Rechercher
Rechercher

Diaspora - SUCCESS STORY

Michel Saad, exilé volontaire à La Réunion, raconte le Liban dans ses livres

Il a commencé des études sous le chêne du village avant de les poursuivre en France puis de rejoindre l’océan Indien
Parti d’un tout petit village du Liban pour s’installer à La Réunion, une île de l’océan Indien, un Libanais tisse les liens entre deux rochers ouverts à la mer. Né en 1943 à Doueir el-Rommane, dans le Chouf, où il fait ses études primaires sous le chêne du village, Michel Saad est docteur ès sciences et écrivain. Au séminaire des pères maronites à Ghazir, il reçoit une formation littéraire en arabe et en français, étudie les langues anciennes, le latin et le syriaque. Son diplôme en sciences et en lettres décroché à l’Université libanaise, il part aussitôt en France pour continuer ses études.
Comme la majorité des Libanais, M. Saad a l’esprit des voyages dans le sang, qu’il a hérité de son père émigrant au Brésil en 1924 à l’âge de 12 ans à peine. « Il est retourné cinq ans plus tard avec, pour seule fortune, la langue portugaise et un dictionnaire que nous, enfants, allions effeuiller (pas feuilleter !) plus tard, au fil des jours », nous écrit-il. Il n’est donc pas rare qu’un petit Libanais entende parler de pays lointains dès son enfance.
Parti en France en 1969, M. Saad obtient son doctorat en informatique à Toulouse en 1972. Il prend ensuite son envol pour l’île de La Réunion (voir notre édition du lundi 4 février), un département français d’outre-mer, située dans l’océan Indien, où il postule à un poste de professeur à l’université. Il n’avait cependant pas la nationalité française requise pour ce poste. Cependant, émerveillé par cette île et séduit par ses habitants si attachants, il décide d’y rester pour enseigner les mathématiques et l’électrotechnique dans un lycée de la capitale. Il se marie avec Jeanne, une Réunionnaise d’origine chinoise, qui lui donne une fille, Haïfa, et un garçon, Léonide. Après leur divorce, il épouse une autre Chinoise, du même nom, qui lui donne trois filles, Ameylia, Audrey et Magali… Ses enfants aujourd’hui majeurs travaillent en France, en Italie et aux États-Unis. « Mes enfants ne parlent pas libanais par respect pour le pays d’accueil, précise-t-il. L’assimilation veut que les coutumes se perdent dès la deuxième génération. Maintenant retraité, je vis avec ma femme dans une grande maison qui se repeuple l’été, avec le retour des enfants pour les vacances. D’abord par la force des choses puis par goût, je me suis habitué à vivre ici, dans cet éloignement. Si la France m’a donné la culture et l’épanouissement, La Réunion aura été ma seconde patrie. »
Arrivé à La Réunion en 1972, Michel Saad serait l’un des premiers Libanais à s’être installé dans cette île où la faible superficie ne représente pas un handicap : la superficie de La Réunion est en effet de 2 500 kilomètres, soit le quart du Liban. Car ce qui compte dans l’esprit des Libanais, c’est la réussite, l’épanouissement et la joie de vivre. M. Saad raconte : « Autrefois, les îles lointaines étaient la destination forcée des exilés ou des personnes non desiderata, raconte-t-il. Ce n’est justement pas le cas de La Réunion, petite île très choyée par la France et très attachante d’ailleurs, même s’il arrive parfois qu’on s’y sente à l’étroit. On y vient pour un jour, on y reste un mois, on y vient pour une semaine, on y reste un an et parfois pour toujours. Toutes les couleurs du monde y sont représentées. Mais il n’y a aucun problème de racisme car, comme dans une marmite, nous sommes forcés à nous fondre ensemble pour donner une recette d’un goût meilleur… Le Liban serait bien heureux s’il trouvait aussi, à l’instar de La Réunion, la bonne recette de cohabitation paisible entre ses multiples communautés ! »

