
L’ancien directeur de la Sûreté générale Abbas Ibrahim, lors d’une interview accordée à « L’OLJ ». Photo d'archives Mohammad Yassine/L'Orient-Le Jour
À la question qui se posait sur toutes les lèvres pour savoir si les deux anciens directeurs de la Sûreté générale (SG) et de la Sécurité de l’État, Abbas Ibrahim et Tony Saliba, allaient comparaître vendredi aux audiences que leur a fixées le juge d’instruction près la Cour de justice Tarek Bitar, la réponse est venue sans équivoque : chacun des deux responsables sécuritaires s’est rendu sans retard au Palais de justice, assurant d’emblée aux journalistes présents ne pas chercher à entraver l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020.
Dans un contexte d’une relance de l’État de droit, amorcée par le nouveau pouvoir politique, les comparutions de MM. Saliba et Ibrahim semblent traduire leur volonté de coopérer avec la justice, en contribuant ainsi à la poursuite de cette enquête qui avait été quasiment paralysée par de multiples obstacles dressés par l’ancienne classe politico-judiciaire.
En juillet 2021, l’ancien ministre de l’Intérieur Mohammad Fahmi avait ainsi refusé de donner au juge Bitar l’autorisation de poursuivre Abbas Ibrahim. Le parquet de cassation, compétent pour statuer en dernier ressort, avait entériné sa décision.
Quant à Tony Saliba, le Conseil supérieur de défense (CSD), autorité de tutelle de la Sécurité de l’État, ne s’était pas prononcé sur une demande d’autorisation de poursuites que lui avait adressée le 27 septembre 2021 le juge Bitar. Le CSD avait considéré que c’était au parquet de cassation de décider s’il voulait ou non déclencher lui-même une action publique contre l’officier. Le ministère public avait alors décidé que M. Saliba ne sera pas poursuivi.
Face à cette obstruction, Tarek Bitar avait fait des recherches juridiques sur lesquelles il s’était fondé pour poursuivre ses investigations. Selon ces études, un juge d’instruction près la Cour de justice n’a pas besoin d’autorisation pour poursuivre des fonctionnaires publics, avait-il conclu.
M. Ibrahim s’est présenté vendredi avec plusieurs avocats au Palais de justice, mais seul l’un d’entre eux, Samer el-Hajj, a assisté à l’audience. À sa sortie du bureau du juge d’instruction, l’ancien officier a confirmé aux journalistes qu’il avait intenté, la veille, une action en responsabilité de l’État pour les actes du juge Bitar, précisant qu’il ne s’agissait pas d’« une démarche visant à entraver l’enquête comme le laissent entendre certaines informations, mais pour mentionner les infractions juridiques » qu’il impute au magistrat.
Vers 14h, les avocats chargés de défendre M. Ibrahim (Samer el-Hajj, Ahmad Mistrah et Kassem Karim) ont publié un communiqué précisant que leur client avait présenté au juge Bitar une attestation du dépôt de son recours (obtenue au greffe de l’assemblée plénière de la Cour de cassation). Or, depuis janvier 2023, ce dernier s’appuie sur une jurisprudence de hauts magistrats, datant de 1995, selon laquelle un magistrat de la Cour de justice ne peut pas être dessaisi par des recours judiciaires.
« Pas d’entraves à la justice »
Le même communiqué affirme que Abbas Ibrahim est « attaché à l’immunité administrative garantie par l’article 61 de la loi sur les fonctionnaires », qui dispose que « si l'infraction découle de l'exercice de la fonction, un fonctionnaire ne peut être poursuivi que sur base d’une approbation préalable de l'administration à laquelle il appartient ». Les avocats ont néanmoins indiqué que malgré l’introduction de son recours, Abbas Ibrahim a voulu montrer par sa présence qu’« il se conforme à la loi, respecte la justice et les droits des victimes, de même qu’il veut s’assurer que ses actions ne seront pas interprétées comme une entrave au cours de la justice et que son innocence sera pleinement établie ».
À l’issue de l’audience, Tarek Bitar a laissé libres l’ancien officier, ainsi que Tony Saliba, entendu un peu plus tard, en présence de son avocat, Nidal Khalil. M. Saliba avait été auparavant entendu par le prédécesseur du juge Bitar, Fadi Sawan.
Selon un avocat de victimes du 4-Août, l’ex-directeur de la Sécurité de l’État ne bénéficie plus d’immunité depuis que lui a succédé Edgard Lawandos, même s’il a été nommé directeur général à la disposition du Conseil des ministres. « En tout état de cause, le juge Bitar considère désormais, sur base d’études qu’il a menées, qu’un juge d’instruction près la Cour de justice peut poursuivre tout fonctionnaire sans autorisation préalable », renchérit un autre avocat ayant également assisté aux audiences.
Calmes et minutieux
Selon nos informations, les deux interrogatoires étaient « calmes », tout en étant « très minutieux », portant notamment sur les attributions et obligations liées à leurs postes. Le juge Bitar a mené toutes ses audiences sans opérer aucune distinction entre petits et hauts fonctionnaires, affirme un des deux avocats précités. Comme pour une quinzaine d’employés du port, de militaires et d’agents sécuritaires mis en cause et entendus à partir du 7 février, il n’a pris aucune mesure légale à leur encontre. Le magistrat se réserve cependant la prérogative de convoquer à nouveau certains d’entre eux, si l’enquête l’exige, indique une source du Palais de justice. Au moment de rendre son acte d’accusation, il pourrait juger innocentes des personnes contre lesquelles il avait engagé des poursuites, ou au contraire, il pourrait les inculper, le verdict final étant du ressort de la Cour de justice devant laquelle le dossier sera déféré.
Pour ce qui est des responsables politiques également mis en cause dans le cadre du dossier, le juge d’instruction devrait fixer dès lundi leur dates de convocation. Il s’agit de l’ancien chef de gouvernement Hassane Diab et des anciens ministres Ghazi Zeaiter et Nouhad Machnouk.
Les quatre magistrats poursuivis devraient, eux, être les derniers à être convoqués. Il s’agit de Jad Maalouf et Carla Chouah, juges des référés respectivement à l’époque du débarquement et du stockage du nitrate d’ammonium à l’origine du 4-Août, ainsi que l’ex-chef du parquet de cassation Ghassan Oueidate, et Ghassan Khoury, magistrat de ce parquet.
Deux juges français, chargés de l’enquête liée aux victimes françaises de la catastrophe, sont par ailleurs attendus le 27 avril à Beyrouth pour une coopération entre les justices libanaise et française.
Qu'est-ce que nous pouvons etre fiers de Tarek Bitar qui a su, malgre toutes les formidables pressions des defunts tout puissants, garder la tete haute et attendre avec sagesse que le temps lui soit favorable pour enfin demasquer les malfaiteurs. Un SUPER bravo a ce juge integre et capable.
19 h 40, le 13 avril 2025