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Diaspora - La grande émigration vers le « Rio de la Plata » a débuté en 1880

Entre commerce, transport et industrie, les Libanais ont activement contribué au développement de l’Uruguay

La « República Oriental del Uruguay » (République orientale de l’Uruguay) en Amérique du Sud, ayant pour capitale Montevideo, occupe une superficie de 176 220 km², avec une population de près de 3 420 000 âmes. L’économie du pays est basée sur l’agriculture, particulièrement l’élevage, avec une importante industrie agroalimentaire et un secteur touristique qui se développe très vite. La ville côtière de Punta del Este, surnommée la « Saint-Tropez » d’Amérique latine, est ainsi devenue une des plus prisées de la région, attirant les touristes des pays voisins, d’Europe et d’Amérique du Nord.
La population de l’Uruguay s’est formée à partir d’une fusion d’Indiens autochtones, de Noirs et de conquérants espagnols, auxquels se sont ajoutés les émigrants italiens, libanais, allemands, suisses, slaves et autres. Comme les autres pays d’Amérique latine, l’Uruguay a subi l’influence arabo-andalouse dès le XVIe siècle avec l’arrivée des Maures musulmans nouvellement christianisés durant l’Inquisition. Cette influence est un sujet important qui mérite des études approfondies.
La grande émigration libanaise vers le « Rio de la Plata » (fleuve de l’Argent) a débuté dans les années 1880. Comme partout ailleurs, la majorité des Libanais ont travaillé comme colporteurs de ville en ville, vendant des produits importés, comme des parfums de France, des bijoux et autres produits, avant d’ouvrir des supermarchés. Ils sont ensuite entrés dans les secteurs du transport (taxi, bus) et de l’industrie (fabriques de textiles, cigarettes, cuir…), contribuant activement au développement du pays qui les a reçus. Parmi les familles pionnières, citons : les Ache, Akiki, Alcuri (Khoury), Assi, Audi, Chain, Chalela, Daou, Dick, Farhat, Gabriel, Gattas, Ibrahim, Jorge (Hosni), Khoury (Jure), Nasser, Neffa, Safi, Sauma, Sfeir, Srur, Temer, Zoghbi, qui se sont éparpillés dans tout le pays, s’établissant essentiellement à Montevideo, Rivera, Chui, Durazno, Canelones et Nico Perez.

Alejandro Safi, un grand homme engagé
Alejandro Safi, né à Kfour dans le Kesrouan en 1860, faisait partie du premier groupe d’émigrés. Il arriva au pays à l’âge de 19 ans et travailla dans le commerce ambulant. Puis il rentra au Liban en 1884, se maria avec Maria Caram et revint en Uruguay en 1888 où il fonda une famille nombreuse. Il ouvrit la maison d’hôte « al-Dar » pour recevoir les émigrants arabes, leur donner à manger et les aider à trouver leur premier travail en vendant des marchandises dans la région. De plus, Alejandro Safi fonda en 1906 une association, qui prit en 1917 le nom de « Comité patriotique libano-syrien », dont l’objectif était de fortifier l’union de la colonie arabe et de lutter pour l’indépendance du Liban et de la Syrie. Présidant ce comité, il forma des groupes de volontaires qui rentrèrent dans leur patrie via la France puis l’Égypte pour combattre auprès de l’armée française. Entre autres Libanais, citons : Alfredo Mansour Baroudy, Ali el-Mosleh el-Zoghbi, André Joseph Haddad, Ibrahim Omar Adi, Mohammad Selman, Pierre Sarkis el-Hosri, Toufic Élias Kairouz...
Voici le témoignage d’Ibrahim Omar Adi, qui écrivit dans une lettre à Alejandro Safi : « Salutations et affections… Nous sommes en France où nous sommes très bien reçus par les autorités… Les volontaires libanais et syriens affluent à Marseille et plus de cent sont arrivés d’un coup, en provenance du Brésil, d’Argentine et certains même de New York. Nous partirons ensuite à Port Saïd (Égypte) avec comme objectif la victoire contre les Turcs (…). Notre pays souffre et c’est l’occasion de le libérer de la famine et de lui donner la tranquillité… C’est impressionnant de voir les arrivants de toutes les parties du monde se porter volontaires pour mourir sans autre intérêt que leur sympathie pour la France. Car l’ennemi de la France est le nôtre. Je vous demande, M. le Président, de faire attention à ma femme et à mes enfants et, si Dieu me garde en vie, je chercherais à rétribuer votre générosité de toutes mes forces. Votre serviteur Ibrahim Omar Adi. »
Le Comité patriotique libano-syrien devint en 1922 la Ligue patriotique libanaise. En 1930, Safi reçut la médaille d’honneur du Mérite libanais et français pour ses œuvres de solidarité entre les nations. Il mourut à Montevideo en 1934, à l’âge de 74 ans.

