Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Lafon pendra la crémaillère dans un an La résidence des pins en plein lifting Deux priorités : le cachet ancien... et le confort (photos)

La Résidence des pins, demeure au passé prestigieux, accuse quand même le poids des ans. Et des autres: bombardements, squatterisations, vandalismes, exactions du temps de guerre. Cette vieille dame digne a donc aujourd’hui besoin d’un sérieux coup de lift.
Entamée en mai 1996, la réhabilitation s’étale sur 18 mois. Il faut redonner à ce bâtiment récemment classé monument historique son aspect initial, en respectant son architecture d’origine. On procède donc à la rénovation fidèle des façades en pierre de taille.
Les volumes intérieurs, le style de décoration au rez-de-chaussée et, en continuité, de l’escalier monumental seront conservés. Parallèlement, il s’agit d’intégrer le plus judicieusement possible des éléments techniques à même d’assurer à cet édifice tout le confort d’un bâtiment moderne.
Amoureux des mondanités, rassurez-vous. La cérémonie du 14 juillet 1997 se déroulera, conformément à la tradition, dans les jardins de la Résidence. D’ici là, la deuxième phase des travaux devrait être achevée. Il ne resterait plus alors que les finitions et la décoration…
Grand chantier donc aujourd’hui en la demeure. Des ouvriers s’affairent autour des échafaudages. Sur les façades principales, des calligraphies en arabe et des arabesques décoratives ont été démontées, remoulées là où elles ont été endommagées. Même en cet état, l’ensemble dégage beaucoup d’allure.
Pour préserver le style d’inspiration «colonialo-ottomane», tout en réparant les ravages structurels des bombardements, il a fallu «un effort technique, une prouesse assez considérable», relève un cadre de l’ambassade, Bertrand Hugenet.
L’idée principale, selon lui, était de construire un bâtiment «intelligent» suffisamment confortable pour être habitable. Les murs, réalisés en pierre de taille sur les façades sud, nord et est, restent d’une forte épaisseur, construits pour isoler de la chaleur comme pour faciliter la décoration. M. Hugenet signale que dans leurs correspondances, les dames qui jadis avaient séjourné là se plaignaient souvent de l’extrême inconfort de la demeure: froid glacial en hiver et chaleur torride en été. «C’était un lieu prestigieux. On y donnait des bals, des défilés de modes…. Toutes ces manifestations mondaines vont revenir», annonce le diplomate.
L’organisation générale de la résidence se divise comme suit:
— L’entresol: En pente, il assure la logistique de la résidence. Au centre cuisines, chambres froides et une colonne verticale escalier-ascenseur desservant tout le bâtiment. Au nord, les locaux destinés au personnel (vestiaires, chambres, communs). Au sud: réserves, stockages, laverie et locaux techniques.
— Le rez-de-chaussée: Il s’étale de part et d’autre du grand hall d’accueil et de l’escalier monumental situé dans l’axe du bâtiment. Au nord, le grand salon avec ses colonnades, ses volutes de staff en plafond, sa cheminée ottomane au sol de marbre, et la grande salle à manger. De l’autre côté: la succession des deux salons, le sud et l’ottoman, distribuera le bureau de l’ambassadeur avec salle à manger contiguë pour les repas plus intimes.
— A l’étage: D’abord le volume de l’escalier monumental débouchant sur l’atrium. Au nord, la partie réception: «chambre du ministre» et les autres chambres d’hôtels équipées de salles de bains et d’un dressing, avec un local lingerie / service attenant. Au sud: les appartements de l’ambassadeur avec salle à manger à proximité de la cuisine et d’un salon. Cette suite est complétée par une grande chambre, un bureau et un palier créé en mezzanine où sont aménagées deux chambres avec salles de bains-dressing.
A cet étage, les terrasses sont entièrement rénovées. La toiture de la résidence servira de support pour les équipements techniques lourds. Un soin particulier sera apporté à leur intégration dans l’architecture de l’édifice.
«Par ailleurs, de nombreuses améliorations ont été apportées, avec un souci particulier de préserver l’ancien», souligne M. Hugenet. En 1931, des boiseries arabes rapportées de Syrie avaient été posées par Mohammed Mounir Khayat. D’autres, situées au premier étage, dites «turco-arabes», datent de l’an 1247 de l’Hégire équivalent à l’an 1729. Les boiseries du salon de rez-de-chaussée, non estampillées mais purement arabes, doivent dater de deux siècles, selon une expertise effectuée en avril 1974. La maison Tarazi avait procédé à la restauration de ces deux ensembles décoratifs et avait fabriqué en plus des éléments de décors boisés dont la porte monumentale et plusieurs meubles sur commande de la famille Sursock en 1916.
La même maison Tarazi est aujourd’hui chargée de la remise à neuf de ces pièces.
— Le parc: sera divisé en trois parties. A l’est, face au perron, un espace libre, gazonné et rythmé par des parterres de fleurs, permettra d’assurer les grandes réceptions d’extérieur.
A l’ouest, protégés par un bosquet de pins et d’eucalyptus, une piscine, un terrain de tennis et un espace-grill. Au nord, l’accès principal de la résidence depuis l’avenue Fouad premier, mais aussi des bâtiments annexes, logement du personnel, garages…

