Que Donald Trump s’est juré de faire jour après jour l’évènement, on le savait. Qu’il ne soit pas à une contradiction près était tout aussi évident. Or voici maintenant qu’il lui faut démontrer comment la première superpuissance au monde peut, tout à la fois, se barricader frileusement derrière de massives murailles douanières et afficher des appétits impériaux en se posant en arbitre suprême des conflits entre nations. Mieux encore, en convoitant outrageusement les terres rares, riches en métaux stratégiques, jusque dans les coins les plus reculés du globe.
Liberation Day : en édictant jeudi de massifs tarifs douaniers, le président des États-Unis affirme avoir rendu à son pays son indépendance économique et aussi sa grandeur. Or c’est une guerre commerciale à l’échelle planétaire qu’il a déclenchée, les inévitables ripostes augurant en effet d’une spirale de mesures protectionnistes proprement impensables à l’ère de la mondialisation ; en témoigne le vent de panique qui a aussitôt soufflé sur les marchés boursiers. Si le grand rival commercial, la Chine, est visiblement la cible première de son intempestif tir de barrage (la première aussi à répondre du tic au tac), Washington ne manque pas d’inquiéter et d’irriter au plus haut point ses propres alliés, notamment les pays européens. Et cela d’autant que la Russie de Poutine – mais non l’Ukraine exsangue – échappe au carnage : lequel n’épargne guère, en revanche, une île perdue de l’Antarctique uniquement peuplée de pingouins.
Comble d’ironie, c’est dans le pied que l’Oncle Sam vient peut-être de se tirer la balle inaugurale de cette guerre, comme le croient de nombreux experts. Car en attendant qu’aboutisse le laborieux programme de réindustrialisation des États-Unis, le consommateur américain va être le premier à pâtir de la hausse des prix des produits importés. Et du moment que l’on nage dans l’absurde, ce même citoyen trouvera autre et ample matière à réflexion sur le fantasque style Trump, dans la sévère purge survenue au sein du Conseil de sécurité nationale, cette intime cuisine de la Maison-Blanche où sont bouclés les dossiers diplomatiques et militaires les plus chauds. Pour actionner le couperet, le président, lassé de l’envahissant Elon Musk, se serait trouvé un nouveau gourou en la personne d’une redoutable influenceuse complotiste. Voilà qui promet.
On en vient à ces guerres très réelles – des guerres qui n’ont strictement rien de commercial cette fois – et dont l’administration Trump, pour résolument isolationniste qu’elle puisse paraître, ne cesse d’agiter le spectre. Car le colosse américain ne joue plus à retenir Israël d’attaquer l’Iran : c’est lui désormais qui montre les crocs, qui gonfle ses biceps, qui masse ses superbombardiers furtifs sur ce porte-avions naturel, planté en plein océan Indien, qu’est l’île de Diego Garcia. C’est précisément sur ce registre que le Liban se retrouve concerné au plus haut point : d’infiniment plus près, en tout cas, que par ce tumultueux Mondial douanier dont se tire notre pays avec un charitable 10 % sur ses modestes exportations vers les États-Unis. Est-il seulement besoin d’évoquer quelles heureuses incidences aurait sur notre minuscule pré carré, toujours en proie aux frappes israéliennes visant le Hezbollah, un assagissement forcé du régime de Téhéran ? Faut-il au contraire mettre en garde contre l’un de ces arrangements douteux auquel pourrait recourir Donald Trump à seule fin de claironner sa parfaite maîtrise de l’art du deal ?
On n’en saura sans doute pas plus après l’actuelle mission à Beyrouth de l’adjointe de l’émissaire présidentiel américain au Moyen-Orient. La pimpante Morgan Ortagus n’a pas sa langue dans sa poche quand il s’agit pour elle de couvrir les agressions israéliennes et d’aiguillonner les responsables libanais.
Il est vrai qu’en diplomatie, jamais des faux cils big size ne sauraient suffire pour faire les yeux doux.
Issa GORAIEB