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Idées - Géopolitique

Syrie : Israël cherche à démembrer pour mieux régner

Syrie : Israël cherche à démembrer pour mieux régner

Un passant observe une patrouille à pied israélienne traverser le village syrien de Jabata al-Khashab, en février 2025. Photo d’archives Aris Messinis/AFP

Depuis la chute du régime Assad, Israël semble voir dans les tensions politiques et confessionnelles en Syrie une opportunité pour promouvoir ses intérêts géostratégiques dans le pays et créer une situation conduisant à la partition du pays. Les États-Unis ne semblent guère s’y opposer, probablement parce qu’ils considèrent Israël comme une extension de leur pouvoir au Moyen-Orient. Toutefois, si l’administration Trump favorise la stabilité régionale, les actions israéliennes, si elles sont couronnées de succès, pourraient conduire précisément à l’inverse.

La semaine dernière, après que des combats ont éclaté dans la banlieue de Damas, à Jaramana, peuplée principalement de druzes et de chrétiens, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a annoncé qu’Israël interviendrait pour protéger les druzes si les forces gouvernementales les attaquaient. Le ministre de la Défense, Israel Katz, a déclaré que Tel-Aviv « s’engageait auprès de nos frères druzes en Israël à faire tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher que leurs frères druzes en Syrie ne subissent des préjudices ».

Cette déclaration est intervenue peu de temps après que M. Netanyahu a affirmé que le sud de la Syrie, où sont concentrés un grand nombre de druzes syriens, devait être complètement démilitarisé. « Nous exigeons la démilitarisation complète du sud de la Syrie dans les provinces de Qouneitra, Deraa et Soueida des forces du nouveau régime. De même, nous ne tolérerons aucune menace contre la communauté druze dans le sud de la Syrie », a-t-il déclaré aux cadets israéliens le 23 février. Le 9 mars, M. Katz est allé plus loin, annonçant que les druzes seraient autorisés à entrer sur le plateau du Golan occupé pour y travailler.

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Parallèlement, les responsables israéliens ont continué à exprimer leur soutien aux Kurdes de Syrie. En décembre dernier, le ministre israélien des Affaires étrangères, Gideon Saar, a noté que la communauté internationale devait les protéger des attaques turques, déclarant : « C’est un engagement de la communauté internationale envers ceux qui se sont battus courageusement contre (le groupe État islamique). C’est aussi un engagement pour l’avenir de la Syrie, car les Kurdes sont une force stabilisatrice dans ce pays. » Les Kurdes ont clairement entendu le message. Au début du mois, la coprésidente de l’administration autonome du nord et de l’est de la Syrie, Ilham Ahmed, a déclaré aux médias israéliens : « La sécurité des zones frontalières en Syrie exige que tout le monde s’engage dans la solution, et Israël est l’une des parties à cette solution. Son rôle sera très important, c’est pourquoi il est très important d’avoir une discussion avec Israël à ce moment-là. »

Tout cela s’est produit alors que le président intérimaire, Ahmad el-Chareh, était confronté à des tensions croissantes avec les communautés minoritaires de son pays. La semaine dernière, les informations selon lesquelles des groupes liés à l’ancien régime avaient organisé des attaques contre les forces de sécurité syriennes ont rapidement été éclipsées par celles faisant état du massacre de plus de 700 personnes, principalement des alaouites, par des hommes armés liés au régime de « M. Sharaa ». Comme l’a déclaré un diplomate au journaliste français Georges Malbrunot, « le vent a commencé à tourner pour Chareh, qui a commis l’erreur de s’aliéner rapidement les minorités après avoir fait tomber Assad, au lieu de les considérer comme des partenaires. Mais maintenant, il est probablement trop tard ».

Zones tampons

Pour les Israéliens, la fragmentation de la Syrie et des pays arabes environnants serait une aubaine. Non seulement cette issue garantirait la faiblesse des voisins d’Israël, mais elle signifierait aussi, dans le cas de la Syrie, qu’il n’y a pas de gouvernement crédible pour contester l’annexion illégale du plateau du Golan. Des États arabes affaiblis ouvrent également d’autres portes, notamment celle qui permet à Israël de procéder à un nettoyage ethnique de la population palestinienne en la poussant vers les pays voisins, sans rencontrer de grande résistance. Tels seraient les avantages d’une partition du pays selon des lignes

ethno-confessionnelles, permettant aux Israéliens d’établir des zones tampons près de leurs propres frontières, ou des zones d’influence ailleurs.

