
Le directeur de la création de Loewe, qu’il vient de quitter, le styliste anglo-irlandais Jonathan Anderson, à la première du film "Queer" le 13 novembre 2024. Photo Michael Tran/AFP
Nouvelle alerte « mercato » dans l’industrie de la mode : après le déplacement de Demna chez Gucci décidé par Kering, petit coup de tonnerre parallèle chez LVMH. Le brillant Jonathan Anderson qui a ressuscité Loewe quitte la direction artistique de la marque espagnole. Il est pressenti pour remplacer Maria Grazzia Chiuri à la création de Dior. Un événement en soi, tant l’impact de l’Italienne, féministe dès son entrée en scène et influencée par l’art et l’artisanat féminin, a été puissant sur la maison de l’avenue Montaigne.
Désigné à la création de Loewe en 2013, Jonathan Anderson s’était d’abord rêvé acteur. Il avait réussi son admission à la célèbre Juilliard school à New York où le costume avait fini par l’intéresser davantage que la scène. C’est ainsi que le jeune irlandais, fils d’un joueur de rugby et d’une enseignante, se retrouve au London College of Fashion à la sortie duquel il est engagé par Prada pour scénographier ses boutiques. Sa double formation fait de lui un touche-à-tout qui perçoit la mode d’abord comme un spectacle total. Tant et si bien qu’en 2008, après avoir aussi collaboré avec la marque de mode de masse TopShop, il fonde son propre label, JW Anderson, qui lui attire un public enthousiaste lors de son premier défilé à la semaine de la mode londonienne. L’attraction que ses créations, du punk à l’épuré et au transgressif, exercent sur les modeuses de sa génération, le place sur les radars des ténors de l’industrie. C’est finalement LVMH qui le happe en 2013 pour lui confier la création de Loewe. La marque espagnole fondée en 1846 par un maroquinier allemand, adoubé en 1905 fournisseur de la maison royale par Alfonso XIII, traverse le 20e siècle avec une grâce discrète, soutenue par la clientèle madrilène. La marque est essentiellement portée par ses parfums à succès et son sac déstructuré en nappa, lancé en 1997. Un an plus tôt, son 150e anniversaire coïncide avec son rachat par LVMH qui y opère une lente et profonde rénovation avant d’en confier les rênes à Jonathan Anderson en 2013.
Le jeune créateur, yeux bleus et dégaine d’adolescent timide, va y aller au-delà du coup de plumeau attendu. Lui qui affirme ne savoir ni coudre ni dessiner chahute à la marque vénérable jusqu’à en faire l’une des plus démentes d’une industrie éternellement blasée. Tout en développant sa propre identité sous le label JW Anderson, il diffuse sous Loewe des lignes de sacs et de bijoux en forme de petits animaux, notamment chats et chauves-souris qui font baver de désir dès leur sortie. Il flanque des talons aiguilles à une très sage collection de mocassins. Il conçoit des sacs en 3D déjà pliés là où la vie et l’usage les plient en général. Le plus étrange est que presque tout s’appuie sur les archives de la maison, sauf peut-être la chauve-souris déclinée en cuir sur le modèle d’un bronze acheté dans une brocante à Pékin. Anderson va surtout superviser le Craft Prize de la fondation Loewe, un prix adressé aux artisans des métiers rares et en voie de disparition. Onze ans plus tard, il rend à LVMH les clés d’une maison dont on n’entendait jusque-là que le ronronnement confortable et qu’il a réussi à faire feuler. La suite s’annonce tout aussi passionnante.