La restauration

Deux équipes se partagent la partie architecture: une mission du Quai d’Orsay et un architecte décorateur qui fait partie du groupement français Sud-Architectes.
Lors de la convention d’échanges entre la municipalité de Beyrouth et l’Etat français, signée en octobre 1972, figurait une clause selon laquelle les Libanais s’engageaient à classer l’édifice comme monument historique. Cela n’a pu être fait à cause des événements. «A notre demande, indique M. Hugenet, et suite à de nombreux contacts avec la DGA, la Résidence des pins a finalement été classée vers la fin de 1995. Chose qui garantit sa pérennité et dans son aspect et dans son utilisation».
C’est avec l’arrivée en mai 94 de l’ambassadeur actuel Jean-Pierre Lafon que prend corps la décision de réhabiliter la Résidence, en vue de regrouper dans sa périphérie les services de l’ambassade.
Un concours est organisé. Le cabinet Sud-Architectes de Lyon l’emporte, et présente un avant-projet en septembre 1994. Les études définitives lancées début 1995 aboutissent à un avis public d’appel à la concurrence internationale, lancé le 18 mars 1995 en France et au Liban.
A l’issue des négociations de mise au point et contrôle avec les entreprises pressenties, le groupement Alfred Matta et Jacques Matta est retenu comme entrepreneur général, les lots techniques revenant à la société française Guinier pour l’électricité, et Saga pour les fluides-chauffage-climatisation La fin des travaux est donc prévue pour novembre 1997. Coût de l’opération: 10 millions de dollars. Il restera alors à réaliser les aménagements mobiliers et la décoration. L’ambassadeur sera en mesure de pendre la crémaillère dès la fin 1997 ou début 1998.

Evolution du bâtiment

La construction date du début du siècle. L’observation des plans fait apparaître une évolution de son volume et, par conséquent, des façades, sans qu’on sache avec exactitude les dates des différentes extensions.
Ainsi, la première façade ouest est devenue... un mur intérieur après la création de surfaces complémentaires au rez-de-chaussée pour un projet de salle de cinéma transformé ensuite en bureau de l’ambassadeur avec salle à manger.
Parallèlement, la galerie d’origine a sans doute été prolongée au nord et au sud afin de redonner de la légèreté à la construction initiale. Elle constitue un péristyle intégré à la structure de l’édifice. Composé d’arcades de pierre, enveloppant la façade principale et les deux pignons de la résidence, elle permet de créer un passage couvert desservant les pièces principales. Les travaux connaîtront une pause avant de passer à la finition pour la cérémonie du 14 juillet prochain.

