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Actualités - OPINION

Les mots pour le dire

Il a fallu rien moins que la récente venue d’un pape dans notre pays pour que soit posée sur le tapis, avec autant de sérénité que de gravité, la question cruciale de son devenir: on sait en effet comment celle-ci est systématiquement occultée par ceux-là mêmes qui, gérant sans grande imagination le présent, dorment sur leurs rachitiques lauriers sans se soucier du déluge susceptible de survenir après eux. A les en croire, nous vivons depuis des années déjà dans le meilleur des Liban possibles, l’unité nationale est à jamais reconstituée autour de leurs augustes personnes, les institutions étatiques fonctionnent dans la plus parfaite harmonie, la justice règne et la corruption n’a plus droit de cité: tout cela à l’ombre d’une souveraineté et d’une indépendance reconnues et garanties par la puissance de tutelle, et dont seuls peuvent se préoccuper encore les mauvais esprits.
Ce tableau idyllique, la visite papale a eu l’immense mérite d’en révéler les lacunes sinon les outrances, comme de souligner la nécessité de préserver un équilibre communautaire sans lequel il ne saurait y avoir de coexistence digne de ce nom: c’est-à-dire positive, volontaire, agissante, et non simplement subie. Parce que cette visite a suscité une vague d’espérance absolument sans précédent, nous voulons croire que de l’Exhortation apostolique unanimement saluée par la classe politique, on retiendra loyalement — comme un tout qui se tient — les divers éléments: l’appel lancé aux chrétiens libanais afin qu’ils s’intègrent dans leur environnement naturel et qu’ils assument résolument, sans faux-fuyants, leur identité arabe, est évidemment capital; mais gardons-nous d’oublier que dans une partie du monde où il est de règle que les Etats s’arrogent des religions d’Etat et où les dérives extrémistes ne sont pas rares, un telle appartenance ne peut trouver sa pleine expression que dans la sauvegarde de l’équilibre politique qui fait précisément la spécificité du Liban: un équilibre qui passe moins en réalité par une répartition formelle des charges étatiques que par la faculté offerte aux divers groupes libanais de se doter des représentants de leur choix.
En invalidant dernièrement quatre mandats parlementaires, la Cour constitutionnelle aura été la première instance de ce pays à s’aventurer dans le domaine du nouveau; il convient de saluer l’événement, même si ces verdicts ont laissé sur leur faim tous ceux qui s’étaient élevés contre l’inique loi électorale de 1996. De même, en reconnaissant les failles du système, en se rendant auprès du patriarche maronite le week-end dernier, en promettant de réactiver le scrutin municipal et de débloquer des fonds pour le retour des déplacés, le chef du gouvernement aura montré qu’il n’était pas insensible au message papal.
Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, un confrère égyptien, armé seulement de sa parfaite connaissance du dossier et de l’art de fouiller celui-ci, vient de réussir le tour de force de raviver parmi les Libanais un sens politique qui était bien près de disparaître, graduellement étouffé qu’il était par le sentiment d’impuissance face à tant d’arbitraire dans la conduite des affaires publiques. En quelques interviews télévisées le journaliste Imadeddine Adib, sans jamais se départir d’une grande courtoisie, aura administré une belle leçon un peu à tout le monde: aux citoyens invités à s’exprimer sans crainte mais aussi à axer leurs interventions téléphoniques sur la question centrale d’une coexistence qui reste à parfaire, pour ne pas dire à faire; aux hommes politiques, pratiquement sommés de répondre aux questions qui leur étaient posées (et non à côté) en renonçant pour une fois à la langue de bois dont ils sont coutumiers; mais aussi à plus d’un professionnel local du débat télévisé, cette spécialité se trouvant trop souvent démonétisée en effet, d’abord par l’obséquiosité, voire la complaisance auxquelles ont droit les redondants invités, et ensuite par l’incroyable prolifération des spectacles de ce genre sur tous les écrans du pays. Ne voyait-on pas sur l’un d’eux, il y a quelque temps, une interminable discussion sur la primauté que revendiquent tant l’Exécutif que le Législatif, dans un pays où les pouvoirs sont invariablement — et notoirement — télécommandés?
Gavée de propagande ou carrément tenue alors pour quantité négligeable, l’opinion publique renaît lentement mais sûrement; le comble serait que la caste politique soit la première à en prendre conscience.

Issa GORAIEB
Il a fallu rien moins que la récente venue d’un pape dans notre pays pour que soit posée sur le tapis, avec autant de sérénité que de gravité, la question cruciale de son devenir: on sait en effet comment celle-ci est systématiquement occultée par ceux-là mêmes qui, gérant sans grande imagination le présent, dorment sur leurs rachitiques lauriers sans se soucier du...