
Envisager de moderniser les procédures administratives notamment avec l’adoption de l’e-administration pour alléger les charges du citoyen. Photo Hassan Assal
Avec 91 fonctionnaires de première catégorie dans l’administration centrale, 69 établissements publics et 44 comités, commissions et autres, l’appareil institutionnel libanais représente un défi permanent pour les politiques qui ne cessent, avec les citoyens, d’exiger des réformes que nous proposons, après une étude détaillée de toutes ces institutions, loin des slogans publics et des galimatias audiovisuels.
Et pour commencer, relevons deux tentatives marquantes de réformes depuis les années 1950.
La première en 1959 avec la promulgation par le président Fouad Chehab de 160 décrets législatifs réorganisant l’appareil institutionnel.
Tout en reconnaissant la qualité de ce mouvement de réforme et la politique de développement qui l’a accompagné, caractérisé progressivement par la création d’institutions majeures (Banque du Liban, Caisse nationale de Sécurité sociale, Conseil de la fonction publique, Inspection centrale…) en plus des projets de développement et d’équipement, il était devenu clair, après un certain temps, pour le président Chehab que la réforme politique représentait le premier pilier de la réforme institutionnelle. L’annonce de son renoncement à se présenter à la présidence de la République, le 4 août 1970, comportait une position ferme sur la réforme politique et ses implications pour l’ensemble de la structure institutionnelle nationale.
Certes, la communauté politique de l’époque n’était pas consciente – l’a-t-elle jamais été ? – des dangers imminents. Et le Liban est entré progressivement dans la guerre avec ses calamités, ses destructions, les déplacements de population et les occupations ou la présence d’armées étrangères sous des appellations diverses.
Pour sortir de cette phase tragique et suite aux interventions régionales et internationales, la réunion parlementaire de Taëf, en Arabie saoudite, le 23/10/1989, a approuvé le Document d’entente nationale, ratifié par la Chambre des députés dans sa session tenue à Kleiat le 5/11/1989, lequel document a présenté des propositions relatives aux réformes politiques, la décentralisation administrative, la justice, l’éducation, les médias et la nouvelle loi électorale.
C’est dans cet esprit que le Conseil des ministres a constitué le 28/11/1991 la Haute Autorité de coordination administrative qui a élaboré un document de réforme administrative approuvé par plusieurs décisions du Conseil des ministres et sur la base desquelles des nominations administratives ont été effectuées dans les administrations et les établissements publics en janvier 1993.
Mais, s’il y a lieu de considérer la réforme politique pour le succès de la réforme institutionnelle, l’État ne saurait toutefois attendre pour assurer les services requis aux citoyens, et donc des décisions doivent être prises à cet effet. Cependant, cette réforme institutionnelle – qui est un processus continu – avec la lutte contre le gaspillage et la corruption ne doivent pas être considérées par le biais de mesures purement individuelles, mais bien plutôt par le biais d’une vision globale et coordonnée visant à des ajustements institutionnels en fonction des développements et des besoins.
En approchant la réalité de cette structure institutionnelle et avant de proposer les stations de réforme simultanément nécessaires et appropriées, il y a lieu de souligner ce qui suit :
- Aborder la réforme institutionnelle sur la base de l’identification des missions des ministères, des établissements publics, des comités et des organes, et non sur la base du cadre, du nombre et du statut (cadré, contractuel, intérimaire...) des fonctionnaires, car la structure institutionnelle est là pour servir le Liban, développer et renforcer ses capacités, affronter les défis et bâtir ses amitiés régionales et internationales.
- Éviter que toute institution n’assume simultanément des fonctions de planification, d’exécution et de contrôle. Le mélange de ces fonctions en une seule institution tel le Conseil pour le développement et la reconstruction est préjudiciable sur le plan institutionnel au niveau des services et des projets.
- Abolir dans les établissements publics la fusion de l’autorité de décision (représentée par le président du conseil d’administration) et l’autorité d’exécution (représentée par le directeur général). S’il est vrai que l’article 8 de la loi promulguée par le décret 4517 du 13/12/1972 (Règlement général des établissements publics) a bien prévu la possibilité de cette fusion, le gouvernement n’y a jamais recouru si ce n’est avec la fin des années 1990. En effet, la fusion de ces fonctions en une seule personne conduit inévitablement à l’échec de toute réforme. Et il est évident que le résultat de cette fusion n’est guère positif rien qu’en citant les cas d’Électricité du Liban, les établissements publics d’exploitation des eaux et le reste.
Cela dit et au vu de la détérioration actuelle de la société libanaise et, tout en présentant les stations des réformes nécessaires, il y a lieu de viser en priorité au redressement financier, social et de l’équipement de l’électricité sans oublier, bien sûr, les domaines sociaux, économiques, éducatifs et surtout culturels.
Sur le plan financier, avec l’effondrement du système bancaire et de la monnaie nationale, rebâtir un véritable système bancaire et non de moyens et petits comptoirs – qui serait digne de confiance en introduisant des partenaires étrangers techniquement et moralement fiables.
Sur le plan social, adopter des mesures de redressement efficaces dans le domaine de la protection sociale et de la santé par le biais des institutions existantes (Caisse nationale de Sécurité sociale et Mutuelle des fonctionnaires) et instituer une coopération avec les sociétés d’assurances. Il s’agit d’une priorité car le citoyen libanais n’est plus couvert aujourd’hui par un système de protection sociale financièrement approprié.
