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Idées - Conflit

La « Fondation humanitaire de Gaza », une nouvelle étape dans l’effondrement du système international de secours


La « Fondation humanitaire de Gaza », une nouvelle étape dans l’effondrement du système international de secours

Après une distribution d’aide humanitaire de la Fondation humanitaire pour Gaza (GHF), un groupe d’aide privé soutenu par les États-Unis à Rafah, le 29 mai 2025. Photo d’illustration/Archives AFP

Depuis l’arrivée au pouvoir du président Trump et le télescopage de cet avènement avec le conflit majeur qui secoue la bande de Gaza, des évolutions de différentes natures convergent pour détruire le dispositif d’aide internationale d’urgence bâti depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le modèle humanitaire qui prévalait jusqu’à fin 2024 mobilisait trois grandes familles d’acteurs : le Comité international de la Croix-Rouge, créé en 1863 par le Suisse Henry Dunant avec notamment le juriste Moynier et le général Dufour, qui sera le premier instigateur de la construction du droit international humanitaire (DIH) dans sa déclinaison moderne ; les agences des Nations unies impliquées dans la gestion des urgences sur les terrains de crise ; et les organisations non gouvernementales internationales.

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Toutes ces organisations ont pour dénominateur commun le respect des principes fondamentaux que sont l’humanité, la neutralité, l’impartialité et l’indépendance. De même, toutes respectent les Conventions de Genève et leurs protocoles additionnels. Ces textes visent à « humaniser » la guerre et à œuvrer à ce que tout ne soit pas possible, même durant un conflit, en matière de violence armée, en particulier à l’égard des combattants blessés, des prisonniers de guerre, et des populations civiles.

Fragilités chroniques

Le système en place n’était pas parfait, ni exempt de reproches. L’analyse plus attentive met en lumière quatre points de fragilité du dispositif : l’occidentalo-centrisme des pays financeurs et les suspicions de « soft power » qu’on leur prêtait à travers les fonds attribués ; les rétractions financières dont le système était capable quand des préoccupations nationales prenaient le pas sur la solidarité internationale (comme pendant l’épidémie de Covid-19) ; le néolibéralisme comme marque de fabrique d’un dispositif où les principaux pays donateurs laissent le soin aux ONG d’aller collecter auprès des citoyens de leurs pays d’implantation près de 20 % des sommes annuelles mobilisées ; la tentation d’une logique sécuritaire qui s’amorçait, amenant les financeurs à vouloir imposer des procédures de filtration des employés et partenaires opérationnels pour écarter tout risque de soutien à des personnes et/ou organisations proches de groupes considérés comme terroristes. Prônant même que ces « screening » (criblages) puissent s’appliquer directement aux personnes aidées, ce que les ONG avaient jusqu’ici toujours refusé.

Les difficultés financières étaient chroniques, avec un déficit de ressources par rapport aux évaluations des besoins réalisées par les Nations unies, de 40 % chaque année depuis une dizaine d’années, pour un niveau global de dépenses de 43 milliards de dollars en 2023.

C’est sur cet état des lieux que survint la première secousse majeure qui allait frapper un modèle économique déjà fragile, avec le brusque retrait des financements octroyés au système décrit par Washington, premier financeur mondial de l’aide. Ce retrait eut d’immédiates conséquences sur le sort des 300 millions de personnes en besoin d’assistance humanitaire, faisant par ailleurs peser des dangers existentiels sur l’ensemble des acteurs humanitaires internationaux.

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Ce séisme survient alors même qu’à Gaza tous les fondamentaux du DIH sont foulés au pied de façon décomplexée : plus de 50 000 morts à ce jour, dont une large proportion de femmes et d’enfants ; plus de 400 tués parmi les travailleurs humanitaires, faisant de ce conflit le plus mortel des guerres contemporaines pour le personnel des différentes organisations humanitaires ; décisions restées sans effets des avis et condamnations présentés par la Cour pénale internationale et par la Cour internationale de justice. Parmi les organisations de l’ONU, l’Unrwa (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) est plus particulièrement la cible d’une stratégie d’éradication par une série de manœuvres financières et politiques, adossées à une campagne de diabolisation, jamais clairement argumentée, pour complicité avec les auteurs des massacres du 7 octobre en Israël.

