Un des mouvements insurrectionnels les plus redoutables et les mieux organisés au monde contrôlait encore en 2006 d'immenses territoires dans le nord et dans l'est du Sri Lanka sur lesquels les Tigres espéraient fonder un État tamoul indépendant. Mais après avoir été éjectés à l'été 2007 de leurs bastions de l'est, les insurgés ont perdu de facto ce mois-ci leur « mini-État » dans le nord : leur dernière ville, Mullaittivu, est tombée dimanche, trois semaines après la chute de leur « capitale » politique, Kilinochchi, et de la passe de l'Éléphant qui reliait l'île à sa péninsule septentrionale, Jaffna.
Après 37 années de conflit - qui ont fait 70 000 morts - et une offensive commencée à l'automne 2007 dans le nord, les troupes de Colombo traquent 2 000 Tigres tamouls acculés dans un triangle de 300 km2 de jungle longeant la côte du nord-est et où vivent de 150 000 à 300 000 civils. En accumulant les défaites militaires cuisantes, les LTTE ont dû abandonner leurs infrastructures militaires: non seulement leurs bases terrestres, mais aussi leur marine - les « Tigres des mers » - et leur petite armée de l'air - les « Tigres volants ». En mars 2007, la rébellion avait fait sensation en envoyant deux avions de fabrication tchèque bombarder une base de l'armée de l'air à Colombo. Dans leur fief du nord - avec ses tribunaux, police et banques - les Tigres accueillaient des dignitaires étrangers et des médiateurs internationaux.
Ils sont pourtant considérés par les États-Unis et l'Union européenne comme une organisation « terroriste » adepte d'attentats-suicide et d'enrôlement d'enfants-soldats. « Ils semblaient invincibles. Mais ils ont sous-estimé la puissance de l'armée, qui a appris de ses erreurs du passé », analyse l'officier Boteju, en allusion aux terribles déroutes militaires de l'armée de Colombo dans les années 1990, mais aussi en 2007 et au printemps dernier. Les Tigres « n'ont pas réussi à être une grande force armée conventionnelle. Ils ont duré longtemps car aucun gouvernement précédent n'avait vraiment voulu aller à la confrontation », explique un ex-chef rebelle reconverti en homme politique tamoul, Dharmalingam Sithadthan. De fait, à peine élu en novembre 2005 le président nationaliste cinghalais Mahinda Rajapakse, épaulé par son frère Gotabhaya comme secrétaire à la Défense, choisissent la guerre à outrance contre les Tigres « terroristes », en dépit d'un cessez-le-feu scellé en 2002 et qui sera rompu en janvier 2008.
Le budget de la Défense, en constante augmentation depuis trois ans, atteint 1,6 milliard de dollars pour 2009, un record. Colombo a acheté des armes dernier cri, élargi le recrutement de soldats et modifié les stratégies et tactiques militaires de l'armée nationale. Le gouvernement a aussi mené sa guerre à huis clos, quasiment sans images de médias indépendants, interdisant aux journalistes et aux organisations humanitaires d'accéder aux lignes de front. Une partie de la presse locale a été plus ou moins muselée.
L'avenir des LTTE, qui pourraient renouer avec les tactiques de guérilla, ne dépend plus maintenant que du sort du Tigre numéro 1, Velupillaï Prabhakaran, toujours caché quelque part au Sri Lanka.
Amal JAYASINGHE (AFP)