
Le président syrien par intérim, Ahmad el-Chareh, signant une déclaration constitutionnelle à Damas, le 13 mars 2025. Photo présidence syrienne via Reuters
Le 13 mars dernier, le président syrien Ahmad el-Chareh a promulgué une Constitution provisoire – ou, plus techniquement, une « déclaration constitutionnelle » – pour gouverner la Syrie pendant une période transitoire de cinq ans.
Ce pays qui a été affligé par une guerre civile internationalisée et qui continue d’être soumis à une occupation étrangère, à des sanctions internationales et à des combats internes est-il sur le point de passer à une gouvernance constitutionnelle ? Pas nécessairement. Mais le document envoie des signaux très concrets sur les intentions de ses nouveaux dirigeants en matière de gouvernance à court terme et plante des graines inhabituelles qui pourraient éventuellement germer de manière inhabituelle si les circonstances s’améliorent.
Rédigé en dix jours par un petit comité de spécialistes dans le sillage du dialogue national de février, le document offre également des garanties en matière de droits, dans un langage si spécifique qu’il est susceptible d’être plus qu’une simple aspiration – sauf que l’État, dans sa forme actuelle, ne semble guère structuré pour les soutenir. Les aspirations exprimées dans la déclaration constitutionnelle sont claires comme de l’eau de roche sur trois points : la Syrie est un État unitaire, elle doit être dirigée pour l’instant par la présidence et le pays doit faire face à son passé.
Unité et présidence forte
Tout d’abord, l’« unité », l’« intégrité territoriale » et la nature « indivisible » de l’État syrien sont mentionnées dans le préambule et dans six articles. Pour défendre cette unité, la déclaration constitutionnelle interdit les groupes armés, utilise un langage qui semble étendre l’interdiction aux individus et affirme que seul l’État est autorisé à détenir des armes.
Deuxièmement, la présidence (dont l’occupant actuel continuera vraisemblablement à exercer ses fonctions) exerce directement tous les pouvoirs exécutifs ou nomme des fonctionnaires qui ne sont responsables que devant elle (bien que le Parlement puisse organiser des auditions avec les ministres). Le président est également le chef des forces armées et propose et approuve les lois. Il existe un Parlement, dont les deux tiers des membres seront choisis dans le cadre d’un processus vaguement spécifié impliquant des « organes électoraux de branche », un tiers étant nommés par le président. Il pourra approuver le budget et les lois qui seront soumis à l’approbation du président. Si le président s’oppose à une loi adoptée par le Parlement, l’organe peut passer outre à son veto. Compte tenu du grand nombre de personnes nommées par le président et de la fragmentation de la scène politique syrienne, la perspective d’un Parlement capable d’élaborer un programme cohérent et distinct de celui du président semble peu probable. En effet, le parti Baas étant interdit et la Constitution exigeant une nouvelle loi pour les partis politiques, on ne sait même pas qui sera représenté et sur quelle base.
Enfin, le préambule du document évoque les ténèbres, l’oppression, la tyrannie et la torture du passé. Dans la nouvelle ère victorieuse, il y aura une commission chargée de mettre en œuvre la justice transitionnelle. La plupart des lois et des structures resteront en place jusqu’à leur remplacement, mais il existe d’importantes exceptions : les juges de la Cour constitutionnelle seront démis de leurs fonctions ; les lois exceptionnelles et les verdicts de la Cour du terrorisme seront mis de côté ; et les crimes du régime précédent ne seront pas protégés par le principe de non-rétroactivité.
La déclaration constitutionnelle évoque donc une Syrie unie qui se détourne d’un passé brutal pour se tourner vers un avenir radieux grâce à une transition assurée par un président qui pourrait être encouragé par le Parlement, mais qui a peu de chances d’être dirigé par lui. En effet, l’unité territoriale et une présidence forte sont des thèmes bien connus de l’histoire constitutionnelle syrienne.
Constitutionnalisation des traités
Mais c’est dans les petits caractères d’autres dispositions que l’on trouve des indications sur les orientations politiques et juridiques possibles. Les plus notables concernent peut-être la religion. La déclaration constitutionnelle fait des allusions très familières dans la région à la consécration de l’islam tout en protégeant la liberté religieuse, mais le choix des mots suggère qu’il pourrait s’agir de plus que d’une simple prose.
Tout d’abord, la déclaration constitutionnelle contient une disposition très forte sur l’utilisation de la « jurisprudence » islamique (fiqh) comme principale source de législation – un retour à la Constitution syrienne de 1950, la première de la région à introduire une telle clause sur la charia. En se référant spécifiquement à la « jurisprudence » plutôt que, vaguement, à la « charia islamique » ou à ses « principes », comme le font d’autres pays de la région, et en incluant l’article défini, l’article est potentiellement plus percutant. Mais surtout, comme la clause est appliquée par un président islamiste et interprétée par une Cour constitutionnelle composée de personnes nommées par lui, ce qui a généralement été un langage symbolique dans d’autres contextes pourrait prendre une signification réelle en Syrie.
