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Le Liban aurait-il peur de sa diaspora ?


Le bras de fer autour des modalités de vote des expatriés aux élections législatives prend de l’ampleur. D’un côté, les partisans d’un amendement en bonne et due forme de la loi électorale en vigueur, afin de permettre aux électeurs de la diaspora de participer au scrutin en votant, à partir de l’étranger, dans le cadre des circonscriptions où ils sont inscrits dans la métropole ; de l’autre, ceux qui pressent pour l’application des dispositions de la loi prévoyant la création de six nouvelles circonscriptions dédiées aux expatriés.

C’est en 2017 que la loi avait été votée. Depuis, deux scrutins législatifs ont été organisés, en 2018 et en 2022. Dans les deux cas s’est imposée par défaut la formule du vote dans les circonscriptions de la métropole du simple fait que les six nouvelles circonscriptions, à répartir sur les différents continents, n’avaient pas encore été créées. Ces circonscriptions doivent englober au total six sièges, répartis de la manière suivante : 1 maronite, 1 grec-orthodoxe, 1 grec-catholique, 1 sunnite, 1 chiite et 1 druze. En prévision des élections prévues au printemps 2026, le camp favorable aux six circonscriptions – formé essentiellement du CPL et du tandem chiite Hezbollah-Amal – souhaite que ces entités voient le jour à temps pour que le vote de la diaspora ait lieu dans ce cadre. En face, une proposition de loi revêtant le caractère de double urgence a été présentée récemment en vue d’amender la loi et de consacrer la formule dérogatoire adoptée lors des deux derniers scrutins. La semaine dernière, 68 députés, soit une majorité claire de la Chambre (FL, Kataëb, PSP, contestation, sunnites modérés, Michel Moawad, Tachnag et indépendants), ont signé une pétition qu’ils ont adressée au président du Parlement, Nabih Berry, en vue de l’inciter à mettre cette proposition de loi à l’ordre du jour de la séance plénière prévue lundi. M. Berry n’a pas souscrit à cette demande, ce qui a conduit une bonne partie des 68 à se retirer de l’hémicycle au cours de la séance en question, sans provoquer de défaut de quorum.

Comment en est-on arrivé là ? Pour comprendre les enjeux de cette bataille naissante, il faut d’abord revenir aux résultats du vote de la diaspora lors des législatives de 2022. À l’époque, quelque 130 000 expatriés avaient participé au scrutin sur un total d’un peu plus de 200 000 qui s’étaient inscrits dans les consulats et ambassades du Liban à l’étranger. Tous les analystes vous le diront : l’impact de leur vote a été décisif sur les résultats globaux du scrutin, en ce sens qu’il a favorisé la perte par le camp du Hezbollah de sa majorité sortante et, tout particulièrement, le recul sensible du CPL de Gebran Bassil. En face, les FL sont devenues le premier groupe de la Chambre, les autres formations de l’opposition anti-Hezb ont progressé et la contestation a emporté douze sièges (après l’invalidation d’un treizième), cette dernière profitant également de l’éclatement de la scène sunnite après le retrait de Saad Hariri. Il est donc clair, à ce stade, que, conscients de leur déclin, le CPL d’un côté et le tandem chiite de l’autre, même si formellement ils ne sont plus tout à fait alliés, cherchent à tout prix à limiter la casse dans la perspective de 2026. Pour ce faire, il leur est impératif de confiner la diaspora dans le cadre des six sièges dédiés plutôt que de la laisser influer sur les 128 de la métropole.

N’oublions pas qu’encouragés par les résultats de 2022, des dizaines de milliers d’expatriés qui ne s’étaient pas inscrits cette année-là pourraient être tentés cette fois-ci de participer au vote. Il ne serait peut-être plus question alors de 130 000 votants, mais de 230 000 ou de 300 000. Avec l’impact que l’on devine sur la configuration du futur Parlement.

Chacun des camps en présence a, certes, le droit de défendre ses choix. Les deux options sont juridiquement légitimes. Il se trouve cependant que l’une est conservatrice, frileuse, incohérente et par-dessus tout injuste, alors que l’autre est synonyme de renforcement de la démocratie parlementaire et du rôle des expatriés dans le façonnement de l’avenir de ce qui reste leur pays. L’un des arguments du camp favorable aux six sièges dédiés tient dans la comparaison avec la France. Il est vrai qu’il existe 11 circonscriptions des Français de l’étranger, mais cela ne signifie pas que tout expatrié français est tenu d’y voter. Des électeurs peuvent se trouver à l’étranger et voter dans la circonscription où ils sont inscrits dans la métropole, sans avoir besoin de s’y rendre, et cela grâce au vote par procuration. D’autre part, la mise en place de ces circonscriptions de l’étranger est justifiée par la présence de nombreux binationaux qui, de ce fait, peuvent mieux faire parvenir leur voix et, par conséquent, leur différence. Le contexte est très différent au Liban où l’on observe une dichotomie frappante entre le discours lénifiant sur la nécessité d’impliquer la diaspora dans les affaires du pays et la peur bleue qu’elle inspire chez certaines parties. Le chef du CPL, Gebran Bassil, a passé le plus clair de son temps, lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères, à se construire des réseaux d’influence au sein de la diaspora. Le résultat n’est peut-être pas concluant au niveau du nombre puisque ces jours-ci, son message à la diaspora est le suivant : que chacun reste chez soi et tout le monde s’en portera mieux…