« La guerre a gagné »
Michel Saad n’a pas connu la guerre du Liban. « La guerre m’a surpris en 1975, se souvient-il. Elle m’a bloqué dans l’île pendant 18 ans, jusqu’au retour de la paix. Je n’ai pu retrouver mes frères et sœurs que lors de ma visite en 1992. Des enfants étaient nés, avaient grandi et s’étaient mariés, sans que je les connaisse. Il a donc fallu me présenter un à un les membres de cette nouvelle génération. Malgré le manque de pratique, j’avais gardé intactes toutes mes connaissances de la langue arabe apprise à l’école, mais le dialecte libanais, je veux dire ma langue maternelle, qui avait évolué tout au long de ces années-là, s’était comme fossilisée dans mon esprit. À m’entendre parler, certains se disaient : “D’où sort-il, celui-là ? Est-ce un revenant ? Où a-t-il appris à parler de la sorte ?” D’autres plaisantaient avec une certaine condescendance : “C’est comme ça que parlaient nos ancêtres, il y a tout juste 18 ans !” »
L’écrivain ajoute : « Mon village a été complètement rasé pendant la guerre. Ses habitants ont fui pour se réfugier à Deir el-Qamar, puis à Beyrouth, sur la ligne de démarcation désertée de ses habitants. Dès le retour au calme, j’ai pu aider mes frères et sœurs, et les financer pour acquérir des habitations en ville, j’en avais les moyens, j’étais leur Joseph. Ce ne fut qu’après 30 ans d’absence que j’ai pu vivre quelques semaines dans mon village et entendre, la nuit, les cris des renards dans la vallée. Seuls quelques vieillards attachés à leurs racines y campent dans des constructions inachevées, l’aide du gouvernement à la reconstruction des maisons n’a pas été suffisante. Les jeunes refusent d’investir dans l’agriculture. Ils ne reviennent au village que pour pique-niquer le dimanche. Autrefois enfants de la guerre, les voici devenus enfants de la ville, livrant leurs champs à l’abandon et les sources aux buissons. Ils pensent qu’il leur faudrait beaucoup de temps et d’argent pour remettre leur terre en valeur. Nul n’est prêt à ce sacrifice… La guerre a gagné. »
Retraité depuis 2004, Michel Saad consacre son temps à ses passions : ce paradis naturel et cette coexistence multiraciale pacifique lui ont inspiré plusieurs ouvrages de poésies, de science-fiction, de théâtre et de romans. « L’écriture m’a rattrapé plus tard, dit-il. L’absence, la séparation, la guerre, la destruction et la disparition totale d’endroits jadis fréquentés et aimés dans mon enfance ont ranimé ma nostalgie et forgé mon inspiration. Après plusieurs ouvrages sur Madagascar et La Réunion, j’ai réservé à mon pays mon plus beau roman, Les Tourments du cèdre, édité initialement au Canada puis en France (éd. les 5 Continents en 2001, puis éd. Le Manuscrit.com en 2003) ». Ce roman raconte l’histoire de deux jeunes, un chrétien et une druze, qui se sont connus et aimés depuis le collège, mais que la guerre et la religion devaient séparer. Une histoire très émouvante pouvant être réalisée en film. L’écrivain prépare actuellement un deuxième ouvrage sur le Liban. Ses pensées vont également aux Kurdes et aux Irakiens qui continuent de souffrir de la guerre et des massacres. Il leur a dédié un roman, La Noria ne tourne plus, paru en 2006 aux éditions L’Harmattan.
Sans être autobiographiques, ses romans reflètent parfois ses sentiments et sa nostalgie envers la mère patrie. Est-il des termes plus éloquents et plus tendres que ceux qu’il fait porter à son jeune héros malgache : « Un jour, peut-être n’est-il pas loin, je reviendrai avec un cortège d’amis et de musiciens, j’embrasserai les quatre coins du baobab pour le remercier d’avoir gardé l’esprit de mon père… Et les mains jointes devant mon visage, je le prierai de me rendre ce qui me revient de droit. C’est alors seulement que je pourrai planter mon pic dans cette terre de mes ancêtres et ressusciter les restes de mon père. (…) Mon père sera fier de moi et le baobab soulagé de pouvoir se dégourdir les racines. Je sentirai venir sur moi la bénédiction de ma terre natale et celle de mes ancêtres. » (Extrait de Solo et deux grains d’océan, éd. l’Harmattan)
Les œuvres de Michel Saad sont donc des romans, des contes, des pièces de théâtre et de la science-fiction, publiés en France, au Canada et à La Réunion, écrits en français et en créole réunionnais (visiter le site :
www.michelsaad.com). Ce professeur de mathématiques et de sciences physiques est aussi versé dans la lutherie : sa dernière création est une harpe en forme de cœur, copie adaptée de la harpe médiévale. En plus, comme la plupart de ses compatriotes, à ses heures perdues il est cordon bleu et pâtissier.
« Que Samira et Maroun (personnages du roman Les Tourments du cèdre) nous dit M. Saad, incarnent l’espoir et le futur du Liban est mon vœu le plus cher. J’ai passé plus de la moitié de ma vie dans une île qui me rappelle beaucoup mon pays par son océan, ses montagnes, sa plaine des sables. La multiplicité des religions y est même renforcée par la multiplicité des races. Les héros de mes romans sur La Réunion sont de couleurs différentes. Cette île est pour moi un exemple de cohabitation pacifique et de vie en osmose. »
Parti d’un tout petit village du Liban pour s’installer à La Réunion, une île de l’océan Indien, un Libanais tisse les liens entre deux rochers ouverts à la mer. Né en 1943 à Doueir el-Rommane, dans le Chouf, où il fait ses études primaires sous le chêne du village, Michel Saad est docteur ès...