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Actualités - ANALYSE

La bombe Joumblatt : deux lectures opposantes.. tout à fait opposées

«La curée se poursuit et chaque protégé en veut sa part...» C’est en ces termes qu’à l’Est on commente la manifeste levée de boucliers de ces derniers mois contre le sursaut de la partie qui au sein du pouvoir s’aperçoit qu’elle est acculée à la défensive de la maigre tranche de gâteau que l’après-Taëf lui a dévolue. «Ainsi, dit un ancien ministre, après M. Nabih Berry qui a fait tout un drame, du reste prolongé, sur les retouches mineures que le président de la République voulait apporter à certains articles de la Constitution mal ficelés; après M. Rafic Hariri qui a renvoyé les municipales aux calendes grecques et fait valser nombre de titulaires de postes-clés, en louchant en outre du côté du contrôle des FSI tout en tiraillant sur l’institution militaire pour l’affaire de la CGTL; après les pôles religieux qui ont fulminé contre la proposition présidentielle d’unifier les statuts personnels et d’autoriser le mariage civil facultatif; après MM. Mohsen Dalloul et Mahmoud Abou Hamdane qui ont descendu en flèche le projet de redonner la nationalité aux émigrés, sans admettre l’idée qu’il faut quand même un peu contrebalancer les 150.000 naturalisés de 1994... Oui, après toutes ces incidences, et on en passe bien d’autres sous silence, M. Walid Joumblatt passe à son tour à l’attaque. Comme presque toujours il n’est venu au Conseil des ministres que pour y lancer une véritable bombe à fragmentation, en parlant à la fois des déplacés, d’Albright, de Sfeir et de la nationalité aux émigrés. Et on peut penser que s’il a mis si fortement l’accent sur le thème de la défense de la présence syrienne, qui n’est pas actuellement au centre d’une bataille politique acharnée comme il le laisse entendre, c’est pour marquer plus facilement des points face à son seul répondant en Conseil des ministres, le chef de l’Etat, qui sur un tel terrain ne peut évidemment que le suivre...»

Crédits

Selon cet ancien ministre «l’un des soucis majeurs de M. Joumblatt, et il ne l’a d’ailleurs pas caché en Conseil des ministres, est qu’il a besoin de sous en tant que ministre des Déplacés pour réaliser le retour. Pour s’exprimer familièrement, il donne l’impression de «gueuler» tous azimuts parce qu’il sait que c’est une bonne tactique pour obtenir satisfaction sur ce qu’il veut vraiment. Il est en effet difficile de croire qu’il pense sérieusement qu’Achrafieh et Bkerké menacent la paix civile car même s’ils en avaient l’intention ils n’en ont pas les moyens. Les accusations du ministre, maintenant féru de Taëf au point d’en brandir le texte comme un étendard, sont d’ailleurs un peu contradictoires puisqu’il nous affirme que ce pacte a réalisé l’entente nationale...»
«Le plus remarquable dans toute cette affaire, poursuit cette source opposante radicale, est que certains ministres vont partout dans les salons protester contre les propos incendiaires de M. Joumblatt, tout en s’abstenant de lui répliquer publiquement, parce qu’il a eu, répétons-le, l’habileté de tout habiller, de tout couvrir avec des surenchères sur la présence syrienne. Ces mêmes loyalistes devraient comprendre, à cette occasion, qu’il devient presque impossible d’être à la fois «in» et «out». Tant qu’ils n’auront pas démissionné et quitté le bâtiment où on les a embarqués pour faire de la figuration, ils resteront sans voix, sans parole, sans force, même face aux plus flagrantes provocations à caractère confessionnel. Une incapacité d’agir et même de réagir qui frappe également à la Chambre la petite grappe de soi-disant opposants, mais de vrais présidentiables, parachutés là au cours des dernières élections qui sont une nouvelle consécration du fait accompli. Quand donc ces loyalistes comprendront-ils que lorsque Rafic Hariri se range ostensiblement aux côtés de Walid Joumblatt en Conseil des ministres et que Nabib Berry s’aligne sur ces positions, il est temps de changer son fusil d’épaule, d’abandonner le navire où l’on est relégué à la cale et de rejoindre son vrai foyer...»

