé de cinq juges dont un seul civil. Il est présidé par un officier supérieur. Les procureurs ne sont pas des militaires. Le tribunal militaire a été doté de larges prérogatives.

L’inviolabilité du
domicile,
les écoutes téléphoniques

En dépit des dispositions de l’article 14 de la Constitution et de nombreuses autres législations libanaises consacrant l’inviolabilité du domicile et les arrestations effectuées la nuit et sans mandat d’arrêt, ces principes sont violés d’une manière répétée et les coupables ne sont pas punis. En décembre 1996, 20 personnes ont été arrêtées la nuit à leur domicile et sans mandat d’arrêt délivré par les autorités compétentes.
D’autre part, un grand nombre de lignes téléphoniques, y compris les cellulaires, sont mis sous écoute par les différents services de sécurité. Ces écoutes sont motivées par des considérations politiques et ne jouissent pas de l’accord préalable des autorités judiciaires compétentes.
Le rapport recommande au gouvernement de faire en sorte que les services de sécurité respectent les dispositions des lois concernant l’inviolabilité du domicile et de ne plus mettre sur écoute les conversations téléphoniques privées.

La liberté d’expression

La liberté d’expression notamment au niveau de la presse écrite est acceptable. Il existe cependant un obstacle de taille concernant la création de nouveaux quotidiens et périodiques politiques. Le nombre de licences est en effet limité par un décret présidentiel adopté le 13 avril 1952. Cela constitue une atteinte flagrante à la liberté d’expression. Par ailleurs, la publication de pamphlets, qui est un moyen d’expression «bon marché», est soumise au régime de l’autorisation préalable et de la censure de la part de la direction de la Sûreté générale. Il s’agit aussi d’une violation du principe de la liberté d’expression. Le parquet militaire exerce sa compétence qui est de poursuivre et de déférer devant la justice les auteurs de pamphlets distribués sans autorisation préalable et considérés comme étant une atteinte à la sécurité de l’Etat.
La loi réglementant le secteur de l’audiovisuel a pour sa part été appliquée d’une manière contraire à la liberté et au pluralisme de l’information.
Le rapport recommande l’abolition du décret limitant le nombre de licences dans la presse écrite et la censure pratiquée sur les pamphlets. Il demande aussi une révision de l’application de la loi sur l’audiovisuel.

Les associations

Le barreau dénonce la transformation de facto par le ministère de l’Intérieur du principe de la déclaration en autorisation préalable pour la création d’associations, ce qui constitue une «violation systématique» de la loi de 1909 qui est assez libérale. Le ministère a centralisé tout ce qui concerne les associations, alors que la loi de 1909 autorise le mohafez à recevoir les déclarations de formation d’associations. Il interfère aussi d’une manière flagrante à tous les niveaux dans les activités des associations. Dans un arrêté publié le 16 janvier 1996, il a ordonné à toutes les associations d’«inviter» un délégué du ministère à leurs assemblées générales ou aux élections. Le Conseil des ministres a pour sa part directement nommé les membres du Conseil d’administration de la Croix-Rouge le 18 novembre 1991. Et le 15 février 1992, il a décidé de «retirer les licences» de 138 associations, conclut le rapport du barreau.
Des efforts ont sans doute été entrepris ces dernières années dans plus d’un domaine par les autorités compétentes pour améliorer la situation des droits de l’homme au Liban. Ces efforts sont louables, mais ils demeurent malheureusement insuffisants. Il y a encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir dire, la conscience tranquille, que les droits les plus élémentaires des citoyens sont respectés par ceux qui sont censés veiller à la bonne application des lois. Les forces de l’ordre et les multiples services de sécurité qui détiennent dans la société le monopole de la violence légitime, ont tendance à oublier qu’ils sont les protecteurs du citoyen qu’ils traitent souvent avec une légèreté et un mépris révoltants.

Paul KHALIFEH
En 12 pages dactylographiées, le rapport aborde les différentes questions relatives aux droits de l’homme. Après avoir cité les faits, il formule des recommandations pour améliorer la situation et moderniser les législations en vigueur au Liban. Il demande au gouvernement de ratifier le plus rapidement possible le premier protocole de la convention internationale des droits...