Déni total des principes

C’est dans ce contexte qu’émerge, après le scénario de « Riviera bis », puis celui de déportation massive de l’ensemble de la population gazaouie, celui de la mise en place d’une « Fondation humanitaire pour Gaza ». Organisation nébuleuse, créée pour la circonstance, dont les financements, les acteurs, les pratiques opérationnelles et les stratégies de contrôle des personnes aidées s’inscrivent dans un total déni des principes fondateurs de l’action humanitaire. C’est précisément à cause du risque évident de non-respect des principes fondamentaux que Jack Wood, pressenti pour être le directeur de cette structure, a jeté l’éponge.

Sur un système fragilisé, et face à des acteurs humanitaires insécurisés dans leur existence même, il devient ainsi possible d’oser une démarche supplémentaire de dérégulation, présentée comme une innovation, alors que les bombes continuent de tuer la population civile. Cet accouchement mortifère aurait valeur d’antidote absolu de tous les repères fondamentaux qui guident les organisations humanitaires et signerait, s’il était érigé en monopole d’intervention, la destruction potentielle de leur capacité à agir demain auprès des Gazaouis. Outre les questions de fond que soulève ce dispositif, sa mise en route effective a d’emblée révélé son caractère déshumanisant et son inefficacité opératoire. Ce qui a conduit à une interruption de ses activités présentée comme temporaire. Le robinet de la perfusion vitale se referme encore, en toute impunité.

Alors que se succèdent les entraves et conditionnalités sur l’accès de l’aide humanitaire, inscrire à l’agenda des relations internationales des solutions de paix durables reste une cruciale nécessité. La réunion sur la Palestine, prévue lors de la prochaine Assemblée générale des Nations unies à New York du 17 au 20 juin, coorganisée par la France et l’Arabie saoudite, est porteuse de décisions potentielles qui laissent enfin espérer la fin de la paralysie politique. La Grande-Bretagne, le Canada et la France semblent déterminés à soutenir une solution à deux États. Si cela se confirme, émergerait la perspective d’un avenir possible pour les deux millions de Gazaouis pris au piège de la guerre depuis plus de 18 mois. Pour que enfin la population civile puisse échapper à l’unique équation jusqu’ici imposée par Israël et ses alliés : des bombes et du pain en quantité savamment dosée.

Par Pierre MICHELETTI, Président d’honneur d’Action contre la faim, ancien président de Médecins du monde. 

Depuis l’arrivée au pouvoir du président Trump et le télescopage de cet avènement avec le conflit majeur qui secoue la bande de Gaza, des évolutions de différentes natures convergent pour détruire le dispositif d’aide internationale d’urgence bâti depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.Le modèle humanitaire qui prévalait jusqu’à fin 2024 mobilisait trois grandes familles d’acteurs : le Comité international de la Croix-Rouge, créé en 1863 par le Suisse Henry Dunant avec notamment le juriste Moynier et le général Dufour, qui sera le premier instigateur de la construction du droit international humanitaire (DIH) dans sa déclinaison moderne ; les agences des Nations unies impliquées dans la gestion des urgences sur les terrains de crise ; et les organisations non gouvernementales internationales. À lire...
commentaires (2)

Quelle abjection, quel cynisme !

Politiquement incorrect(e)

16 h 37, le 09 juin 2025

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Commentaires (2)

  • Quelle abjection, quel cynisme !

    Politiquement incorrect(e)

    16 h 37, le 09 juin 2025

  • C'est quoi cette fausse ONG dirigee par d'anciens (?) de la CIA et dont l'objet est d'attirer les Palestiniens, sous pretexte d'aide alimentaire, pour les massacrer.

    Michel Trad

    11 h 13, le 09 juin 2025

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