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Liban - Analyse

Engloutissement

Le général Michel Aoun voudrait que des poursuites judiciaires soient engagées contre Fouad Siniora, Saad Hariri et Walid Joumblatt parce que, selon ses propres termes, ces derniers font beaucoup de tort aux relations libano-syriennes.
Le général se fonde évidemment dans ses accusations sur le postulat qu'il avait décrété il y a déjà quelque temps pour lui-même, avant qu'il ne soit généralisé à tout le monde.
Selon ce postulat, du moment que l'armée syrienne n'est plus présente physiquement au Liban, les rapports entre les deux pays sont censés grimper au beau fixe et il n'y a donc pas lieu d'adopter de Beyrouth une posture hostile à Damas.
Ce qu'il faut remarquer à ce propos, c'est que cette politique d'ouverture en direction de la Syrie - et de son régime - n'avait pas pris corps aussitôt après le retrait syrien du Liban, le 26 avril 2005.
Comme l'a observé mardi l'ancien ministre Marwan Hamadé, le bloc parlementaire du général s'était ostensiblement solidarisé avec le chef du PSP à l'automne 2005, lors d'un vote à la Chambre contre le mandat d'amener émis à l'époque en son nom par les autorités judiciaires syriennes.
Cela se passait plus de six mois après le retrait des troupes syriennes et alors même que le Bloc du changement et de la réforme se trouvait dans l'opposition et développait déjà les reproches que l'on sait à l'égard du pouvoir et de la majorité en place.
Trois ans plus tard, les mêmes causes ne produisant plus les mêmes effets, c'est le général lui-même qui réclame à présent des poursuites contre les piliers de la majorité pour mauvais comportement à l'égard de la Syrie. Ce qui a fait dire à Marwan Hamadé que, dans l'intervalle, Michel Aoun s'est mué en « huissier des tribunaux syriens ».
La maturation du postulat émis par le général s'est donc faite progressivement. Cela, bien entendu, ne pose aucun problème en soi, dans la mesure où toute nouvelle stratégie, notamment en politique étrangère, a normalement besoin d'un certain temps pour être clairement définie et mise en place. Surtout lorsqu'il s'agit d'un virage à 180 degrés par rapport à la politique précédente, comme c'est bien le cas ici. « Un retournement de pantalon », comme dirait Michel Aoun lui-même (il visait les centristes), citant... Jacques Dutronc (!).
En revanche, un grand problème se pose dès lors que l'on observe que cette maturation progressive n'a pas suivi une courbe parallèle retraçant un changement de comportement vers le mieux - lui aussi progressif - de la Syrie à l'égard du Liban.
En d'autres termes, ce n'est pas à mesure que Damas libérait les détenus libanais dans ses geôles, fournissait des informations sur le sort des disparus, traçait la frontière dans le secteur des fermes de Chebaa, mettait un terme aux activités de ses protégés du FPLP-CG et autres Fateh-Intifada et cessait de faire passer armes et munitions iraniennes au Hezbollah - en violation de la résolution 1701 du Conseil de sécurité -, sans parler d'autres hauts faits moins avouables encore, que le général Aoun affermissait sa théorie selon laquelle la Syrie est devenue un pays ami du Liban.
Force est de constater que c'est un tout autre processus qu'a dû suivre le général dans le réajustement de sa politique syrienne. En effet, pour qui a suivi les événements de ces dernières années, il ressort clairement que c'est uniquement au rythme de son enracinement progressif - pour ne pas dire son engloutissement - dans la grande alliance du 8 Mars, autrement dit des alliés de l'axe syro-iranien, que le chef du CPL changeait de lunettes pour regarder en direction de Damas.
La visite triomphale en Syrie, il y a quelques mois, couronnait ce processus qui place désormais le général Michel Aoun dans un camp où figurent Hassan Nasrallah, Bachar el-Assad, Mahmoud Ahmadinejad et... Hugo Chavez.
Le général est, bien sûr, parfaitement libre de ses choix et de ses alliances. Mais ce qu'on est en droit d'attendre de sa part, une fois qu'il a défini ses options en toute liberté, c'est qu'il les défende tout haut sans chercher à semer la confusion sur la nature réelle des enjeux.
Or, c'est précisément ce qu'il fait. Voici comment : en accusant les Siniora, Hariri et Joumblatt de nuire aux relations libano-syriennes, Michel Aoun cherche à insinuer dans l'esprit des gens que le refus de la Syrie de procéder au tracé de la frontière ou de satisfaire les autres demandes libanaises reflète l'hostilité de Damas non pas à l'égard du Liban, mais uniquement vis-à-vis du camp du 14 Mars ; et, par-dessus le marché, que c'est celui-ci qui en assume la responsabilité.
Faut-il rappeler que la farce des fermes de Chebaa a été mise en scène au temps où la Syrie avait encore les mains libres au Liban et où il n'y avait pas de 14 Mars ? Et que les objectifs du maintien de cette farce, vus de Damas, sont les mêmes avant et après le 26 avril 2005 ?
Posons la question autrement : le général croit-il vraiment que si la majorité actuelle était chassée du pouvoir, et que lui-même et Hassan Nasrallah devenaient les seuls hommes forts du pays, le régime syrien se montrerait pour autant plus conciliant à l'égard des revendications souverainistes libanaises ? S'il le croit, c'est qu'il lui reste encore quelques leçons à prendre en matière d'histoire du contentieux libano-syrien, et s'il ne le croit pas... c'est bien plus grave.
De la rupture douanière du début des années cinquante aux tirs de roquettes « anonymes » de nos jours, en passant par ô combien de tragédies et d'actes hostiles, le Liban - celui de Aoun autant que celui de Geagea, de Joumblatt, de Hariri et des autres - n'a pas fini de payer, en monnaie syrienne, le prix de sa création en 1920.
Le général Michel Aoun voudrait que des poursuites judiciaires soient engagées contre Fouad Siniora, Saad Hariri et Walid Joumblatt parce que, selon ses propres termes, ces derniers font beaucoup de tort aux relations libano-syriennes.Le général se fonde évidemment dans ses accusations sur le postulat qu'il avait décrété il y a...
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