Un tournant potentiellement décisif sur la voie du redressement : ainsi peut être qualifié le vote jeudi, par le Parlement, d’une nouvelle loi sur le secret bancaire. Du coup se trouve salutairement codifié, maîtrisé, dompté un des tabous les plus tenaces de la saga financière du Liban ; les plus lucratifs aussi, faut-il ajouter, puisque c’est cette même garantie de très permissive confidentialité qui, dans le passé, attirait irrésistiblement les dépôts vers les coffres de notre éphémère Suisse de l’Orient.
Si ce tournant mérite d’être chaudement salué, c’est d’abord parce qu’il répond enfin à l’une des principales exigences des organismes financiers internationaux désireux d’aider le Liban à s’extraire de l’ornière. C’est aussi parce qu’il offre aux citoyens ordinaires, passifs passagers entassés à bord de la charrette étatique, une perspective inédite sur des horizons trop longtemps interdits à la vue. Mieux vaut tard que jamais, bien sûr ; et pourtant, on ne peut s’empêcher de regretter que les chauffards de la République aient eu tout le loisir de repérer les abondants panneaux signalant un virage qui, pour eux, était carrément dangereux. Personnages politiques ou banquiers véreux suspectés de détournement de fonds, de transferts illicites ou de blanchiment d’argent, tous ceux-là auront amplement eu le temps de lever le pied de l’accélérateur, de mettre fin à leurs rapines, de s’acharner plutôt à brouiller les traces de leurs magots enfouis dans les paradis fiscaux. Mais sont-ils vraiment tirés d’affaire(s) pour autant ?
Telle qu’elle a été amendée au terme de plusieurs tentatives infructueuses, la loi sur le secret bancaire permet de remonter à dix ans en arrière, ce qui couvre largement la période de confusion et de louches manipulations ouverte par la rébellion populaire de 2019. Autre innovation notable, les firmes d’audit agréées par la Banque du Liban et la Commission de contrôle des banques pourront, elles aussi, avoir accès aux documents antérieurement protégés. Dès lors, c’est effectivement d’un précieux, d’un indispensable outil que se dotent un régime et un gouvernement clairement, activement engagés sur le chantier des réformes.
Pour revenir à l’allégorie de la route aux fatidiques virages, nombreux sont en revanche les goulots d’étranglement. Car à l’image de notre code routier qui existe bel et bien même s’il est superbement ignoré par la masse, les textes ne sont guère seuls hélas à régir le jeu démocratique libanais, trop souvent tributaire des équilibres politiques et sectaires. À titre d’exemple, un premier écueil serait celui de la tentation de la sélectivité dans l’échelle des priorités accordées aux dossiers les plus criants. Après tout, les membres des deux autorités en charge, banque centrale et Commission de contrôle des banques, ne sont généralement en place que suite à de laborieux marchandages entre forces politiques, et ils demeurent redevables à ceux qui les ont propulsés à leur poste. On peut d’ailleurs redouter qu’à leur tour, ces parrains se refusent à monter sur l’échafaud si le rival, lui, échappe au couperet ; de fait, ces messieurs se tiennent tous par la barbichette pour avoir, avec un bel ensemble, plongé leur louche dans la marmite. Non moins âpre d’ailleurs promet d’être le débat sur la restructuration du secteur bancaire, ou encore sur la répartition des charges quand il s’agira de régler la lourde facture due à la crise.
Parlant de charges, ce serait enfoncer des portes ouvertes que de relever le rôle-clé dévolu au département de la Justice, lequel d’ailleurs fait preuve d’un zèle en tout point remarquable pour reconquérir son indépendance. Le signe le plus évident, le plus prometteur aussi, en est la réactivation de l’enquête sur les meurtrières explosions de 2020 dans le port de Beyrouth. C’est ainsi qu’un ancien Premier ministre qui vient de se présenter devant le juge d’instruction. Les temps sont visiblement en train de changer. Comme de juste.
Issa GORAIEB