L’histoire, a-t-on pu dire, est un éternel recommencement. C’est particulièrement vrai de l’historique des relations entre États, lesquelles connaissent forcément des hauts et des bas ; et lorsque, sous peine de crise ouverte, un redémarrage sur des bases plus saines s’avère nécessaire, on voit la diplomatie s’activer sur son terrain de prédilection. Elle puise alors dans son attirail de formules toutes faites, la plus courante étant celle, usée jusqu’à la corde, de l’ouverture d’une page nouvelle dans un cadre de respect mutuel et de non-ingérence dans les affaires de l’autre. C’est ce même plat, pour ne pas dire cette fade platitude, que nous a copieusement servi le ministre iranien des AE, tout au long de sa visite inopinée de mardi à Beyrouth.
Toujours est-il qu’attendant de voir s’ouvrir la page promise, c’est plutôt le contexte régional qui, pour les Iraniens, est désagréablement nouveau et commande une approche plus soft de la question libanaise. Le temps n’est plus où les gardiens de la révolution pouvaient se vanter d’avoir trois ou quatre capitales arabes à leur botte. L’Iran a perdu son allié de Syrie Bachar el-Assad, ses protégés libanais du Hezbollah n’en finissent pas de digérer la déroute militaire que leur a value leur front de soutien à Gaza. Ceux du Yémen ont quémandé une cessation des hostilités avec le grand satan américain, ceux d’Irak sont prudemment restés l’arme au pied et Téhéran lui-même est en pleins pourparlers avec les États-Unis sur le dossier du nucléaire.
Cette cuisante bérézina se double, de surcroît, de l’émergence d’un État libanais lui aussi nouveau, et même beaucoup trop nouveau au goût de Téhéran : un État qui en a assez de la guerre des autres sur son propre sol ; un État qui décrète révolue l’ère de l’exportation à tous vents de la révolution iranienne ; un État qui se dit seul en droit de décider du désarmement de la milice, toutes positions clairement définies par le président de la République, le Premier ministre et le ministre des AE.
Cela dit, généreusement fraternelle se veut l’offre, avancée par l’hôte iranien, d’une contribution de la République islamique aux efforts de reconstruction au Liban. Mais à bien y penser, d’aussi favorables dispositions ne sont-elles, en toute justice, chose due ? Téhéran ne porte-t-il pas une énorme responsabilité dans l’aventurisme du Hezbollah qui s’est soldé par un tel désastre en termes de vies humaines et de destructions ? Ne serait-ce pas là, en définitive, nous faire cadeau de nos deniers ?
Loin de la perspective des bulldozers et des bétonneuses se bousculant sur les chantiers de la reconstruction, il est un tout autre domaine cependant où certaine initiative de la République islamique serait indiscutablement la bienvenue. On peut certes penser ce qu’on voudra du sérieux de l’engagement de non-ingérence contracté, au nom de son pays, par le visiteur iranien. On ne peut que se féliciter, de même, de l’insistance du président Joseph Aoun à n’envisager d’autre dialogue que celui d’État à État. C’est toutefois une autre forme d’intervention, et même d’immixtion – mais positive celle-là, car visant strictement leurs propres fidèles locaux –, que nous doivent, par-dessus tout, les dirigeants de Téhéran. Autant en effet ceux-ci se démènent pour faire preuve de pragmatisme, autant les chefs du Hezbollah persistent à vivre dans le déni le plus total, à rêver de victoires passées et futures, comme si la vision dantesque d’un Liban-Sud criblé de cratères de bombes les vouait absolument à camper sur la lune, totalement déconnectés du concret.
Le régime des mollahs n’a jamais eu trop de scrupules pour faire régulièrement de la milice sa chair à canon. Il est grand temps pour lui de l’aider à se mettre un peu de plomb dans la cervelle. L’offensive de charme persane resterait bancale, inachevée, si elle ne devait pas déteindre salutairement sur le Hezbollah. Elle n’aurait été que grossière verroterie de bazar.