
L’illustrateur français Serge Bloch devant les œuvres de l’exposition « Mais fichez-nous la paix ! ». Photo DR
Injonction, supplique ou volonté, ce titre qui s’affiche en lettres capitales dès l’entrée de l’exposition, « Mais fichez-nous la paix ! », invite à une réflexion visuelle et satirique sur des thèmes universels : l’amour, l’humour, la guerre, la paix et le Liban – preuve que le langage de l’humour transcende les mots.
Née d’une série de rencontres dès 2022, cette exposition réunit Serge Bloch – célèbre pour ses illustrations dans Max et Lili et Samsam ou encore ses collaborations récentes avec le Théâtre national populaire de Villeurbanne – et Chaker Bou Abdalla, humoriste et comédien de stand-up de la scène libanaise.
La rencontre de deux univers
Tout commence par une demande de l’Institut français et une collaboration imaginée avec Sabyl Ghoussoub, auteur de Beyrouth-sur-Seine (Prix Goncourt des lycéens 2022). Pris par son succès littéraire, Ghoussoub suggère alors le nom de Chaker Bou Abdalla, en l’imaginant associé à Serge Bloch pour ce projet.
C’est à l’issue d’un spectacle dans un comedy club de Beyrouth que Serge Bloch découvre Chaker Bou Abdalla. « C’était assez particulier car tout était en arabe, et je ne parle pas l’arabe. Mais il y avait quelqu’un qui était là pour me traduire, or cette personne dont je tairai le nom a tellement ri qu’elle n’a rien traduit ! » raconte Serge Bloch avec humour. « Elle m’a crevé le tympan, je n’entends plus de cette oreille d’ailleurs, mais je me suis dit que c’était drôle ! »
Très vite, les deux artistes entament un dialogue : « Chaker a commencé à m’envoyer des textes en français et j’ai travaillé dessus », explique l’illustrateur. Deux univers se mêlent ainsi, celui du dessinateur minimaliste et percutant et celui du comédien libanais à l’humour désarmant.
À la croisée du trait fin de Serge Bloch et de la verve acide de Chaker Bou Abdalla, naît un dialogue singulier. Une complicité créative où l’humour devient vecteur d’espoir.
« L’humour, c’est mon fonds de commerce depuis longtemps, précise Serge Bloch. La guerre, je ne l’ai pas vécue, mais ma famille oui. La paix, on espère toujours qu’on va vers cela. »
L’exposition donne alors à voir – et à vivre – une série de dessins animés, des QR codes interactifs animant les œuvres, des courts-métrages et même une minisalle de projection. Une scénographie pensée pour provoquer le rire, la pensée, l’émotion. Et, surtout, transmettre un message limpide : qu’on nous fiche la paix.
Une œuvre pour Beyrouth
Imaginée initialement pour Beyrouth, l’exposition mêle œuvres existantes et créations inédites, comme une adaptation animée du livre L’Ennemi, un album poignant récemment publié au Liban. « Le plus difficile, c’était de trouver le bon ton pour que les gens ici puissent entrer dans l’exposition », confie Bloch. Il y parvient avec justesse, combinant finesse et profondeur dans un langage visuel épuré, accessible à tous. « C’est peut-être parce que mon langage est assez simple qu’il est apprécié », ajoute-t-il.
Et d’insister : « Honnêtement, une exposition à Beyrouth, ce n’est pas une exposition ailleurs. Je n’aurais pas les mêmes états d’âme si je faisais une exposition en Italie ou aux États-Unis. Faire une exposition ici, avec ce que vous avez vécu, ce qui se passe ici, sur un sujet comme celui-là, cela mérite un peu de réflexion… »
Mais pourquoi ce titre, justement ? « Mais fichez-nous la paix ! » est née d’une illustration réalisée par Serge Bloch pour L’Orient-Le Jour. Un dessin pensé pour interpeller, même dans la rue ou les cafés, et faire passer un message simple, presque chuchoté à l’oreille du passant : laissez-nous vivre, laissez-nous vivre.
Un autre titre avait pourtant émergé au cours du processus créatif. « Chaker Bou Abdalla avait proposé “Guerre + rire = guérir” », nous confie Serge Bloch. « Je l’ai mis dans l’exposition, on l’a gardé car on ne jette rien nous ! On est assez écolo… » ajoute-t-il avec son humour habituel.
Un message qui résonne d’autant plus que le vernissage prévu pour le vendredi 28 mars a dû être annulé en raison d’un bombardement israélien sur la banlieue sud de Beyrouth.
Si le projet prend racine à Beyrouth, il a vocation à circuler. Serge Bloch et l’Institut français ambitionnent de le faire voyager à travers d’autres sites de l’Institut au Liban – Jounieh, Saïda, Tripoli – « pour qu’il rencontre d’autres publics, précise l’illustrateur. Et pourquoi pas, un jour, en France, pour faire dialoguer la diaspora libanaise et le public français ? »
À la question du rôle de l’art aujourd’hui, Serge Bloch répond sans détour : « Le dessin, c’est une écriture. Il permet de raconter, de voyager, de réfléchir. » Puis, avec un sourire en coin et une note d’espoir, il conclut : « Mais fichez-nous la paix ! »