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Pour l’amour d’Adonis

Le printemps fait surgir dans la campagne libanaise – qui est plutôt montagne – des floraisons d’espèces si rares qu’elles ne peuvent être vues que dans leur milieu propre. Un microclimat particulier créé par des températures instables, parfois extrêmes, des pluies aléatoires, des brumes épaisses suivies de longues sécheresses sur un terreau particulièrement ferrugineux donne naissance à d’incroyables iris. Le sofarana, bleu tendre autour d’un cœur noir, pétales si diaphanes qu’une goutte de rosée les accable, se cache dans les plis rocheux de Sofar dont il tient son nom. Le cedreti, lui, aime le voisinage des cèdres et rien qu’eux, qui le laissent prendre des couleurs sous les rayons de soleil qui les traversent en gloire. Et quelles couleurs ! Ce pourpre presque noir, ces veinures de marbre, couvent sous la neige depuis des millénaires. Leurs bulbes parlent aux racines des arbres et ne semblent sortir au grand jour du printemps que sur un signe énigmatique de la forêt.

Plus secret encore est le géranium bohème, qui pousse à la faveur des incendies. Sur les terres brûlées, presque cristallisées, les lendemains de pluie révèlent la revanche de la vie en tapis d’herbe tendre, et c’est là que se déploient les gracieuses fleurs bleues, timides sans être farouches, conscientes de leur singularité, regroupées en tribus loin des pas des promeneurs. À ces trésors s’ajoutent, parmi la sauge et le genêt dont les parfums entêtants vous possèdent jusqu’au vertige, les orchidées sauvages et les tulipes des champs et les étoiles accrochées aux tiges des asphodèles. Les anémones, dont le nom en arabe, chaqa’eq al-naaman, évoque les « blessures de l’aimé », ne sont que le sang d’Adonis, lacéré par un sanglier, qui revient chaque printemps, incarné dans une fleur, nous rappeler à son souvenir. Un demi-dieu ne meurt qu’à demi. Où sont les anciens cultes disparus ?

En nommant les fleurs, on désigne le Liban qui les abrite et on le fait exister hors des cartes, des frontières et de la géopolitique. On le révèle, on reconstruit sa vie intérieure. Rien au monde n’est plus réconfortant que cette certitude des rendez-vous de la nature et l’odeur de la terre qui les accompagne. La flore printanière est un retour du temps. Qui sait depuis combien de millénaires se reproduisent les fleurs de Beyrouth ? Quelle graine attachée à la sandale de quel marin venu de loin, ou simplement éclose comme un miracle, autogénérée ou apportée dans le modeste bagage d’un missionnaire, est responsable du réveil, aussi loin qu’on s’en souvienne, des capucines et des cyclamens, de l’oseille sauvage ou oxalys ou… roulement de tambour, hommaïda, obsession des enfants qui la broutent en bouquets dans les cours de récréation, terreur des surveillants et surveillantes qui voient ainsi leurs ouailles brusquement ensauvagées, rendues à l’état du chasseur-cueilleur que des couches et des couches de civilisation n’ont pas réussi à neutraliser… Sur la pierre chaude d’un édicule entourant un jacaranda centenaire dont les clochettes se déversent en pluie, soulevant une odeur fade de poudre et d’urine, un chahut de capucines livre ses bourgeons aux petits doigts impatients de les faire exploser. Quel écolier n’a pas joué à éclabousser ses camarades de ce jaillissement au parfum si vert, si vif et joyeux, qui reste sur les mains tout au long des cours barbants de l’après-midi et qu’on renifle de temps en temps pour assouvir un peu l’envie brûlante d’être dehors, regarder le soleil dans les yeux et vivre-vivre ?

L’adulte en nous a lui aussi besoin d’herbe et de ciel. Une promenade n’est jamais anodine. La boue légère attachée aux semelles vous transforme en messager du vent. Parler à la terre, fouler la terre, le corps en marche et l’esprit vagabond, accorde votre pouls aux forces des profondeurs qu’un pays enserre et embrasse et qui sont son essence et la vie de sa vie.

Le printemps fait surgir dans la campagne libanaise – qui est plutôt montagne – des floraisons d’espèces si rares qu’elles ne peuvent être vues que dans leur milieu propre. Un microclimat particulier créé par des températures instables, parfois extrêmes, des pluies aléatoires, des brumes épaisses suivies de longues sécheresses sur un terreau particulièrement ferrugineux donne naissance à d’incroyables iris. Le sofarana, bleu tendre autour d’un cœur noir, pétales si diaphanes qu’une goutte de rosée les accable, se cache dans les plis rocheux de Sofar dont il tient son nom. Le cedreti, lui, aime le voisinage des cèdres et rien qu’eux, qui le laissent prendre des couleurs sous les rayons de soleil qui les traversent en gloire. Et quelles couleurs ! Ce pourpre presque noir, ces veinures de marbre, couvent sous...
commentaires (7)

Comment encadrer ce texte...? L'encadrer par un amour sincère et le préserver dans un esprit millénaire.

Wlek Sanferlou

15 h 16, le 09 mai 2025

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Commentaires (7)

  • Comment encadrer ce texte...? L'encadrer par un amour sincère et le préserver dans un esprit millénaire.

    Wlek Sanferlou

    15 h 16, le 09 mai 2025

  • Superbe! Mais j'ai une petite remarque, qui ne diminue en rien la beauté de ce texte: selon le "Dictionnaire des Sciences de la Nature" d'Edouard Ghaleb, "chaqaeq an-naaman" serait plutôt le renoncule, pas l'anémone...

    Georges MELKI

    09 h 17, le 09 mai 2025

  • "Un demi-dieu ne meurt qu’à demi. Où sont les anciens cultes disparus ?" Mais ils sont toujours là...sous une autre forme!

    Georges MELKI

    09 h 02, le 09 mai 2025

  • Comment encadrer ce texte? J'ai du bois de vent, du bois de mer, du bois d'air vif. Avec vitres antireflet ou sans. Teintées violettes ou boutons d'or? On accroche aux nuages ou au-dessus?

    Fady Noun

    13 h 20, le 08 mai 2025

  • Merci Fifi, on aimerait voir ce beau texte publié un jour à l'intention des amoureux de la nature, des fleurs et de ce pays si compliqué...

    saouma samia

    12 h 25, le 08 mai 2025

  • Magnifique article qui embaume nos sens comme si on y était. Il manque une illustration pour ce cours de botanique qui devrait être enseigné dans les écoles pour pousser les jeunes libanais à connaître la richesse de la nature de notre pays et en prendre grand soin. Merci Fifi. Une poétesse est née.

    Sissi zayyat

    11 h 25, le 08 mai 2025

  • Merci pour cet article… rafraîchissant!

    Roll

    07 h 58, le 08 mai 2025

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