Quant au Hezbollah, il met en avant l’argument selon lequel ses candidats qui se présentent au Liban ne pourraient pas mener leur campagne électorale dans certains pays où le parti est soumis à des sanctions, comme par exemple les États-Unis ou l’Allemagne, où il existe d’importantes colonies chiites. Prendre au sérieux un tel prétexte, c’est comme prétendre que les fiefs du Hezb sont un paradis de votation à la suisse. En réalité, ce n’est pas de campagne électorale qu’il s’agit pour les candidats du parti, mais plutôt de glacis où il est surtout question d’empêcher les autres de mener campagne. Par tous les moyens… Or précisément, c’est ce que le tandem chiite est dans l’incapacité de faire à l’extérieur des frontières. Lui qui s’oppose au principe des mégacentres de vote éloignés de 50 kilomètres parce qu’il ne peut pas très bien les contrôler, comment voudrait-on qu’il accepte que l’on scelle son sort à une distance de 5 000 km ?

Ces Libanais expatriés, ces jeunes qu’on a poussés, souvent dans les pires conditions, à prendre le chemin de l’exil pour pouvoir exister, prospérer et, en retour, aider leur famille restée au Liban, on voudrait qu’ils se taisent, qu’ils n’aient aucun impact sur l’intérieur, qu’ils ne puissent pas ouvrir la moindre brèche dans l’enceinte qui enferme cet espace où ne doit régner que le clientélisme. Alors, donnons-leur six sièges, qu’ils jouent avec et nous laissent en paix ! Voilà le nouveau crime que d’aucuns préparent pour ce pays…

Le bras de fer autour des modalités de vote des expatriés aux élections législatives prend de l’ampleur. D’un côté, les partisans d’un amendement en bonne et due forme de la loi électorale en vigueur, afin de permettre aux électeurs de la diaspora de participer au scrutin en votant, à partir de l’étranger, dans le cadre des circonscriptions où ils sont inscrits dans la métropole ; de l’autre, ceux qui pressent pour l’application des dispositions de la loi prévoyant la création de six nouvelles circonscriptions dédiées aux expatriés.C’est en 2017 que la loi avait été votée. Depuis, deux scrutins législatifs ont été organisés, en 2018 et en 2022. Dans les deux cas s’est imposée par défaut la formule du vote dans les circonscriptions de la métropole du simple fait que les six nouvelles...
commentaires (18)

En France, pays laïque (et non laïc) je sais pour qui voter en examinant l'adéquation entre mes opinions et les programmes. Descendant d'un Libanais expatrié de la période ottomane, qui était "Turc" sur ses papiers, je serais bien en peine de savoir pour qui voter au Liban si j'en avais le droit. Je m'intéresse au pays car c'est celui d'une de mes origines et il m'arrive de trembler ou de me réjouir pour lui grâce à L'OLJ qui m'apporte beaucoup.

Mika Jam

17 h 10, le 11 juillet 2025

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Commentaires (18)

  • En France, pays laïque (et non laïc) je sais pour qui voter en examinant l'adéquation entre mes opinions et les programmes. Descendant d'un Libanais expatrié de la période ottomane, qui était "Turc" sur ses papiers, je serais bien en peine de savoir pour qui voter au Liban si j'en avais le droit. Je m'intéresse au pays car c'est celui d'une de mes origines et il m'arrive de trembler ou de me réjouir pour lui grâce à L'OLJ qui m'apporte beaucoup.

    Mika Jam

    17 h 10, le 11 juillet 2025

  • Très bon édito: eh oui, la diaspora fait peur mais à vrai dire, le pouvoir (dans toutes ses composantes!) semble avoir peur de tout; frileux; recroquevillé sur lui-même; ça négocie en interne, en externe; ça tatonne, dans l'espoir de trouver un espace... introuvable.

    Marionet

    18 h 00, le 01 juillet 2025

  • Voilà un sujet qui ne soulève plus les passions des Libanais : les élections. Tous les "experts" qui se penchent sur ce mécanise démocratique vous le disent : "LES ÉLECTIONS NE FONT PAS LA DÉMOCRATIE." les élections ne mobilisent plus, laissés pour les seuls chefs de formations politiques. Ce mécanisme démocratique est instrumentalisé dans des pays non démocratique, et de surcroit, le Liban, pays en guerre depuis des décennies. Où est l'alternance politique quand on voit les mêmes chefs, jadis des chefs de guerre, les mêmes depuis la guerre. La guerre, toujours la guerre, rien que la guerre.

    nb

    17 h 40, le 01 juillet 2025

  • Certains désancéphalés OUI !

