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Actualités - REPORTAGE

Double scrutin mouvementé hier au siège de la CGTL Le Liban a désormais deux centrales syndicales Abou Rizk a une légitimité internationale Zoghbi est reconnu par le pouvoir (photos)

Ce que 17 ans de guerre et de pressions miliciennes n’ont pas réussi à réaliser, le pouvoir de l’après-Taëf, lui, a pu le faire. Désormais, le Liban est doté de deux centrales syndicales, la première présidée par M. Abou Rizk, bénéficiant d’une légitimité internationale, la seconde présidée par M. Ghanim Zoghbi, reconnue — et pour cause — par le ministère du Travail. Les premières élections ont eu lieu en catimini, entre deux assauts des éléments des FSI — installés en force dans les locaux du siège central de Badaro — dans le bureau de M. Abou Rizk et les secondes se sont déroulées par la force des armes, en présence du représentant du ministère du Travail, de nombreux agents des FSI et des représentants des télévisions officielles. Pendant ce temps, sans cesse refoulés par des FSI moins démocratiques que jamais, journalistes, syndicalistes et représentants des organisations arabes et internationales du travail et des fédérations syndicales internationales rongeaient leur frein sous l’impitoyable soleil de ce mémorable 24 avril.
Personnalités molestées — notamment le député membre du Hezbollah, M. Ammar Moussawi —, syndicalistes interpellés et brutalisés — Elias Habre, doyen d’âge désigné par M. Abou Rizk pour présider la séance, Khaled Atab, Hassan Chouman et Kamel Fakih — portes forcées, ordinateur et photocopieuse cassés, toutes les pratiques devenues depuis quelque temps courantes dans les opérations électorales libanaises ont marqué cette matinée dramatique pour l’histoire de l’action syndicale et pour les libertés au Liban. A tel point que véritablement choqués par ce qui s’est passé, les délégués internationaux ont tenu une conférence de presse — dans l’un des bureaux ayant échappé à l’ire des forces de l’ordre — pour crier leur dégoût: «C’est une honte. En 25 ans d’action syndicale, je n’ai jamais rien vu de tel», s’est même écrié M. Hassan Jammam, secrétaire général de la Fédération internationale des travailleurs arabes, alors que M. George Marten, représentant de la Confédération internationale des syndicats libres (la CISL est basée à Bruxelles et a le statut d’observateur au sein de l’Organisation internationale du travail) annonçait sa détermination à porter plainte contre le gouvernement libanais auprès de l’OIT, dont le Liban est membre... Mais reprenons les événements dès le début.
Un jour étouffant se lève sur le secteur de l’hôpital militaire où se trouve le siège central de la CGTL. Les soldats en charge de la sécurité de la région commencent à prendre position. L’un d’entre eux se place, comme d’habitude, à l’entrée de l’immeuble de la CGTL pour vérifier l’identité de ceux qui y entrent. Il voit ainsi arriver M. Elias Abou Rizk à 6h du matin. Il est accompagné de quelques fidèles. D’autres ont passé la nuit sur les lieux. Vers 8h, d’étranges vrombissements se font entendre. Les FSI arrivent, avec un arsenal au complet, des sirènes hurlantes et des jeeps de toutes les dimensions. Leurs responsables demandent à l’armée de se retirer, expliquant qu’ils ont des ordres pour se charger de la sécurité des lieux en cette journée particulière. Les soldats répondent qu’ils sont chargés de la sécurité du secteur mais qu’ils n’ont rien à voir avec les élections syndicales. Les syndicalistes présents commencent à craindre un incident, mais tout se passe calmement; le ministre de la Défense, M. Mohsen Dalloul, arrive sur les lieux pour confirmer le fait que les FSI sont en charge de la sécurité des élections et que l’armée sera prête à les aider en cas de besoin...
Les partisans de Abou Rizk commencent à craindre une réédition «du vote» du dimanche 13 avril à Saïda (lorsque les FSI avaient arrêté certains syndicalistes pour faire élire d’office la liste officielle). De fait, à peine installés sur les lieux, les éléments des FSI s’empressent d’investir le local du siège central de la CGTL au second étage de l’immeuble. Ils commencent par occuper le hall d’entrée avant d’entreprendre une fouille systématique des lieux. Ils entrent ainsi dans le bureau de M. Abou Rizk, forcent la porte de sa salle de bains et fouillent les autres bureaux, cassant au passage la photocopieuse et l’ordinateur. Les employés sont littéralement terrorisés et plus personne n’ose bouger.
Les FSI divisent le local en deux parties, la grande salle de conférence est réquisitionnée pour «les élections officielles», quant aux autres, ils peuvent s’entasser dans le petit bureau de M. Abou Rizk. Les syndicalistes commencent à affluer et à se diriger dans l’une ou l’autre partie de l’appartement. Mais régulièrement, les FSI viennent vérifier le nombre de personnes chez M. Abou Rizk. Selon les partisans de ce dernier, elles cherchent surtout Elias Habre, doyen d’âge désigné par Abou Rizk et chargé de présider les élections. Mais Abou Rizk et ses hommes ont pris leurs précautions et avec la rapidité de l’éclair, ils procèdent à leurs élections, écrivent le procès-verbal et le signent, en présence de plusieurs députés, leurs alliés de toujours, MM. Zaher Khatib, Ammar Moussawi, Hussein Hajj Hassan, Moustafa Saad et Najah Wakim.