Certains éléments en petits caractères des dispositions relatives à la liberté de religion pourraient également leur conférer un potentiel un peu plus solide. La déclaration constitutionnelle promet la liberté de « croyance » (i’tiqad) plutôt que de « credo » (’aqida). Ce dernier terme tend à restreindre les droits aux croyances établies et reconnues, tandis que le premier suggère quelque chose de plus proche de la liberté de conscience individuelle. Néanmoins, seules les religions « célestes » reconnues voient leurs rites protégés et le droit de la famille appliqué. Il convient également de noter que les conflits en Syrie aujourd’hui – même ceux qui ont une forte dimension confessionnelle – ne se concentrent pas sur les rituels religieux et le droit de la famille, mais sont plutôt considérés comme étant de nature ethnique et politique.
En ce qui concerne les droits de manière plus générale, le processus de rédaction précipité et fermé ainsi que la nature provisoire de la déclaration constitutionnelle semblent avoir empêché un processus commun dans lequel les Constitutions sont traitées comme des arbres de Noël (si l’on peut pardonner la métaphore), sur lesquels divers groupes accrochent leurs clauses ou leurs droits préférés. Toutefois, cela pourrait se produire une fois ou si un document permanent est rédigé.
Cependant, il existe une disposition étonnamment robuste qui fait de tous les « droits stipulés dans les traités internationaux, les chartes et les accords sur les droits de l’homme » ratifiés par la Syrie « des parties intégrantes de cette déclaration constitutionnelle ». Et ces droits sont très nombreux. La Syrie a notamment ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels il y a un demi-siècle. Ces textes sont très complets et comblent de nombreuses lacunes dans la déclaration constitutionnelle elle-même (les dispositions relatives à la liberté religieuse, par exemple, sont très détaillées). En élevant ces documents au rang constitutionnel, il semblerait qu’il ne soit pas nécessaire d’adopter une législation de mise en œuvre. En fait, c’est théoriquement le contraire qui se produit : les textes juridiques qui contredisent ces instruments internationaux sont inconstitutionnels, à condition que ces textes soient contestés et annulés par la nouvelle Cour constitutionnelle.
Signaux ambigus
Malgré la brièveté du document, certains signaux prêtent parfois à confusion. La Constitution interdit la discrimination fondée sur le sexe et garantit le droit des femmes à l’éducation et au travail sans qualification. Toutefois, elle promet également de protéger la « dignité » des femmes et leur « rôle au sein de la famille et de la société ». Bien qu’il n’y ait pas de contradiction juridique entre les deux, il semble qu’il y ait une tentative d’exprimer à la fois des idées égalitaires et des idées plus conservatrices, sans indication sur la manière de résoudre les tensions qui pourraient en résulter.
Le plus remarquable est ce que la déclaration constitutionnelle omet complètement. Elle ne dit rien sur la manière dont elle sera remplacée. Le processus de rédaction d’une Constitution plus permanente sera déterminé en fonction des luttes politiques des prochaines années, mais le document ne contient aucune disposition sur la manière de traduire le résultat de ces luttes dans un texte constitutionnel. Étant donné que la plupart des petits caractères intéressants du document provisoire suggèrent des orientations qui pourraient se développer progressivement au fil du temps – en particulier en ce qui concerne les droits de l’homme –, il s’agit là d’un silence important.
Mais les Constitutions provisoires, même celles qui comportent des dates d’expiration claires et des exigences plus strictes pour leur remplacement, constituent souvent un point de départ pour les négociations constitutionnelles. Si les rédacteurs se mettent un jour à travailler sur une Constitution permanente, ils auront sous les yeux cet ensemble de dispositions provisoires qui définissent les attentes, encadrent les questions délicates et proposent des formulations spécifiques.
Il semble peu probable que les Syriens jouissent aujourd’hui des libertés qu’on leur promet. Mais si un processus politique émerge au cours de la période provisoire et met en place un appareil d’État plus légitime et plus efficace, les citoyens pourraient revenir sur certaines de ces dispositions. Ou peut-être tenteront-ils de concilier les promesses qui leur ont été faites avec la puissante présidence qui a réussi à se réinstaller dans des habits idéologiques qui, pour beaucoup, semblent très différents de ces promesses.
Ce texte est aussi disponible en anglais sur le site de Diwan, le blog du Carnegie Middle East Center.
Par Nathan J. BROWN
Professeur de sciences politiques et d’affaires internationales à la George Washington University et chercheur invité au programme Moyen-Orient du Carnegie Endowment (Washington D.C.)
yaani, aurait il ete logique de croire en une syrie autrement plus ouverte ?
09 h 56, le 23 mars 2025