    Remy Martin

    16 h 31, le 01 juillet 2025

  • Ça n’est pas le Liban qui a peur de sa diaspora mais les vendus qui veulent continuer à avoir le dessus en inventant des astuces pour nous faire croire que parce que plus nombreux ils ont le droit de détruire notre pays sans que jamais personne ne leur demande des comptes. Berry en est la meilleure preuve. Il se comporte comme le seul dictateur, et le PM se précipite d’aller dans son bureau pour avoir son aval sur le déroulement du sauvetage du pays dont ce dernier s’est donné une peine considérable pour le détruire afin de régner en seul maître. BRAVO à ce nouveau pouvoir qui s’avère pire qu

    Sissi zayyat

    15 h 17, le 01 juillet 2025

  • ""Le résultat n’est peut-être pas concluant au niveau du nombre puisque ces jours-ci, son message à la diaspora est le suivant : que chacun reste chez soi et tout le monde s’en portera mieux…"" rester à la maison, c’était le credo de quelques partis chrétiens durant l’occupation syrienne, mais une fois l’époque est révolue, le beau-père historique faisait sa critique, fort de l’argument de bon sens, si je peux l’emporter aujourd’hui, j’aurai pu l’emporter durant des années. Au Liban, tout est question d’amour propre,et on n’appelle au vote que quand on a le vent en poupe.

    nb

    15 h 09, le 01 juillet 2025

  • ""Quant au Hezbollah, il met en avant l’argument selon lequel ses candidats qui se présentent au Liban ne pourraient pas mener leur campagne électorale…"" mais ira-t-il jusqu’à boycotter les élections, comme certains chrétiens sous occupation syrienne, et le risque de la marginalisation.

    nb

    15 h 02, le 01 juillet 2025

  • D’abord le titre : Le Liban aurait-il peur de sa diaspora ? Le Liban officiel a peur de ses enfants, ceux-ci qui ont préféré la valise au cercueil pour survivre à l’étranger. Première question : le Libanais à l’étranger a un sens plus développé de la démocratie, reniant les pratiques électorales, la corruption ? Les partis politiques libanais sont à la chasse des électeurs Libanais à l’étranger, organisant sans cesse des meetings, des barbecues politiques, des soirées au restaurant. C’est vous dire que cet expat, surtout ceux de fraiche date, intéresse les partis politiques.

    nb

    14 h 58, le 01 juillet 2025

  • ""Comme par exemple les États-Unis ou l’Allemagne, où il existe d’importantes colonies chiites"". Que c’est bien écrit, des "colonies chiites". Que d’autres colonies dont ses habitants ne veulent pas entendre ce mot.

    nb

    14 h 44, le 01 juillet 2025

  • Il serait plus juste que chacun libanais à l’étranger vote dans sa circonscription au Liban car ça nous implique davantage dans la reconstruction du pays et renforce nos liens avec notre terre On ne peut pas demander à la diaspora d’investir au Liban tout en l’empêchant de s’exprimer sur l’avenir

    Awtel Samia

    11 h 16, le 01 juillet 2025

  • ah la la quand medias et journalistes a leur solde y vont de toutes leurs fausses infos , relayant juste le bout qui justement leur donne pretextes: la verite a propos des votes parlementaires des francais...

    L’acidulé

    10 h 35, le 01 juillet 2025

  • Ce n'est pas le Liban qui ne veut pas de sa diaspora, ce sont les partis mafieux qui craignent pour leur hégémonie et qui coûte que coûte ne veulent pas de personnes éclairées et amoureuses d'un Liban digne de ce nom, ils préfèrent leur base lobotomisée qui court après des cehefaillons destructeurs, mafieux et voleurs.

    Zeidan

    10 h 33, le 01 juillet 2025

  • Ce n'est pas le Liban qui a?peur de sa diaspora; ce sont quelsues voyous à la tête de partis aussi voyous qui en ont peur

    Nouna Chidiac

    10 h 22, le 01 juillet 2025

  • De crime en crime !

    Rhéa m

    09 h 29, le 01 juillet 2025

  • Le Liban n'a pas peur de sa diaspora....C est le tandem chiite et leur chef mafieux....

    Nad

    09 h 16, le 01 juillet 2025

  • Le hezbollah et bassil deux entités dans un même vêtement…pour être polie. Ils redoutent tous deux le vote de ceux qui sont partis à cause de leur politiqie criminelle. Normal donc qu’ils votent contre. Comme vous le dites, les résultats le prouvent. Si la diaspora sauve le Liban par ses envois d’argent elle a naturellement le droit de participer activement à sa gestion. Merci a bassil de leur permettre de prendre l’avion pour venir voter sur place. Plus généreux que ça ? Il s’attend peut-être qu’on remercie sa trouvaille !

    Goraieb Nada

    07 h 32, le 01 juillet 2025

  • Il faut tenir mordicus pour permettre à la diaspora de voter pleinement; n’en déplaise au dinausore du perchoir. Je suis libanais dans l’âme, expatrié à cause de la guerre civile, mais voudrais exercer mon droit démocratique.

    Christian Samman

    07 h 22, le 01 juillet 2025

  • Le pays ne survit sans la diaspora. Plus que la moitié du PIB du Liban provient des aides des immigrants libanais (certainement inclus les chiites)

    Ma Realite

    06 h 15, le 01 juillet 2025

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