Karam à la rescousse
des journalistes

Ne pouvant convoquer les journalistes pour leur annoncer la nouvelle, ceux-ci étant bloqués à l’extérieur du bâtiment — excepté les représentants des télévisions «légales» — Abou Rizk quitte son bureau. Dehors, il croise le président du syndicat des rédacteurs, M. Melhem Karam, en train de parlementer avec les FSI pour qu’elles laissent entrer les journalistes. Karam avait été appelé à la rescousse par les journalistes bloqués dehors et il s’est aussitôt rendu sur place pour essayer de les aider. Il est ainsi le premier à féliciter Abou Rizk. Il est suivi de près par M. Hassan Jammam, secrétaire général de la Fédération internationale des travailleurs arabes, M. George Marten, responsable du département-libertés au sein de la CISL et M. Walid Hamdane, de l’Organisation internationale du travail, lui-même accompagné d’une importante délégation. Tous félicitent chaleureusement Abou Rizk, tout en lui expliquant que les forces de l’ordre les ont empêchés d’entrer dans le bâtiment et qu’ils attendent depuis plus de trois heures, debout dans la rue...
Abou Rizk annonce que les élections ont eu lieu en présence de 27 délégués (sur 44 qui forment son collège électoral) et sa liste a obtenu 24 voix. Autrement dit, il avait avec lui 13 fédérations et demie, l’une s’étant divisée: un délégué avec lui et un autre avec M. Zoghbi. Une autre fédération, celle du Nord, a même participé aux deux élections, en mettant dans les deux urnes deux bulletins blancs (un pour chaque délégué). Quant aux deux fédérations contrôlées par les Forces libanaises, l’une a voté avec Abou Rizk et la seconde avec Zoghbi. C’est dire que le corps syndical est assez dérouté, même si, pour certains, le choix est clair.
Alors que M. Abou Rizk annonce donc sa victoire (en principe, c’est le doyen d’âge qui aurait dû le faire, mais M. Habre a été interpellé par les FSI), dans la grande salle de conférences, la seconde équipe procède à ses élections, en présence du représentant du ministère du Travail M. Zakaria Kalakech. La séance est présidée par l’autre doyen d’âge (plus jeune toutefois que M. Habre), M. Hussein Ali Hussein. 35 délégués (sur 54 qui forment le collège électoral reconnu par le ministère du Travail) y participent dont les représentants des 5 fédérations refusées par Abou Rizk et ceux des deux fédérations dont les élections ont été contestées par le même Abou Rizk (celle du Sud et celle du secteur pétrolier). Trois députés, membres ou proches du mouvement Amal, MM. Salah Haraké, Hussein Yatim et Ali Hassan Khalil assistent au vote. Mais ce n’est qu’après l’élection de M. Ghanim Zoghbi avec 33 voix que les journalistes sont autorisés à entrer dans le bâtiment.
Dans la grande salle, les élections des autres membres du bureau exécutif se poursuivent alors qu’Abou Rizk, entouré des députés Khatib et Moussawi, montre aux visiteurs les traces laissées par les forces de l’ordre, dans son bureau, sa salle de bains et les bureaux de ses adjoints. Jammam, Marten et Hamdan, finalement autorisés à pénétrer dans le bâtiment, en profitent pour se reposer un peu dans le bureau de Abou Rizk. A aucun moment, ils ne chercheront à saluer — et encore moins à féliciter — l’autre équipe. Au contraire, ayant repris leur souffle, ils se dirigent vers l’un des bureaux vides et y tiennent une conférence de presse pour annoncer que les organisations qu’ils représentent ne reconnaissent que la CGTL dirigée par M. Abou Rizk. M. Marten, de nationalité irlandaise, laisse entendre qu’il reste encore quelques jours au Liban et qu’il pourrait bien solliciter un entretien avec les responsables pour leur exposer son point de vue. «Nous ne pouvons pas être avec les agents du gouvernement, dit-il. La CGTL doit représenter les travailleurs et faire entendre leur voix. Elle ne peut être du côté du pouvoir».
A côté, la nouvelle équipe, ayant achevé ses élections et reçu les félicitations officielles, se demande si elle peut tenter une percée chez Abou Rizk. A la question d’un journaliste, le député Salah Haraké déclare en riant: «Les Libanais aiment tellement les élections qu’ils les font désormais en double...» Puis plus sérieux, il pénètre dans le bureau de M. Abou Rizk. Ce dernier étant trop occupé — volontairement? — à parler au téléphone, c’est son collègue Zaher el-Khatib qui s’approche pour lui parler. M. Haraké souhaiterait rapprocher les deux équipes. Il demande à Khatib ce qu’il peut faire en ce sens. «Il faut maintenant attendre que les tensions se calment, répond ce dernier. Le fait est qu’il y a malheureusement deux centrales, même si personnellement, je ne reconnais que celle de M. Abou Rizk...» Haraké pense qu’il faut voir laquelle est la plus représentative avant de décider. Mais pour Khatib, c’est tout à fait clair, la CGTL de l’Etat ne peut être représentative des travailleurs...

