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Culture - Théâtre

« Stop Calling Beirut » : comment affronter la perte d’une ville, d’un frère, d’un monde

Entre aquarium de verre, récits fragmentés et deuils entremêlés, un théâtre de l’intime et du politique, où Beyrouth vacille, mais ne s’éteint pas. 

« Stop Calling Beirut » : comment affronter la perte d’une ville, d’un frère, d’un monde

Lamia Abi Azar, à droite, partage la scène avec Junaid Sarieddine et Maya Zbib (derrière l’aquarium). Photo Randa Mirza

Des larmes réelles ont coulé sur les sièges du théâtre Zoukak. Dans Stop Calling Beirut, la mémoire pleure à huis clos. Les comédiens Lamia Abi Azar, Maya Zbib et Junaid Sarieddine évoluent dans une scénographie conçue par Hussein Baydoun : un aquarium de verre et d’eau, à la fois cercueil liquide, chambre d’écho et boîte à souvenirs. Ici, pas de nostalgie gratuite, mais une dissection méthodique de la mémoire d’une génération – celle des années 1970 et 1980 – marquée par la guerre, les illusions perdues et un amour inconditionnel pour une ville à la dérive. 

La pièce s’ouvre sur une tragédie : la noyade de Ziad Abi Azar, frère de Lamia et Omar, artiste engagé et membre de la troupe Zoukak, survenue en 2012. C’est par ce deuil que remonte le fil de l’histoire. Retour en arrière, flash-back dans une ville alors pleine de promesses, d’utopies et de contradictions. De la cellule familiale au public, chacun reconnaît ses propres souvenirs dans ce voyage émotionnel. 

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Mise en scène nerveuse, texte dense, dialogues dénués de bavardage : tout ici appelle à la concentration, à l’introspection. À travers vidéos (Mia Chami), musique et design sonore (Carole Oheir), Stop Calling Beirut mobilise l’imaginaire du spectateur dans une démarche presque sensorielle. Chaque mot, chaque silence, chaque souffle est pesé. Les comédiens, d’une justesse remarquable, expriment la perte sans jamais sombrer dans la plainte. Lamia, sœur du défunt, incarne une douleur maîtrisée : « Ce spectacle, confie-t-elle, est une tentative de porter toutes mes pertes – celle d’un être aimé, d’une ville, d’une enfance, de rêves. »

La pièce est jouée dans les anciens quartiers de la ligne de front – la Quarantaine, Mar Mikhaël, le port –, là où la ville a saigné. L’eau qui ruisselle dans le cube de verre devient symbole de toutes les noyades : celle de Ziad, celle d’un idéal, celle de Beyrouth. Ziad, c’est la ville. L’artiste engagé, révolté, tendre et incandescent, portait en lui le rêve d’une renaissance, d’un printemps possible. Il y croyait. Son décès coïncide avec le début d’une autre prise de conscience : celle de la mort lente de la ville, de l’effondrement des illusions postguerre. 

Une mise en scène nerveuse au service d’un texte dense dans « Stop Calling Beirut » de la troupe Zoukak. Photo Randa Mirza


À travers ses souvenirs, la troupe fait ressurgir les lieux d’un autre temps : la corniche de Raouché, les plages ouvertes à tous, les quartiers familiers. Tous aujourd’hui disparus sous le béton illégal et les tours de verre. Une ville chaude devenue froide. Une ville habitée devenue décor figé. Beyrouth apparaît comme un mirage : une carte postale déformée, figée dans les chansons de Feyrouz, Wadih el-Safi, Sabah… et pourtant impossible à quitter. 

Un amour inachevé

Le texte de Omar Abi Azar ne cherche pas à enterrer Beyrouth, mais à lui parler. Il l’interpelle, la célèbre, l’interroge. Il trinque à sa mémoire. Il raconte un amour resté en suspens, un amour qui brûle encore. « Quand nous avons commencé à écrire la pièce, dit Lamia, j’ai compris qu’aucun de mes souvenirs n’existait sans Ziad. Toute notre vie à Beyrouth, c’est lui. Et la ville, c’est notre maison. » En convoquant ce passé commun, les comédiens questionnent leur propre rapport à la ville : une relation passionnelle, chaotique, qui ressemble à celle que Ziad entretenait avec elle – aimer jusqu’à l’épuisement, jusqu’à la fin.

La pièce se déroule entre le chagrin d’une disparition intime et le choc d’un effacement collectif. Elle refuse de céder à la mélancolie paralysante. Au contraire, elle affirme une volonté de transmission : « Ce n’est pas en s’attachant à la perte qu’on avance, dit Lamia, c’est en l’affrontant. »

Une ville sans mémoire ?

À mesure que la pièce avance, les récits se superposent, se contredisent, se contorsionnent. Chacun a sa version de Beyrouth. Comme si la ville elle-même souffrait d’amnésie. Comme si, à force d’avoir été détruite et réécrite, elle n’était plus capable de se souvenir. Pour Omar Abi Azar, « la langue elle-même devient insuffisante. Il faut inventer une troisième langue, née de la densité du vécu, de la confusion des sentiments ». 

Stop Calling Beirut n’est pas un adieu. C’est une lettre d’amour à une ville qui, comme Ziad, a trop donné et trop perdu. Une ville que l’on pleure, que l’on espère encore, que l’on continue de jouer, soir après soir.

La pièce est présentée les 18, 19 et 20 avril, puis les 2, 3 et 4 mai 2025 au théâtre Zoukak, à Beyrouth.

Des larmes réelles ont coulé sur les sièges du théâtre Zoukak. Dans Stop Calling Beirut, la mémoire pleure à huis clos. Les comédiens Lamia Abi Azar, Maya Zbib et Junaid Sarieddine évoluent dans une scénographie conçue par Hussein Baydoun : un aquarium de verre et d’eau, à la fois cercueil liquide, chambre d’écho et boîte à souvenirs. Ici, pas de nostalgie gratuite, mais une dissection méthodique de la mémoire d’une génération – celle des années 1970 et 1980 – marquée par la guerre, les illusions perdues et un amour inconditionnel pour une ville à la dérive. La pièce s’ouvre sur une tragédie : la noyade de Ziad Abi Azar, frère de Lamia et Omar, artiste engagé et membre de la troupe Zoukak, survenue en 2012. C’est par ce deuil que remonte le fil de l’histoire. Retour en arrière, flash-back dans...
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