
Le président turc Recep Tayyip Erdogan accueille le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane en Turquie le 22 juin. Photo Ozan Kose/AFP via Getty Images
Il devait être l’un des grands perdants de l’attaque du 7-Octobre. L’opération du Hamas est venue fracasser ses rêves de stabilité régionale et son projet de normalisation avec Israël. Pis, la grande bataille entre l’axe iranien et le camp israélo-américain aurait dû aboutir soit au renforcement du premier dans le monde arabe, soit à son affaiblissement au prix d’un conflit régional de grande ampleur. Autrement dit, tout ce qu’il voulait éviter. Mais l’histoire en a décidé autrement. Et Mohammad ben Salmane apparaît au contraire aujourd’hui comme l’un des grands gagnants de l’après 7-Octobre.
L’axe iranien n’est plus que l’ombre de ce qu’il était. Et ce, sans que cela n’ait rien coûté au royaume. La détente décrétée en avril 2023, sous l’égide de Pékin, n’a jamais été remise en question, même dans les moments les plus tendus de la confrontation israélo-iranienne, et a même contribué à éviter l’escalade généralisée.
Le prince héritier est désormais le leader incontesté du monde arabe et l’une des grandes figures du « nouveau monde ». C’est à ce titre que Donald Trump lui a accordé sa première visite à l’étranger et l’a traité non pas comme un égal mais pas non plus comme un vassal. MBS peut jubiler. Il pouvait difficilement espérer mieux de la part de son plus important allié.
Donald Trump a signé une trêve séparée avec les houthis, privilégié l’approche diplomatique sur le dossier iranien, rencontré Ahmad el-Chareh, levé les sanctions contre la Syrie pour ses beaux yeux (et ceux d’Erdogan) et lui a fait comprendre que la normalisation avec Israël – impossible pour le moment – pouvait attendre.
Les deux hommes parlent le même langage, cela a été suffisamment commenté. Mais la comparaison avec Trump a ses limites. MBS n’est plus le jeune trublion qui accueillait le milliardaire américain il y a huit ans. Il a mûri, appris, compris les limites de l’usage de la force et développé une véritable ossature politique et diplomatique. MBS est un révolutionnaire, quoi que l’on pense de sa révolution. Il a changé le royaume et a pour ambition d’en faire de même à l’échelle de la région.
Peut-il y parvenir ? Réussir là où même Nasser a échoué ? S’il y a indiscutablement « un moment golfien au Moyen-Orient », comme le clame le politologue émirati Abdelkhaleq Abdallah, celui-ci n’en reste pas moins assez fragile.
Le projet de MBS, d’abord tourné vers l’intérieur – Saudi first–, demeure très dépendant du prix du baril. Sa baisse, favorisée par la politique du royaume, pose des questions sur la viabilité de son projet à moyen terme et sur sa réelle capacité de transformer son modèle économique afin de préparer l’après-pétrole, tant de fois annoncé mais qui finira tôt ou tard par arriver.
La deuxième interrogation est d’ordre politique. Qu’est-ce qu’un royaume autoritaire et nationaliste, obsédé par la sécurité et par le futur, a à offrir à des pays qui sont à mille lieues de sa réalité ? Qu’a-t-il à leur dire sur la pluralité, la liberté, la circulation des idées ou encore la justice sociale ?
Il y a un monde entre le Golfe et le reste du Moyen-Orient. Mais il faut toutefois reconnaître que l’Arabie saoudite, contrairement aux Émirats arabes unis, ne cherche pas à imposer son modèle dans toute la région et s’adapte aux réalités locales. Au Liban, en Syrie, en Irak ou encore en Palestine, Riyad développe une politique assez prudente, pluricommunautaire et favorable à la préservation de l’État central. Ce n’est pas un projet d’hégémonie régionale mais plutôt d’un leadership montrant la voie à suivre.
Demeure le dernier point, le plus important. L’ère iranienne est terminée. Mais l’ère saoudienne ou même golfienne ne verra probablement jamais le jour. Le royaume a réussi, non sans difficultés, à s’imposer comme le chef de file du Golfe, mais le reste du Moyen-Orient est un terrain nettement plus ardu où les limites du hard power saoudien sont beaucoup trop visibles pour ne pas être handicapantes. Même si l’Iran est amputé, même si l’Arabie a amélioré ses positions au Liban et en Syrie, Riyad ne peut stabiliser la région sans avoir le soutien d’un puissant allié. Il ne peut non plus y parvenir sans un règlement de la question palestinienne.
L’Europe est trop absente pour peser dans les débats, même si la conférence franco-saoudienne pour relancer la solution à deux États, qui doit se tenir du 17 au 20 juin prochain, est une très bonne initiative. L’Amérique de Trump est trop désintéressée par la région et surtout trop pro-israélienne pour être le fer de lance d’un véritable projet de paix régionale. Et Israël, qui s’affichait jadis comme un potentiel allié contre la menace iranienne, n’est rien de moins que le principal fossoyeur du grand plan de MBS. La politique israélienne menace non seulement Gaza et la Cisjordanie, mais aussi l’Égypte, la Jordanie, le Liban et la Syrie. Comment promouvoir la paix dans un tel contexte ? Comment éviter que l’ère israélienne ne se substitue à l’ère iranienne ?
Reste un acteur dont nous n’avons toujours pas parlé. Le rival historique, l’ennemi intime, qui ressemble pourtant désormais à la pièce manquante du projet de MBS. Rien ne paraît moins naturel qu’une alliance entre l’Arabie saoudite et la Turquie, entre le prince et le sultan. Les deux pays ont connu une crise diplomatique de grande ampleur à la fin des années 2010, après le blocus imposé par l’axe saoudo-émirati contre le Qatar (allié d’Ankara) et l’assassinat de Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien d’Istanbul. Même les séries télévisées turques ont été interdites en Arabie à cette époque. Mais de l’eau a depuis coulé sous les ponts et tout le monde a intérêt à la détente. Sur les principaux sujets – Ukraine, Gaza, Syrie –, les deux leaders du monde sunnite ont peu ou prou la même politique. L’échec des Frères musulmans rend la question de l’islamisme politique, une des principales lignes de fracture entre les deux pays, plus secondaire. D’autant que le nouveau pouvoir islamiste en Syrie est soutenu à la fois par la Turquie, l’Arabie et même les Émirats, et a tout pour être le point de rencontre entre Riyad et Ankara.
Certes, on n’efface pas plus d’un siècle de rivalités politico-religieuses en un clin d’œil. Les deux dirigeants se méfient l’un de l’autre et aucun ne veut paraître comme le second couteau. Mais ensemble, avec les pétrodollars de l’un et le hard power de l’autre, ils sont capables d’imposer des lignes rouges à Israël et de le contraindre à négocier. Ensemble, ils peuvent sérieusement parvenir à stabiliser la région. Si bien qu’une alliance solide entre les deux pays pourrait marquer rien de moins que le début d’une ère saoudo-turque au Moyen-Orient.
Pas de reconnaissance avec Israël avant la création d’un état palestinien avait dit Mohamed Ben Salman, mais aussi pas de reconnaissance d’Israel tant que NETTANYAHU et ses sbires ultras suprematistes et ultras extrémistes sionistes sont au pouvoir.
05 h 22, le 22 mai 2025