En quatorze ans, entre 2008 et 2022, le Parlement libanais a adopté douze lois visant à lutter contre la corruption dans les secteurs public et privé et à récupérer les fonds issus d’actes illégaux. L’adoption de la majorité de ces lois a été incitée par les engagements internationaux du Liban, notamment la Convention des Nations unies contre la corruption (2003), les recommandations du Groupe d’action financière (GAFI) et les directives du Bureau des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC).
Voici la liste des lois adoptées :
- Loi n° 33 du 16/10/2008 : autorisation pour le gouvernement libanais d’adhérer à la Convention des Nations unies contre la corruption.
- Loi n° 160 du 17/8/2011 : interdiction de l’exploitation personnelle d’informations privilégiées sur les marchés financiers.
- Loi n° 222 du 2/4/2012 : extension du nombre de juges et d’auditeurs à la Cour des comptes.
- Loi n° 44 du 24/11/2015 : lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
- Loi n° 55 du 27/10/2016 : échange d’informations à des fins fiscales.
- Loi n° 28 du 10/2/2017 : droit d’accès à l’information.
- Loi n° 83 du 10/10/2018 : protection des lanceurs d’alerte.
- Loi n° 175 du 8/5/2020 : lutte contre la corruption dans le secteur public et création de l’Instance nationale de lutte contre la corruption.
-Loi n° 189 du 16/10/2020 : déclaration de patrimoine et des intérêts financiers, et répression de l’enrichissement illicite.
- Loi n° 200 du 29/12/2020 : suspension d’une année du secret bancaire pour permettre l’audit juricomptable.
- Loi n° 214 du 8/4/2021 : récupération des fonds issus de la corruption.
- Loi n° 306 du 28/10/2022 : modification de certaines dispositions de la loi relative au secret bancaire, de l’article 150 du Code de la monnaie et du crédit, de l’article 23 de la loi sur les procédures fiscales et de l’article 103 de la loi sur l’impôt sur le revenu.
Pourtant, ces lois restent largement inappliquées et n’ont pas conduit aux résultats escomptés en matière de reddition des comptes et de restitution des fonds détournés. Parmi les principales raisons de cette inertie figure l’absence de volonté des parties prenantes de les mettre en œuvre.
1- Loi n° 44 du 24/11/2015
Cette loi confie à la Commission d’enquête spéciale, qu’elle a créée et qui est présidée par le gouverneur de la Banque du Liban, un rôle central dans son application. Opérant sous l’égide de la Banque du Liban, cette commission dispose de pouvoirs essentiels qui assurent l’efficacité de la loi. Elle est habilitée à recevoir des notifications, à mener des enquêtes, à solliciter l’aide d’organismes similaires à l’étranger, à geler des comptes bancaires. Le dossier de l’affaire est ensuite transmis au procureur général près la Cour de cassation pour les suites judiciaires. Une fois établis par une décision judiciaire définitive, les biens mobiliers et immobiliers liés à un crime de blanchiment d’argent doivent être confisqués au profit de l’État. Cependant, la structure de cette commission, dirigée par l’ex-gouverneur de la banque centrale, a constitué un obstacle à l’application de la loi entre 1993 et 2023.
2- Loi n° 175 du 8/5/2020
Cette loi a institué l’Instance nationale de lutte contre la corruption, dotée du pouvoir d’enquêter sur les crimes de corruption, soit de sa propre initiative, soit sur la base de notifications reçues. À l’issue de ses investigations, l’Instance peut décider de transmettre les dossiers au parquet compétent ou de déposer directement une plainte auprès du tribunal compétent afin de sanctionner les auteurs des infractions et de réclamer des réparations civiles au profit de l’État. Par ailleurs, elle peut engager des actions pour réclamer la restitution de fonds et des indemnisations en cas d’actes de corruption avérés par une décision administrative ou judiciaire définitive.
Aujourd’hui, l’instance doit veiller à fonctionner de manière efficace, d’autant plus que ses règlements ont été adoptés et qu’une allocation budgétaire annuelle lui a été accordée depuis 2022. Son action est essentielle pour garantir l’application d’autres lois, telles que la loi sur la déclaration du patrimoine et des intérêts financiers, la loi sur la répression de l’enrichissement illicite et la loi sur la restitution des fonds issus des crimes de corruption.
3- Loi n° 189 du 16/10/2020
En vertu de cette loi, les affaires d’enrichissement illicite relèvent de la compétence des juridictions pénales. Aucune autorisation préalable ne fait obstacle à la poursuite pénale. Par ailleurs, cette loi permet aux citoyens lésés de soumettre des signalements et des plaintes directement auprès des juridictions compétentes ou de l’Instance nationale de lutte contre la corruption. Bien qu’il n’existe aucun obstacle juridique à la mise en œuvre de cette loi, la volonté politique semble manquer.
4- Loi n° 214 du 8/4/2021
Conformément à cette loi, un département dédié à la restitution des fonds issus des crimes de corruption est créé au sein de l’Instance nationale de lutte contre la corruption. Ce département est chargé de coordonner les actions avec toutes les autorités en ce qui concerne la récupération des fonds. Il est également chargé de préparer les plans d’action pour la restitution des fonds, ainsi que de proposer des stratégies et des mécanismes de négociation au service du Contentieux de l’État et pour l’Instance nationale de lutte contre la corruption, dans le but d’accélérer et d’optimiser les efforts de restitution.
La loi crée également un fonds national pour la gestion et l’investissement des fonds à restituer ou restitués, doté d’une personnalité morale et d’une indépendance financière et administrative.
L’un des principaux obstacles à la mise en œuvre de cette loi est l’absence des décrets d’application, qui doivent être adoptés en Conseil des ministres, sur proposition des ministres des Finances et de la Justice.
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En somme, il ressort de ce qui précède que les lois en vigueur ont instauré un cadre juridique destiné à rendre responsables les auteurs de détournement de fonds et à permettre la restitution des fonds illicitement acquis, qu’ils aient été transférés à l’étranger ou conservés au Liban. Ces dispositions s’appliquent tant aux fonctionnaires publics et aux personnes exerçant une mission de service public qu’aux acteurs du secteur privé. Ces lois, marquées par une cohérence, abolissent le secret bancaire ainsi que les immunités et privilèges en matière de corruption, de blanchiment d’argent et d’enrichissement illicite.
Avocate, docteure en droit
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