L’histoire

A l’origine, il y avait une forêt de pins. 600.000 m2 laissés à l’abandon que Kanaan Taher Bey, président du Conseil municipal, concéda en 1915 à Alfred Moussa Sursock pour quarante ans, à condition que le contractant y construise un cinématographe, des terrains de sport et un champ de courses; que le terrain constitue une promenade publique et que le droit d’entrée n’excède pas... une piastre.
En 1917, un firman impérial (Iradet) confirmait la création d’une «Société du Casino-Club Ottoman» sur le site.
Entre 1916 et 1920, allaient être construits par l’architecte de la famille Sursock, Bahjat Abdel Nour: les murs d’enceinte, les bâtiments annexes, les entrées, l’ancien pavillon du club et son allée, le bassin à colonnades, les jardins et la rotonde.
En raison de la Grande Guerre, le casino ne devait être utilisé comme tel que pendant une courte durée.
Après l’éclatement de l’Empire turc, les troupes françaises ont débarqué. Georges Picot était alors nommé «Commissaire des territoires ottomans de Palestine et de Syrie». Il s’installait en octobre 1918 au cercle «Azmi Bey» désormais baptisé «Résidence des Pins».
Le 21 novembre 1919, le général Gouraud, nouveau haut-commissaire, posait les premiers jalons de l’acquisition des lieux et proclamait le 1er septembre 1920, sur le perron de l’ancien pavillon du club, la naissance du Grand Liban.
La famille Sursock demeurait, étrange bivalence, propriétaire du bâti mais simple locataire du terrain. Cependant, par convention du 28 septembre 1921, les Sursock cèdent à la France la totalité des droits que leur avait concédés la Municipalité sur la partie constituant l’ancien casino. L’Etat français devenait donc à son tour propriétaire des bâtiments et locataire du sol. Une barrière de bois a alors séparé la Résidence de l’hippodrome qui restait confié aux Sursock.
A la Résidence, devaient se succéder, du temps du mandat, les généraux Weygand et Sarrail, MM. De Jouvenel, Ponsot, De Martel, Puau, les généraux Catroux et Beynet.
Charles de Gaulle, commandant en garnison à Beyrouth de novembre 1929 à mai 1932, devait y loger en juillet 1941, puis en août 1942 comme chef de la France libre. Il fallut à cet effet faire installer un lit à sa taille...
L’ancien casino avait beaucoup changé: outre certaines adaptations aux besoins de l’époque, des baies, des vérandas avaient été construites et l’on avait aménagé le grand salon ainsi que le salon arabe en 1932-1933. Après l’indépendance, huit ambassadeurs occupèrent la Résidence jusqu’en 1974: Armand de Blanquet du Chayla — disparu dernièrement, vivement apprécié des Libanais dont il était resté très proche après son départ —, Georges Balay, Louis Roché, Robert de Boisséson, Pierre - Louis Falaize, Pierre Millet, Bernard Dufournier, Michel Fontaine et Hubert Argod. C’est Du Chayla qui avait inauguré la tradition «portes ouvertes» pour le 14 juillet.
C’est donc fin 97/ début 98 que l’ambassadeur Lafon doit pendre la crémaillère à la Résidence des Pins. A cette occasion, une plaque de bronze commémorant le passage du président Chirac sera apposée sur le pan droit de la porte monumentale. Le côté gauche étant orné d’une autre plaque, beaucoup plus ancienne évidemment, rappelant la proclamation du Grand Liban en 1920.
A travers les décennies et l’histoire, une même présence: la Résidence...

Maya GHANDOUR
La Résidence des pins, demeure au passé prestigieux, accuse quand même le poids des ans. Et des autres: bombardements, squatterisations, vandalismes, exactions du temps de guerre. Cette vieille dame digne a donc aujourd’hui besoin d’un sérieux coup de lift.Entamée en mai 1996, la réhabilitation s’étale sur 18 mois. Il faut redonner à ce bâtiment récemment classé monument...