Message régional

Une source ministérielle assez proche de l’Est tout en étant profondément taëfiste, estime pour sa part que «ce n’est pas le ministre des Déplacés qui a parlé mercredi, mais le leader à dimension régionale. Pour répondre aux Américains qui font intrusion sur une scène libanaise considérée comme chasse gardée, on ne pouvait se contenter d’acteurs de second plan. Ce ne sont pas des relances de couverture ou de diversion que M. Joumblatt a faites en parlant de la présence syrienne, mais bien le sujet qu’il voulait traiter fondamentalement. Il a entouré son intervention de toute la solennité voulue, costume-cravate et termes soigneusement pesés, sans aucune boutade pouvant apparaître comme discourtoise, sans doute afin de montrer qu’il parle aussi au nom d’autrui, qu’il représente et défend un camp élargi ou, si l’on veut, une cause qui déborde toute politique d’ordre personnel. S’il s’est chargé lui-même de cette mission, avec ou sans coordination, c’est qu’il sait qu’on redouterait de lui répondre, tant en raison de ses alliances qu’à cause de son esprit caustique. Il sait aussi, et les décideurs également, que nul autre au gouvernement ne peut avoir autant d’impact que lui du côté des médias. D’autant qu’à part M. Joumblatt, il n’y a pas de responsable qui prenne sur lui de tirer à boulets rouges sur le patriarche Sfeir auquel on reconnaît volontiers, peut-être à cause du pape, un rôle de recours national. Peu d’officiels se risqueraient également à critiquer la messe d’Achrafieh en mémoire du président Béchir Gemayel parce qu’ils se verraient reprocher de cultiver des dissensions à caractère confessionnel et d’afficher un irrespect cérémoniel outrageant».

Tiraillements

Un diplomate occidental en poste à Beyrouth estime de son côté «qu’au fond, la prise de position de M. Joumblatt reflète une certaine inquiétude. Il est en effet symptomatique, selon ce diplomate, qu’après la visite d’Albright, un ministre libanais de cette importance pense devoir justifier «la pressante nécessité» du maintien des forces syriennes. Une intervention qui a forcé le pouvoir libanais à réaffirmer ses engagements de jumelage, dans le communiqué clôturant le Conseil des ministres. Un geste qui par ricochet signifie un message de Damas à Washington qui pour sa part met de nouveau l’accent, par le truchement d’Albright, sur l’indépendance du Liban et la nécessité d’en dégager le sol de toute présence armée étrangère. On est donc là en plein bras de fer diplomatique prénégociatoire: les Américains, sans doute inspirés par les Israéliens (plutôt par les travaillistes que par Netanyahu d’ailleurs) veulent que les Syriens mettent de l’eau dans leur vin par rapport à la reprise du processus, en leur laissant entendre que sinon la carte libanaise leur serait contestée. Et les Syriens contrent tout de suite cette manœuvre en montrant que cette même carte décide elle-même, par la bouche de son gouvernement, de rester entre leurs mains. Parallèlement, Toufayli s’agite, parle de prendre les armes, et c’est aussi une forme de contre-pression exercée à l’adresse de Washington. On dit également qu’il y a des échanges actuellement sur la possibilité, en cas de retrait israélien de Jezzine, d’y organiser un déploiement syro-libanais, pour bien rappeler la cimentation indéfectible des deux volets... C’est là tout le jeu et il revêt une importance cruciale à un moment où l’on parle de plus en plus de retrait israélien du Sud. Il faut en effet savoir s’il y aura ou non réciprocité, si l’on peut dire, et si ce retrait devra ou non entraîner le départ des Syriens. C’est ce que les Américains affirment souhaiter, mais il n’est évidemment pas exclu du tout qu’ils changent d’avis si, par exemple, ils ne parviennent pas à convaincre Israël de restituer le Golan à la Syrie. Dans un tel cas de figure, la négociation pourrait consister à tenter de persuader Damas de faire quand même la paix, en gardant le Liban».
C’est heureusement tout à fait exclu, la Syrie répétant avec force que le seul arrangement qu’elle acceptera jamais repose inconditionnellement sur la récupération du Golan, de tout le Golan.

Ph.A-A.
«La curée se poursuit et chaque protégé en veut sa part...» C’est en ces termes qu’à l’Est on commente la manifeste levée de boucliers de ces derniers mois contre le sursaut de la partie qui au sein du pouvoir s’aperçoit qu’elle est acculée à la défensive de la maigre tranche de gâteau que l’après-Taëf lui a dévolue. «Ainsi, dit un ancien ministre, après M....