
La faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université libanaise, section V, a réuni, le 13 mai, chercheurs, étudiants et experts autour d’une conférence percutante sur les traumatismes de la guerre et la contribution essentielle des sciences humaines à la reconstruction sociale.
Intitulée « De la destruction à la construction de l’espoir : comment les sciences humaines peuvent-elles comprendre et traiter les traumatismes de la guerre ? », cette conférence, organisée à l’occasion de la Journée internationale de la paix, « s’inscrit dans une volonté de mettre en valeur le rôle des sciences humaines dans l’analyse des dynamiques sociales post-conflit », précise Faten Kobrosli, professeure-chercheuse en littérature comparée francophone et initiatrice de l’événement, avant d’expliquer : « Les sciences humaines offrent les outils conceptuels, critiques et symboliques nécessaires pour penser le trauma au-delà du symptôme.
Elles permettent d’analyser les causes profondes des violences, de reconstruire des récits signifiants et d’accompagner les individus et les sociétés vers des formes nouvelles de résilience, de justice symbolique et de lien social. »
Tous les départements de la faculté des lettres – philosophie, histoire, archéologie, géographie, littérature et psychologie – ont pris part à la conception de cet événement. « La faculté des lettres est un lieu de mémoire vivante et de pensée critique. C’est là que naissent les questions essentielles, que se tissent des mots pour nommer l’indicible et que se construit une mémoire collective capable de relier le passé, le présent et l’avenir. Elle constitue un levier fondamental dans la formation d’individus capables de penser la complexité du monde et de dialoguer au-delà des clivages. Elle contribue également à la reconstruction du tissu social par le langage, la culture et la pensée », explique Faten Kobrosli.
Organisée sous le patronage de la doyenne, la professeure Souha el-Samad, et du directeur de la faculté, le professeur Ahmad Nasrallah, en présence de l’ancienne doyenne, la professeure Wafaa Berry, et de la directrice déléguée de l’Institut français du Liban-Sud, Bérénice Velez, la conférence a réuni 13 intervenants parmi lesquels figurent des universitaires, des chercheurs, des cliniciens, des artistes et des représentants d’associations et d’ONG. Elle a été marquée par deux panels aux titres évocateurs. Le premier, intitulé « La guerre : blessures psychologiques et mutations sociales », a rassemblé des spécialistes en philosophie, histoire, psychologie et littérature. Les interventions ont exploré divers thèmes : les différentes formes de traumatismes liés à la dernière guerre et les moyens d’y faire face ; la question de l’identité à l’ère de la guerre et de la mondialisation ; la mémoire et la guerre ; le récit de guerre et les défis de l’expression. Le second panel, « Les stratégies de guérison et de réconciliation », a abordé la reconstruction de la confiance et de la mémoire collective, le rôle de l’art et de la culture dans le processus de guérison, la réconciliation politique, le rôle de la faculté des lettres dans la promotion du dialogue et de la cohésion sociale ainsi que la philosophie comme horizon de salut face à la guerre.
Grande implication étudiante
Les étudiants ont été très impliqués dans cette initiative. « Ils ont été au cœur du processus. Ils ont écrit, traduit, joué, filmé, chanté, dessiné… Certains se sont exprimés pour la première fois sur des douleurs familiales liées à la guerre », indique Faten Kobrosli, en estimant : « Leur implication a été libératrice. Ce que j’ai observé chez eux, c’est une forme de transformation intérieure : une prise de conscience profonde, une émotion assumée, une parole qui se libère. En explorant ces fragments d’histoire, ils ont fait bien plus que représenter – ils ont transmis, compris, et parfois même commencé à guérir. »
La rencontre a inclus des expositions, des lectures critiques, des spectacles théâtraux sur la guerre et la paix, ainsi que des lectures créatives en plusieurs langues.
« La diversité du public – composé majoritairement d’étudiants de diverses spécialités, de professeurs, de journalistes, de travailleurs sociaux et de citoyens engagés – a enrichi les échanges et permis une véritable interaction entre sphères académique, professionnelle et civile », indique Faten Kobrosli, avant d’ajouter : « C’était bien plus qu’un colloque : c’était un moment de partage vrai, où le savoir rencontrait la vulnérabilité. » D’ailleurs, selon l’initiatrice de cet événement, « l’objectif principal était de démontrer que les sciences humaines ne sont pas enfermées dans des livres ou des théories, mais qu’elles peuvent agir dans le réel, éclairer les blessures invisibles et proposer des voies de guérison, individuelle et collective. Il s’agissait aussi d’ouvrir un espace de parole et d’écoute, à la fois scientifique, artistique et humain ».
Des certificats ont été remis aux participants au terme de la rencontre qui a été suivie d’une visite d’une exposition de dessins et d’œuvres artisanales symbolisant la paix, le Sud et la beauté.
De tels événements ouvrent « un espace où la parole circule librement, où les disciplines se rencontrent et s’éclairent mutuellement », poursuit Faten Kobrosli. « Cette initiative a permis de tisser des liens entre mémoire et avenir. Elle n’efface pas les blessures de la guerre, mais elle les accueille, les nomme, les écoute de manière plus inclusive, plus juste, plus sensible. Elle refuse l’oubli comme elle refuse la fatalité. À la place, elle offre d’autres récits – plus doux, plus humains, plus porteurs de sens – qui permettent de transformer la douleur en compréhension partagée. C’est dans cette rencontre entre le savoir, l’émotion et la reconnaissance que peut naître une guérison collective, lente mais réelle, nourrie par l’écoute et portée par l’espérance. »