Quant à l’équipement, et bien que tout ce qui est lié à ce secteur devrait être abordé (routes, réseaux d’eau, télécommunications, etc.), adopter en priorité une politique d’équipement de l’électricité pour résoudre définitivement les problèmes de ce secteur – d’autant plus que la crise de l’électricité a commencé au Liban en 1973 avec les premières coupures de courant – et qu’elle n’a pas été traitée jusqu’à aujourd’hui avec le sérieux, la transparence et l’efficacité nécessaires.
Sur la base de ce qui précède, la réforme institutionnelle nécessite plusieurs stations pratiques qui peuvent être présentées à titre indicatif selon trois temps.
Dans l’immédiat
- Dans la magistrature : décider des nominations aux postes vacants ; promulguer les permutations judiciaires conformément aux dispositions légales en vigueur ; adopter diverses mesures pour activer le pouvoir judiciaire et rassurer le citoyen dont : a) informer l’Inspection judiciaire par chaque tribunal de la date fixée pour le prononcé du jugement avec obligation de justifier le non-prononcé en temps dû ; b) exiger des parquets toute disponibilité pour répondre à tout moment aux appels des commissariats et des agences de sécurité après un incident, un interrogatoire ou toute autre procédure ou démarche, jour et nuit, comme c’était le cas dans les années 1960 lorsque le parquet militaire était prêt jour et nuit à tout moment à recevoir les appels des services de sécurité, et ne pas limiter ces appels à des heures précises pour ne pas gêner le magistrat ; c) revoir l’état de l’Inspection judiciaire en ce qui concerne sa formation de manière effective et équilibrée et son aptitude à s’acquitter des tâches qui lui sont assignées.
- Dans l’administration publique : pourvoir aux postes vacants – surtout d’abord de première catégorie – pour permettre aux directeurs généraux d’exercer leurs fonctions, car le fait de remplir ces postes par intérim, délégation ou affectation affaiblit la position du directeur général dans l’exercice de ses fonctions, n’étant pas fixé sur son statut ; former les conseils d’administration des établissements publics afin de les activer, tout en renonçant à la fusion du poste de président du conseil d’administration et de directeur général en une seule personne, en raison de la perte des équilibres administratifs, car il est inapproprié et non souhaitable, sur le plan institutionnel, de fusionner l’autorité de décision et l’autorité d’exécution en une seule personne ; remédier au déséquilibre entre les nombreuses tâches légalement assignées à chaque ministère et le cadre humain existant, inadéquat ou numériquement insuffisant ; dresser un inventaire détaillé de la structure administrative actuelle au niveau des directions générales pour une meilleure performance ; établir les règles pour éviter l’enchevêtrement des responsabilités d’interdépendance entre les administrations publiques afin d’activer le travail et d’empêcher les directeurs généraux d’y recourir pour ne pas s’acquitter de leurs tâches ; placer les responsables des organes d’inspection et de contrôle, notamment le Conseil de la fonction publique et l’Inspection centrale, au cœur de la mission de réforme institutionnelle, car ils sont la clé de la réussite de ce processus.
À court terme
- Demander à tous les ministères, aux établissements publics, aux comités, commissions et municipalités de présenter tous les six mois des rapports relatifs à leurs activités.
- Promulguer la loi sur l’indépendance du pouvoir judiciaire, objet de débats continus depuis des années dans les commissions parlementaires, en tenant compte de la nécessité d’adapter ses dispositions aux réalités sociologiques et pratiques de l’institution judiciaire libanaise – en particulier en ce qui concerne la rationalisation des dispositions relatives à l’élection des membres du Conseil supérieur de la magistrature par des juges de différents rangs afin d’éviter que les juges ne soient soumis à des ingérences, vu que les élections ne sont pas exemptes d’ingérences politiques au Liban.
- Maintenir une volonté permanente de modernisation des procédures administratives pour s’adapter aux évolutions modernes afin de faciliter les démarches des citoyens – notamment avec l’adoption de l’e-administration pour alléger les charges du citoyen.
À court et moyen terme
- Sur base des rapports présentés, les décisions devront être prises quant aux ministères, établissements publics, organes et comités : (a) à supprimer ; (b) à moderniser et à reconstituer ; (c) à créer ;
(d) à rattacher au concept de secteur privé ou, du moins, pour lesquels un système opérationnel distinct devrait être adopté.
- Promulguer des lois et des décrets de réorganisation de l’administration publique avec une définition des tâches et des responsabilités, la création de services de relations publiques...
- Créer une caisse de retraite indépendante pour les fonctionnaires conformément au projet de loi adressé par le Conseil de la fonction publique dans sa correspondance du 8 février 1999 à la présidence du Conseil des ministres et au ministère des Finances.
- Prendre la décision appropriée au sujet de la privatisation des secteurs privatisables – à condition que l’État supervise, par des lois spécifiques, la continuité et la qualité de la performance du service privatisé.
- Diffuser et populariser la culture de l’acquisition des technologies modernes pour faciliter l’activité de l’administration et l’interaction des citoyens avec elle.
Tout cela dit, reste à répondre à l’interrogation cruciale. Des réformes ? Oui. Sans réformateurs ? Non.
Avocat et sociologue, ancien président du conseil d’administration de la
Sécurité sociale puis des Archives nationales
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