La vie libanaise en Uruguay
La vie culturelle libanaise en Uruguay s’est développée à partir des années 1920, avec l’arrivée d’une nouvelle grande vague d’émigrés après la Première Guerre mondiale. Durant cette période pionnière, plusieurs institutions ont été créées à Montevideo, faisant suite à l’Association libanaise féminine « Paraíso de los Pobres » (Paradis des Pauvres), fondée en 1915 pour subvenir aux besoins des familles touchées par la guerre. Il y eut ainsi le Club libanais (1921), puis la Mission maronite (1924), ouverte par l’évêque Jorge Shallita, de l’Ordre aleppin, envoyé par le Vatican avec le titre de missionnaire apostolique. Mgr Shallita, qui est décédé en 1953, fonda avec d’autres religieux l’église et le collège « Nuestra Señora del Líbano », constituant la base éducative des enfants d’émigrés libanais. D’autres associations suivirent, comme celle des « fils de Dar Baechtar », leur village d’origine dans le Koura, au Liban-Nord (1945). Elles ont été accompagnées par la publication de revues et journaux en arabe, dont la revue littéraire al-Watan (La Patrie), fondée en 1943 par Salomon Akiki, originaire de Zouk Mikhaël.
On estime à 70 000 le nombre des Libanais et celui de leurs descendants en Uruguay, se distinguant dans tous les domaines. Citons l’actrice de théâtre et chanteuse Dahd (Ducho) Sfeir, née à Montevideo, devenue une des plus grandes vedettes de Rio de la Plata. Sa célébrité a gagné le milieu culturel de Buenos Aires où elle s’est produite de nombreuses fois. Elle a remporté plusieurs prix nationaux et internationaux entre 1956 et 2005, dont le prix « Helen Hayes » à Washington (1996), considéré comme l’Oscar du théâtre. Un de ses succès est Tango a Tango, spectacle de poèmes, contes et chansons, racontant entre réalité et fantaisie, l’homme et la femme, la vie et la mort…

L’École República Oriental del Uruguay à Beyrouth 
Les relations diplomatiques entre le Liban et l’Uruguay datent de 1945, mais un consulat honoraire était déjà ouvert à Beyrouth en 1924, devenant consulat général en 1928. Le président Camille Chamoun visita en 1954 l’Uruguay, lors d’une tournée qui le mena aussi au Brésil et en Argentine. À cette occasion, il signa le premier accord à caractère culturel entre les deux pays. En 1964, le consulat uruguayen à Beyrouth devint une ambassade, avec comme premier représentant diplomatique au Liban l’ambassadeur José Aiub Manzor, originaire de Bécharré, au Liban-Nord. L’ambassadeur Manzor prit aussitôt l’initiative d’ouvrir une école d’enseignement primaire pour les orphelins à Beyrouth, appelée école República Oriental del Uruguay, rattachée au gouvernement libanais et située dans le quartier d’al-Saydé à Achrafieh. Elle contient aujourd’hui plus de 80 orphelins, qui comptent sur l’appui d’un groupe de l’amicale libano-uruguayenne, composé notamment de Myriam Azzi, épouse de l’ancien ambassadeur du Liban en Uruguay, Aziz Georges Azzi, Nelly Mansour, veuve de l’ancien ambassadeur d’Uruguay au Liban, José Manzor, Nidia Ramela de Hamed, épouse de l’ambassadeur du Paraguay au Liban, Alejandro Hamed Franco, Edmond Chaghoury, consul honoraire d’Uruguay au Liban, et Chantal Chelala, attachée culturelle de l’ambassade d’Uruguay au Liban.
L’actuel ambassadeur d’Uruguay au Liban et à Chypre, Jorge Jure (Khoury) Arnoletti, est d’origine libanaise. Ses grands-parents, Georges Tawa Khoury, de Chabtine, Batroun, et Ema Joen, de Zane, Batroun, émigrèrent en 1909 en Uruguay et vécurent à Nico Perez avec leurs 5 enfants. L’ambassadeur Jure, né à Montevideo, est docteur en diplomatie (voir notre édition du 18 février 2008). Il cherche à rapprocher les liens commerciaux et culturels entre les deux pays, l’Uruguay exportant une grande quantité de viande bovine, de riz, de yerba mate, de fromage et de vin.
Bruno Sfeir (www.b-sfeir.com), artiste uruguayen d’origine libanaise, est né en 1970 à San José de Mayo. Il a initié ses études de peinture à l’École nationale des beaux-arts à Montevideo, exposant ses œuvres dans les pays suivants : Uruguay, Mexique, Argentine, Brésil, Chili, Panama, États-Unis, France, Belgique, Koweit et Liban. Sa dernière exposition, à l’occasion de la fête nationale de l’Uruguay, se tient en ce moment au Palais des municipalités de Jounieh, jusqu’au 31 juillet. Quant à la colonie uruguayenne du Liban, elle est estimée à 200 personnes et constitue une force pour le Liban uni grâce aux relations privilégiées qu’elle entretient avec les Libanais d’Uruguay.

Pour en savoir plus :
Antonio D. Seluja Cecin – Los libaneses en el Uruguay, Ed. Arca, Montevideo, 2002
La « República Oriental del Uruguay » (République orientale de l’Uruguay) en Amérique du Sud, ayant pour capitale Montevideo, occupe une superficie de 176 220 km², avec une population de près de 3 420 000 âmes. L’économie du pays est basée sur l’agriculture,...