«Le suicide, c'est un geste d'ultime liberté», lui rétorque son interlocuteur...
Ce bref aperçu du dialogue est une esquisse du duo à fleurets mouchetés auquel se livrent deux amis de longue date dans Le Suicidé. Un ouvrage où le lecteur trouve avec bonheur cinq esquisses en noir et blanc situant les personnages et les lieux.
Le synopsis? Un écrivain et un employé costard-cravaté se rencontrent après vingt ans d'absence. Le lieu: un café quelconque dans une de ces villes «Fast Food». Les deux acolytes passent une journée ensemble. La conversation tourne principalement autour de tout et de rien, mais le suicidé de Raouché revient inlassablement hanter le discours. Un discours où la femme est omniprésente, une femme aux lèvres couleur carmin et qui semble prête à se donner au premier venu, malgré la présence de son mari à ses côtés. Il faut dire que leur relation semble plus que chaotique. Mais chut, il faut réserver un peu le suspense...
Amine el-Bacha propose là une analyse percutante, concrète et non dénuée d'humour de l'existence du bonhomme contemporain. De l'homme d'aujourd'hui, cet individualiste, poursuivant à coups de recettes simplistes un bonheur souvent futile.
El-Bacha brosse, à petits traits vifs, la réalité de la petite vie de ses personnages pour mieux nous approcher de leurs angoisses et de leurs désirs. Il convoque la naïveté, la férocité, la médiocrité, les petites et grandes lâchetés pour faire surgir ce presque rien d'humanité qui subsiste en eux.
Au théâtre comme en art pictural, le spectateur, le lecteur et le voyeur gardent la liberté d'interprétation. Alors, nous on se demande, qui est cet homme absurde? Qui est le suicidé? N'aurait-il pas un lien de parenté avec Sisyphe? Avec nous? Les condamnés à rouler sans cesse un rocher jusqu'au sommet d'une montagne sachant parfaitement que la pierre retombera inlassablement à nos pieds? Sachant que nous ne pouvons courir plus vite que le rocher qui nous réduirait en bouillie.
Absurde, non?... Exister est, disait l'autre, «un travail inutile et sans espoir». Enfin, on y revient toujours, inlassablement, tel Sisyphe et son rocher... de Raouché.
Quand Amine el-Bacha écrit, c'est du solide.
* « Le Suicidé » aux éditions Dar Nelson, qu'il signe aujourd'hui au City Café (rue Sadate, Ras-Beyrouth) de 18h00 à 20h00.