La rencontre des
«frères ennemis»

A la porte du bureau bondé, un brouhaha se fait entendre. Le doyen d’âge de l’autre équipe suivi de M. Ghanim Zoghbi arrivent dans une visible volonté de conciliation. Ce dernier est accompagné d’une escorte chargée de l’applaudir. Zoghbi se plante devant le bureau de Abou Rizk. Mais ce dernier ne lui accorde pas un regard, occupé à parler au téléphone. Sous la pression de ses amis, il finit par le saluer et refuse de répéter l’opération pour les photographes.
Zoghbi prononce un petit discours dans lequel il affirme être venu en ami. Il rappelle son passé de syndicaliste et affirme qu’il s’est fixé pour mission d’unifier la CGTL. «Si j’échoue, je démissionnerai et il faudra procéder à de nouvelles élections», dit-il.
Abou Rizk répond alors: «Si vous êtes venu en tant que syndicaliste, ma porte vous est ouverte. Vous êtes un frère et un ami. Mais si vous êtes venu en tant que président de la CGTL, je dois vous dire que je ne reconnais pas les élections qui vous ont porté à la tête de la centrale. Celles-ci sont illégales et elles ne sont pas valables. Elles se sont déroulées par la force des armes, après que les forces de l’ordre aient occupé les lieux, détruit certains équipements et molesté les syndicalistes dont le chef de la centrale; tout cela est inacceptable et je ne comprends pas comment certains syndicalistes peuvent malgré tout accepter de procéder à des élections fantoches. Comment pouvez-vous accepter un tel comportement et une ingérence aussi flagrante de la part du pouvoir dans nos affaires. En tout cas, nous nous considérons comme les seuls représentants légaux des syndicats. Et tout ce qui s’est passé dans l’autre salle est rejeté».
Un journaliste demande alors à Zoghbi s’il compte s’installer dans le bureau du président et l’autre, dans une volonté de ne pas envenimer les choses, répond: «Au siège central, peu importe la salle» puis il se retire avec ses partisans. Abou Rizk déclare alors aux journalistes que «l’élection de Zoghbi n’a fait qu’officialiser une scission qui existait déjà». Et elle ne changera rien au fait qu’il demeure le véritable chef de la CGTL. A ses yeux, la véritable gageure a été de déjouer les plans du pouvoir en procédant discrètement à des élections tout à fait légales et conformes au règlement interne de la CGTL, au nez et à la barbe des FSI...
Pendant ce temps, Zoghbi tient une première réunion avec son équipe. Et Fawzia, la femme qui sert le café depuis des lustres au siège central de la CGTL, est appelée pour préparer une tournée... En plaisantant, elle déclare aux journalistes: «Bientôt, il me faudra demander le sucre à M. Zoghbi et le café à M. Abou Rizk...»
Fawzia ne croit pas si bien dire. Le premier problème que devront affronter les deux directions est celui du local. M. Abou Rizk quitte ainsi son bureau vers 13h après l’avoir soigneusement fermé à clé. Mais M. Zoghbi attend son départ pour donner l’ordre de changer les serrures de la porte d’entrée, sans toucher au bureau proprement dit... L’affaire bascule visiblement dans le ridicule, mais il est vrai que depuis longtemps, le ridicule ne tue plus au Liban. La honte et la désillusion y font certainement plus de victimes.

Scarlett HADDAD
Ce que 17 ans de guerre et de pressions miliciennes n’ont pas réussi à réaliser, le pouvoir de l’après-Taëf, lui, a pu le faire. Désormais, le Liban est doté de deux centrales syndicales, la première présidée par M. Abou Rizk, bénéficiant d’une légitimité internationale, la seconde présidée par M. Ghanim Zoghbi, reconnue — et pour cause — par le ministère du...