Il ne s’agit pas là d’une nouveauté. Après la Première Guerre mondiale, la Grande-Bretagne et la France ont également manipulé la politique des minorités pour diviser les sociétés arabes et renforcer leur contrôle. Pendant un certain temps, les Français ont divisé la Syrie en entités confessionnelles prétendument autonomes, en créant des États druzes et alaouites, ce qui leur a permis d’affaiblir les élans nationalistes syriens. De même, la France s’est alliée aux maronites du Liban et a créé le Grand Liban, où la sympathie à l’égard de la France était plus prononcée, afin de renforcer son influence. C’est pourquoi la pensée israélienne est aujourd’hui très proche de celle des puissances coloniales européennes.

L’approche actuelle d’Israël comporte une deuxième dimension. En essayant de déclencher l’éclatement de la Syrie, les Israéliens ont imposé unilatéralement un ordre de sécurité qui leur est propre et qui leur permet d’intervenir militairement à volonté contre des menaces potentielles. Cela est visible presque quotidiennement en Syrie et au Liban et, dans le cas du Liban, cela a été légitimé par les États-Unis dans une lettre parallèle aux Israéliens accompagnant les négociations de cessez-le-feu en novembre dernier.

Le rôle des États-Unis dans cette situation évolutive a été essentiel. Au cours du conflit qui a suivi l’attaque du Hamas contre les villes israéliennes le 7 octobre, les Américains ont largement adhéré aux objectifs de guerre israéliens et ont armé Israël, malgré les pertes civiles extrêmement lourdes à Gaza. Lors de l’escalade du conflit avec le Liban en septembre 2024, les Américains ont continué à soutenir les Israéliens, en imposant un accord de reddition qu’on a charitablement fait passer pour un accord de cessez-le-feu, ainsi qu’en élargissant, par le biais de sa lettre parallèle, la latitude d’Israël à poursuivre des opérations militaires sans contraintes. À tous égards, l’administration Biden, et maintenant l’administration Trump, était ou est complice des actions israéliennes.

« Pax Israelica » ?

Si nous supposons que les Américains considèrent Israël comme un précieux gendarme régional à un moment où les États-Unis recentrent leur attention sur la concurrence avec la Chine, cela soulève une question intrigante. La promotion par Israël des plans de partition peut-elle conduire à la stabilité au Moyen-Orient – à une Pax Israelica qui jette les bases d’un ordre régional pacifique ?

Si c’est le cas, les Américains et les Israéliens devront peut-être se préparer à un réveil brutal. L’hégémonie israélienne ne peut pas apporter la stabilité régionale, parce qu’elle dépend de l’instabilité arabe. Pour qu’Israël domine en Syrie, il doit toujours veiller à ce que les communautés locales restent divisées, car une fois qu’elles auront unifié leurs efforts, elles seront en mesure de défier le pouvoir israélien. Dans le même temps, combien de fois la partition religieuse ou ethnique a-t-elle débouché sur autre chose que la violence ? Les cas de la Palestine, de l’Inde, de Chypre ou de la

Bosnie-Herzégovine sont autant d’exemples où la partition a entraîné des souffrances indicibles, les communautés cherchant à maximiser leur territoire et les minorités faisant l’objet d’un nettoyage ethnique. Dans un article publié en 2003 dans The Atlantic sur « les périls de la partition », le regretté Christopher Hitchens concluait d’un ton mordant : « Une série de mandats sans engagement, pour des États en faillite ou d’anciens régimes d’abattoir, est plus susceptible d’être la réalité. »

Il y a ensuite les implications régionales. Une Pax Israelica peut séduire à Washington, mais, au Moyen-Orient, elle provoquera certainement un mécontentement considérable et un retour de bâton, les principaux rivaux d’Israël cherchant à saper ces aspirations néocoloniales au profit des leurs. La Turquie et l’Iran sont les deux candidats les plus évidents pour une telle entreprise, et ils ne seraient probablement pas les seuls. Si les acteurs régionaux s’immiscent dans les affaires des minorités afin de briser un statu quo qui profite à Israël, les conséquences se feront probablement aux dépens des minorités elles-mêmes, qui seront transformées en pions sacrifiables dans des guerres par procuration.

