
Des jeunes marginalisés exprimant leurs émotions à travers des activités théâtrales. © FTA 2025/Avec l'aimable autorisation de Yasmina Wakim
Avec une guerre sans fin au Liban, comment la santé mentale peut-elle encore être reléguée au second plan, voire au dernier ? Alors que l’aide internationale a toujours misé sur l’action humanitaire et les soutiens financiers pour faciliter la reconstruction physique du pays, où est passée la réparation des esprits meurtris ? Depuis maintenant dix ans, For the Art œuvre au plus près de populations sensibles, avec l’intime conviction que l’art peut sauver, et l’ultime consécration de redonner reprendre goût à la vie aux personnes en détresse.
« Through the heart » Genève – Expositions & Performances Artistiques , avec plus de 30 artistes internationaux engagés dans le dialogue entre l’art et la santé mentale © FTA 2023/Avec l'aimable autorisation de Yasmina Wakim
Surmonter le tabou de la santé mentale
À l’occasion d’un entretien avec l’une des fondatrices de l’ONG, Yasmina Wakim, celle-ci confie que de nombreux Libanais souffrent de blessures psychiques profondes. Aller chez le psychologue reste tabou et suscite une inquiétude ironique venant de leur entourage, dressant un obstacle supplémentaire. C’est comme si ce rendez-vous signalait une gravité nouvelle, qu’il constituait l’apanage des psychotiques et que le monde n’était pas déjà parti en vrille. Faut-il alors être fou pour vouloir guérir au Liban ? Face à l’absence de solution proposée, elle crée l'association avec sa sœur, Rouane Wakim, elle-même thérapeute. Fortes de leur expérience de terrain, les sœurs Wakim ont su donner toute sa portée à la pratique artistique, socialement bien plus valorisée qu’un suivi psychothérapeutique. De séance en séance, l’art-thérapie s’est plus que jamais imposé au travers des 2 370 ateliers organisés par For the Art, clouant le bec à ceux qui en fustigent l’idéalisme, pour devenir un véritable remède de soin pour guérir ses cicatrices.

Relancer le cerveau, la créativité comme étincelle
Ce que les traumatismes provoquent, ce sont de véritables courts-circuits. Certaines parties du cerveau se désactivent. Et se résoudre à laisser le temps faire n’arrange rien : à l’Université de Genève, de récentes études scientifiques ont démontré que les traumatismes s'impriment dans l’ADN. Pour contrer cette fatalité, l’art-thérapie fait des patients de véritables artisans de leurs propres émotions. Par l’expression artistique qu’ils investissent, ils parviennent ainsi à faire se refermer des blessures à ciel ouvert, et faire fleurir des terrains jusque-là stériles. Si à son origine, en 2015, l’initiative ne concernait que des enfants en situation de vulnérabilité psychologique, le succès rapide des accompagnements en drama-thérapie, musico-thérapie, danse-thérapie et arts expressifs de For the Art a connu une démocratisation qui gagne les adultes en situation de détresse, de dépression ou en état post-traumatique. Plus que de renforcer les liens sociaux, ce processus tend aujourd’hui à soigner la mémoire collective.

2025, un cap symbolique et l’aube d’un engagement renouvelé
C’est à Frédéric Imbert, designer français, que l’on doit l’élan initial de l’exposition caritative, lancée à Paris après plusieurs années passées à s’éprendre du Liban. Depuis, de nombreux artistes de renom ont rejoint le projet : de Karel Balas, fondateur de Milk Magazine, à la cinéaste Chloé Mazlo, en passant par Wajdi Mouawad, Bernard Khoury, Aurèle the Lost Dog ou Adrien Sabbagh. Tous ont offert des œuvres, devenant les alliés fidèles d’une cause qui place l’art au cœur du soin.
Cette année, une multitude d’œuvres de nouveaux artistes attendront leurs acquéreurs aux cimaises du 80 rue de Turenne, à Paris. Et comme For the Art procède depuis ses débuts, l’intégralité des ventes sera dédiée au financement de ses programmes d’accompagnements, permettant l’intervention de thérapeutes au Liban et demain peut-être dans d’autres pays. Cette édition marque un véritable tournant, des artistes engagés depuis toujours, comme Isabelle Stanislas, poursuivent l’aventure aux côtés de nouveaux ambassadeurs, créateurs et créatrices de France, d'Angleterre et de Hongrie. La levée de fonds et la programmation artistique prévues ce week-end donneront à l’événement une portée à la fois festive et pédagogique, où l’art devient aussi bien un levier de sensibilisation qu’un espace de dialogue et de solidarité.