
Une agence bancaire dans une rue de Jounieh, en janvier 2024. Photo P.H.B. / L'Orient-Le Jour
Dans la crise financière que traverse le Liban, la formule « protéger les déposants » est devenue un mantra politique. Elle apparaît à nouveau dans une note d’orientation publiée par Executive Magazine, en partenariat avec la Lebanese Economic Association (LEA) et l’Union des banques arabes. Dans cette note, le président de la LEA, Mounir Rached, appelle à la préservation inconditionnelle de tous les dépôts comme condition préalable à la relance économique.
Mais qui protège-t-on réellement ? Et à quel prix ?
Sortir du « tout ou rien »
Il est temps de recentrer le débat. Non pas entre banques et déposants, non pas entre leadership local et Fonds monétaire international, mais entre ceux qui ont agi de manière responsable — et ceux qui ont abusé du système. Entre ceux qui ont été pris au piège, et ceux qui ont su en sortir, souvent grâce à des connexions peu transparentes.
Depuis 2019, des millions de Libanais sont privés d’accès à leurs économies. Dans le même temps, un nombre restreint de personnes politiquement exposées ou financièrement privilégiées ont réussi à transférer des sommes considérables à l’étranger — discrètement, avant et après l’instauration de facto d’un contrôle des capitaux, y compris pendant la période où les banques étaient fermées au public.
Il ne s’agissait pas de déposants ordinaires, mais d’acteurs proches du pouvoir, bénéficiant d’un accès direct aux propriétaires des banques. Leurs fonds sont partis à l’étranger, pendant que la majorité des Libanais faisaient la queue devant les guichets automatiques pour retirer de modiques sommes par semaine.
Où étaient les défenseurs autoproclamés des droits des déposants à ce moment-là ?
Il faut sortir de la logique du « tout ou rien » et évaluer chaque cas individuellement, à la lumière du droit, de la transparence, et des standards internationaux en matière de résolution des crises bancaires.
En Europe, les mécanismes de résolution bancaire ont obéi à une hiérarchie claire : les actionnaires et la haute direction absorbent les pertes en premier. Ensuite, ce sont les porteurs de titres subordonnés et ce n’est qu’en dernier recours que les déposants non garantis sont concernés, et toujours avec des plafonds, des filets de protection et une transparence juridique totale.
Des exemples comme Chypre (2013), l’Espagne (2017) ou l’Islande (2008-2011) montrent qu’il est possible de restructurer un système bancaire en préservant l’intérêt public tout en tenant les acteurs fautifs responsables.
Le Liban n’a pas besoin d’inventer une « justice à la libanaise ». Il doit s’aligner sur les normes internationales — sans les déformer.
À partir de 2016, les banques libanaises ont cessé de financer directement l’État. Mais plutôt que de réduire leur exposition, elles ont participé à des opérations d’ingénierie financière menées par la Banque du Liban, avec des rendements hors normes et une opacité totale sur les risques encourus.
Ces mécanismes ont permis aux banques de dégager artificiellement des bénéfices, tout en asséchant les liquidités en dollars. Les produits proposés étaient réservés à des clients sélectionnés, souvent sinon toujours proches des centres de décision, jamais au grand public.
Pire encore, des allégations crédibles de délits d’initiés ont émergé : certaines banques auraient facilité la fuite de capitaux pour des clients privilégiés, tout en imposant des restrictions aux autres. Des enquêtes d’investigation continuent de révéler des transferts massifs à l’étranger à l’automne 2019, lorsque le système était déjà en train de sombrer.
Où est la reddition de comptes pour ces pratiques ?
Besoin de justice
La note d’Executive Magazine - publiée par un média détenu (via la société Newsmedia Sal) par Antoun Sehnaoui, soit le président de l’une des grandes banques du pays et au centre des controverses actuelles -, ne propose aucun mécanisme pour distinguer les comportements éthiques des pratiques illégales. Elle regroupe tous les déposants dans un même sac, tout en accusant le FMI de vouloir confisquer les avoirs du peuple.
Pourtant, le FMI ne demande nullement une ponction généralisée. Il exige un cadre crédible de restructuration bancaire, la protection des petits déposants, et une juste répartition des pertes, en commençant par ceux qui ont le plus profité du système.
Le Liban n’a pas besoin de slogans. Il a besoin de justice : protéger les petits et moyens déposants ; auditer les transferts suspects ; restructurer les banques insolvables, en respectant la hiérarchie des pertes ; et poursuivre les comportements frauduleux, les conflits d’intérêts et les délits d’initiés.
La relance ne viendra pas d’une protection égale pour tous. Elle viendra d’une protection juste pour ceux qui ont été lésés et de comptes à rendre pour ceux qui ont trahi la confiance du public.
Ce n’est pas un combat contre les banques. C’est un combat pour l’État de droit.
Ayman MHANNA
Directeur de la Fondation Samir Kassir
Professeur invité au Collège d’Europe
Excellent article. Les mafieux se reconnaissent entre eux et essaient de retourner la situation en accablant les déposants de leurs crimes. Non seulement ils ont ruiné les citoyens et le pays mais ils ont tout fait pour s’en sortir blanchis comme si notre pays ne bénéficiait pas de lois ni de justice. Ces deux elements qu’ils ont pris les soin de détourner en leur faveur en achetant leurs garants et leurs représentants. Il est temps de faire toute la lumière sur tous les responsables de cette chaîne mafieuse qui a eu raison de notre pays.
13 h 04, le 02 mai 2025