On pourrait dire que les Américains se soucient peu de ces problèmes et qu’ils ne se préoccupent pas outre mesure de la stabilité au Moyen-Orient. Mais leur attachement ombilical à Israël, leur sous-traitance totale de l’ordre régional aux Israéliens, signifierait presque certainement qu’ils seraient à nouveau entraînés dans les bourbiers de la région s’ils voyaient la domination de leur allié mise en péril. Or, rien n’indique aujourd’hui que les États-Unis aient intérêt à s’enliser à nouveau au Moyen-Orient.

Pendant longtemps, les États-Unis ont aimé se présenter comme une république démocratique opposée à l’impérialisme des puissances européennes. Or, curieusement, leurs habitudes au Moyen-Orient depuis la fin de la guerre froide rappellent fortement la manière dont ces puissances ont autrefois géré les Arabes. En Irak, les Américains ont tenté une relance néo-impériale particulièrement maladroite sous la direction de l’autorité provisoire de la coalition et de L. Paul Bremer ; en Palestine, l’administration Trump fait maintenant pression pour une version balnéaire de l’ingénierie démographique autrefois si chère à l’Empire britannique ; et l’acquiescement implicite de l’Amérique aux plans de partition d’Israël pour la Syrie ne semble pas très différent d’une perspective qui, si elle avait été en place il y a 109 ans, aurait pu approuver la décision de la Grande-Bretagne et de la France de découper le monde arabe dans le cadre de l’accord Sykes-Picot de 1916. Fait plus encourageant, les Syriens eux-mêmes semblent prendre des mesures pour éviter cette dynamique partitionniste. Lundi, les Forces démocratiques syriennes, dominées par les Kurdes, ont convenu avec Damas d’intégrer leurs forces dans le nouveau gouvernement du pays, écartant ainsi un conflit potentiellement majeur. Un jour plus tard, le gouvernement a conclu un accord similaire avec la communauté druze de Soueida, qui placera notamment les milices druzes sous l’autorité du ministère de l’Intérieur. S’il s’agit là d’une bonne nouvelle, à moyen terme, tout dépendra de la capacité du gouvernement syrien à consolider un ordre plus inclusif. D’ici là, l’attrait de la partition persistera en arrière-plan et Israël attendra son heure.

Par Michael YOUNG, rédacteur en chef de Diwan. Dernier ouvrage : « The Ghosts of Martyrs Square: an Eyewitness Account of Lebanon’s Life Struggle » (Simon & Schuster, 2010, non traduit).

Depuis la chute du régime Assad, Israël semble voir dans les tensions politiques et confessionnelles en Syrie une opportunité pour promouvoir ses intérêts géostratégiques dans le pays et créer une situation conduisant à la partition du pays. Les États-Unis ne semblent guère s’y opposer, probablement parce qu’ils considèrent Israël comme une extension de leur pouvoir au Moyen-Orient. Toutefois, si l’administration Trump favorise la stabilité régionale, les actions israéliennes, si elles sont couronnées de succès, pourraient conduire précisément à l’inverse.La semaine dernière, après que des combats ont éclaté dans la banlieue de Damas, à Jaramana, peuplée principalement de druzes et de chrétiens, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a annoncé qu’Israël interviendrait pour protéger les...
commentaires (2)

Excusez moi mais vous racontez l’histoire des ambitions Israéliennes : Depuis la création d’israël on ne peut que constater la «monoconfessialisation » de la région, l’objectif est de faire en sorte que tous les pays doivent se diviser selon leurs différentes religions puisqu’ils doivent être mono religieux COMME ISRAEL VEUT L’ÊTRE. Ce n’est pas « Divide and rule » c’est « divide and be ».

T P N

12 h 39, le 16 mars 2025

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Commentaires (2)

  • Excusez moi mais vous racontez l’histoire des ambitions Israéliennes : Depuis la création d’israël on ne peut que constater la «monoconfessialisation » de la région, l’objectif est de faire en sorte que tous les pays doivent se diviser selon leurs différentes religions puisqu’ils doivent être mono religieux COMME ISRAEL VEUT L’ÊTRE. Ce n’est pas « Divide and rule » c’est « divide and be ».

    T P N

    12 h 39, le 16 mars 2025

  • Méfiez-vous de vos "amis". Depuis quand Israël a-t-il à cœur le bien -être de ses "frères" druzes?

    Politiquement incorrect(e)

    18 h 28, le 15 mars 2025

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