
Le pianiste italien Roberto Prosseda lors de son concert au Musée national de Beyrouth. Photo Institut culturel italien
Il faut du courage et de l’audace pour jouer à Beyrouth du Luigi Dallapiccola et du Goffredo Petrassi. En tout cas, bravo pour l’initiative de la directrice par intérim du Conservatoire national de Beyrouth, Hiba el-Kawass, et à Angelo Gioé, directeur de l’Institut culturel italien pour le récital du vendredi 28 mars, donné par Roberto Prosseda.
Parmi les grands compositeurs du XXe siècle et d’ailleurs unanimement salués comme tel, Luigi Dellapiccola aura sans doute été le plus scandaleusement négligé par les récitals et les concerts. Admirable interprétation de la Sonatina canonica sur des Caprices de Paganini avec une impeccable vélocité digitale. Mendelssohn a créé un genre dans la littérature pianistique, celui de la romance sans parole, où il est inégalable. Ce genre à mi-chemin entre le lied et la pièce libre porte la marque géniale du romantisme allemand. Ses romans sont en effet l’expression de l’effusion sentimentale de la confidence et du paysage intérieur. Elles sont des pages d’intimité brève, allusive et charmante qui traduisent l’émotion. M. Prosseda a déployé beaucoup de talent et de sensibilité. Avec une grande clarté dans les passages un peu vétilleux, grande honnêteté et propreté sonore et quelle souplesse et élasticité dans ces quelques petites pièces qu’il avait choisies à son goût. Quant au Rondo capriccioso, M. Prosseda nous a démontré sa virtuosité, la plus brillante dans le Rondo proprement dit, qui nous a rappelé la féerie de Shakespeare dans Le Songe d’une nuit d’été avec ses fées et ses lutins, qui terminaient la première partie de ce récital enchanteur.
Pièces difficiles que sont la Toccata et les 3 Inventions de Petrassi qui témoignent d’une personnalité, d’un raffinement et d’un équilibre que notre interprète a su rendre à la perfection. Suivi de deux Nocturnes de Frédéric Chopin, admirable littérature poétique où Roberto Prosseda a exécuté à merveille avec le charme, la nuance et la délicatesse du phrasé que demandent ces nocturnes. Enfin, vint la 4e Ballade. On retrouve chez lui la même clarté des traits, mais avec un peu plus d’abandon et plus de spontanéité. C’est un Chopin raffiné et musclé que nous avons écouté ce soir-là dans le cadre imposant et fastueux du Musée national de Beyrouth. On aurait aimé écouter en bis la romance de l’opus 67 n°2 de Félix Mendelssohn.
Tout droit au paradis
Le pianiste français Théo Fouchenneret. Photo Instagram
Théo Fouchenneret a donné pour sa part samedi soir un récital à l’Université Antonine, Baabda, dans le cadre de la saison de musique de chambre de l'institution.
Il est certain que les Sonates pour piano de Schubert posent un problème d’interprétation. C’est que personne ne fut plus simple que lui, et personne ne s’encombra de considération extra-musicale dans l’accomplissement tout naturel de sa tâche de musicien. C’est pourquoi on les programme rarement dans les récitals pour piano, et c’est pourquoi aussi certaines des interprétations de ces œuvres pêchent par un excès de recherche et par un intellectualisme déplacé. Il faut toujours tenir compte de cette candeur en jouant ou en chantant Schubert. Maîtrise incontestable de monsieur Théo Fouchenneret qui, dans cette 9e Sonate, nous a amené tout droit au paradis.
Et c’est toujours l’une des 4 Ballades de Chopin qu’on nous sert à chaque fois. Pourquoi ne pas programmer quelques mazurkas qui sont de petits joyaux musicaux, ou l’une des 4 Ballades de Brahms, ou du Schumann, ou du Ravel, ou encore du Debussy. Un très grand interprète de Chopin où brillaient toutes ses qualités de toucher et de sensibilité. Quant aux Danses de Marosszék de Zoltán Kodály, – initialement prévues pour l’orchestre à la suite d’une commande pour le cinquantième anniversaire de la réunification de Buda et Pest, ces danses sont composées pour piano en 1927 pour ne pas faire double emploi avec la Suite de danses de Bartók écrites dans le même contexte, elles furent néanmoins orchestrées en 1930 et créées à Dresde le 13 novembre 1930 – son interprétation est passionnée, enflammée, brillante à souhait. Ces danses pour piano sont très périlleuses, interprétées au piano et, en tout cas, aussi, quelle maîtrise technique.
La musique pianistique de Brahms se situe tout à fait à part dans le répertoire romantique de l’instrument. À l’opposé de la virtuosité de Liszt et de Chopin, c’est une musique antivirtuose, ce qui ne signifie pas qu’elle soit d’une exécution facile. La particularité principale du style pianistique de Brahms a un caractère symphonique et orchestral très marqué. Certaines œuvres, telles que les Haendel variations, vont même jusqu’à suggérer certains instruments de l’orchestre.
24 admirables variations qui vont nous conduire à ce portique final, qui est cette Fugue magistrale. La technique pianistique de Monsieur Théo Fouchenneret est puissante, d’une souple musculature, aucun problème ne semble l’inquiéter. Cette interprète nous entraîne dans le domaine de la musique pure, ce qui est probablement dans l’esprit de cette musique.
Ce monument de la littérature du piano est une œuvre complexe, alliant d’énormes difficultés techniques à une intériorisation parfois difficile. Tour à tour méditatif, bondissant, délicat, l’interprète nous a démontré que pas une seule note ne le laisse indifférent. Ce qui l’emporte, c’est une extraordinaire sensibilité qui se traduit par une palette multicolore de nuances. Et il nous a donné en bis une merveilleuse interprétation d’une grande poésie, d’une grande émotion d’une des romances sans paroles de Félix Mendelssohn.
Quel pianiste et quel piano !