
Peinture à l’huile de Frédéric Zakhia (30 × 40 cm) représentant le père Élie Challita tenant l’encensoir à Mgr Charbel Antoun durant la messe en l’église Saint-Élisée à Amchit.
« Sa vie sera prière et encens », répondit l’ermite Antonius Tarabay (1911-1998), moine maronite mariamite réputé pour ses dons prophétiques, à une dame venue chercher une prophétie pour son enfant. Témoignant dans une émission télévisée, elle raconta comment elle avait amené son fils jusqu’à l’ermitage et reçu ces paroles mystérieuses. L’enfant grandit et devint prêtre.
« Chez les maronites, l’encens est utilisé dans toutes les liturgies », affirme le père Élie Challita, qui prépare son doctorat sur la liturgie maronite à l’Institut catholique de Paris. « L’une des références liturgiques fondamentales sur l’usage de l’encens est le livre Manarat al-Aqdas du saint patriarche Douaihy, qui codifie de nombreuses pratiques maronites », poursuit-il.
Pendant la messe maronite, l’encens est employé à plusieurs moments-clés. Tout d’abord, vers le début de la messe, lors de la prière appelée « Hassayé », une prière de louange et de repentance, il est offert en guise de pénitence. Ensuite, l’Évangile est encensé avant sa lecture afin de vénérer la parole de Dieu et d’exalter la proclamation de la bonne nouvelle du Christ, le salut offert au monde. Enfin, lors de l’offertoire, les offrandes du pain et du vin sont encensées avant la consécration, exprimant ainsi leur transformation spirituelle.
L’encensement ne se limite pas aux objets liturgiques : le peuple est encensé à deux reprises au cours de la célébration, d’abord pendant la Hassayé, après avoir encensé l’autel, le célébrant encense le peuple, puis au moment des offrandes, le célébrant les encense puis encense le peuple, soulignant la participation des fidèles au sacerdoce du Christ. « L’assemblée est encensée comme si les fidèles étaient des icônes ! » dit-on. À chaque fois, si l’évêque est présent, on encense tout d’abord l’évêque, ensuite les prêtres participants, ensuite le peuple.
« Lorsque l’évêque est présent pour une messe solennelle, il est encensé trois fois avant le début de la messe, en signe de reconnaissance de son autorité spirituelle », explique le père Élie Challita.
Certains prêtres, en signe de respect et de recueillement, posent leur main gauche sur leurs lèvres pendant l’encensement, marquant ainsi un silence empreint de solennité devant la grandeur du moment.
Par ailleurs, on offre l’encens pour le repos des âmes, comme le soulignent les paroles du chant maronite à l’intention des défunts en langue syriaque, Al-Etro dbesmé Tobé. Donc, pendant les funérailles ou un requiem, l’encens est utilisé pour encenser la croix, les fidèles présents et le défunt (le cercueil). Dans certains villages, on fait encore la procession avec le cercueil, la croix et l’encensoir portés devant, de l’église vers le cimetière. Dans certaines paroisses, on célèbre la fête de la Toussaint près du cimetière et on encense les sépultures.
Dans la tradition latine, le prêtre jette un peu d’eau bénite d’abord sur le cercueil avant de l’encenser tout autour.
D’autre part, « lorsque le patriarche maronite effectue une visite à une paroisse, il est encensé avant de rentrer dans l’église », souligne le père Challita.
L’encens est par ailleurs utilisé durant la liturgie du baptême ou le mariage. De même, l’encens est utilisé pour honorer les icônes des saints. Lors des processions (ziyah), bien que celles-ci soient parfois simplifiées aujourd’hui, l’encens conserve toute son importance. Plutôt que de se déplacer en procession, il arrive que le prêtre reste debout sur l’autel, tenant une icône face au peuple, tandis qu’un diacre l’encense en signe de vénération.
Lorsque l’on vénère une icône, on l’encense trois fois de suite, en référence à la Sainte Trinité. L’encensement du Saint-Sacrement, quant à lui, se fait également trois fois, mais selon un rythme particulier : les gestes sont espacés d’une courte pause, contrairement aux icônes où ils sont consécutifs. Cette manière de faire vise à exprimer l’honneur dû au Christ et à magnifier sa présence. Ce geste est appelé chalha en arabe.
Lors de la fête de la Présentation de Jésus au Temple, on bénit les bougies dans la tradition maronite avec une prière spéciale. Le prêtre encense les bougies, que les fidèles peuvent ramener chez eux. Le Lundi des Cendres, il encense les cendres avant leur imposition sur les fidèles. En revanche, lors de la bénédiction de l’eau, l’encens n’est pas utilisé, contrairement à d’autres bénédictions liturgiques. « Il est à souligner que les rites de bénédiction des bougies ou des cendres dans l’Église maronite proviennent de la liturgie romaine (latine), mais dans l’usage occidental, on n’utilise pas l’encens pour ces deux rites », explique le père Challita.
Il est à noter que dans la tradition catholique romaine (latine), l’encens est principalement réservé aux messes solennelles, il n’est pas utilisé dans la messe quotidienne, tandis que dans le rite maronite, il est présent à chaque célébration.
Enfin, il ne faut pas ignorer la tradition populaire, où l’encens est aussi utilisé dans les foyers et les commerces. Ainsi, l’usage de l’encens dépasse le cadre strictement liturgique pour s’inscrire dans la vie quotidienne des fidèles.
On dit que l’encens fut le premier parfum de l’humanité. Dès l’Antiquité, l’homme, en quête du divin, découvrit cette offrande. Dans l’Ancien Testament, Dieu manifeste son attachement à l’encens à travers de nombreux passages. Le prêtre Aaron l’offre à Dieu en signe de prière et d’adoration. Dans le Temple de Jérusalem, l’encens représente la prière qui monte vers Dieu, comme le dit le psaume : « Que ma prière soit devant toi comme l’encens, et l’élévation de mes mains comme l’offrande du soir » (Ps 141,2).
Dans le Nouveau Testament, l’encens prend une dimension christologique. Lors de la Nativité, l’un des mages offre cet aromate précieux à l’Enfant Jésus, soulignant ainsi son caractère divin et sacerdotal.
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