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Lifestyle - La mode

La créatrice libanaise Lara Khoury livre une collection-braises et boucle sa boucle

Cheveux courts et robes longues, Lara Khoury est une des pionnières de la mode lente à Beyrouth. De son atelier à Gemmayzé sortaient des créations faites pour être soi. Elle revient à son art après l’apocalypse.

La créatrice libanaise Lara Khoury livre une collection-braises et boucle sa boucle

Lara Khoury, une passion pour la mode et pour la nature. Photo Anthony Saroufim

En robe de lin ocre, fluide et resserrée en cascade de plis smoking sur le devant, elle avance, creusant dans les vagues de sable l’empreinte de ses pieds nus. Prêtresse ou pharaonne, Lara Khoury n’est plus à la recherche de son pays intérieur. Elle l’a trouvé et, dans la foulée, elle a aussi trouvé le grand amour, confie-t-elle. Alors, cheveux ras, paupières fermées, elle sourit au soleil du désert égyptien et tout à coup la nature l’assimile ou inversement. Elle fait partie des éléments, elle est la lumière, la chaleur, la mer, le grain de sable. Longtemps qu’elle n’avait eu ce sentiment de plénitude, elle qui était partie du Liban par désespoir, au lendemain de la destruction de son atelier de Gemmayzé, le 4 août 2020, dans la double explosion au port. Sans structure, sans électricité, sans la communauté désormais dispersée, l’amitié, la fraternité qui la portaient il n’y avait plus grand-chose à faire pour elle, à Beyrouth. Mais alors où aller ? Originaire de la ville côtière de Batroun qui a mêlé la mer à son sang, celle qui se définit comme une «créatrice expérimentale multidisciplinaire» et qui est surtout une pionnière de la slow-fashion à Beyrouth, se heurte à la fin d’un chapitre. Sa marque éponyme fondée en 2010 était parvenue à un certain apogée. En dix ans, elle n’avait presque pas pris de vacances, sinon pour aller plonger de temps en temps à Charm el-Cheikh. Sans cela, elle n’aurait jamais vu l’été, saison de travail intense dans les ateliers de couture.


Lara Khoury en Lara Khoury. Photo Christine Salib


Des poissons de la mer Rouge aux amitiés cairotes

Elle se donne une année. Une année pour se retrouver, trouver surtout un pays où elle se sente chez elle. Elle en inscrit sept sur une liste. La première destination qui lui vient à l’esprit, est la plus familière : l’Égypte. Posant ses bagages à el-Gouna, elle s’aperçoit que son Égypte est idéalisée, elle qui n’avait jusque-là fréquenté, en matière d’Égyptiens, que les poissons de la mer Rouge ! Elle ne baisse pas les bras pour autant, parcourt le pays, rencontre des amis et, à dix jours de son départ, tombe nez à nez avec le destin en croisant Omar, l’homme de sa vie ! Prolongeant son séjour, c’est avec lui qu’elle se rend au Caire, se perd dans les venelles. Il lui fait découvrir les gemmes de la mégapole, l’entraîne à Abdel Wahab, à Dokki « rempli d’histoire, avec ses grands arbres qui racontent le passé », dit-elle. Omar la pousse dans une de ces maisons patriciennes où il lui présente Sylva, une créatrice libano-arménienne, fondatrice de la marque Nagada, célèbre pour ses gallabiyas. Apprenant que Lara se remet de l’explosion du 4 août, et alors que la pandémie de Covid-19 a paralysé le marché, Sylva offre à Lara de disposer de son atelier et de ses artisans. « Elle me comprend, elle comprend ma sensibilité de mode, ma sensibilité de pays, elle m’ouvre ses portes », s’émeut la Libanaise. Toutes deux sont diplômées d’Esmod Paris, ce qui contribue à créer entre elles une connexion supplémentaire. Mais il est temps pour Lara Khoury de repartir. Elle se sent appelée par un certain devoir, celui de soutenir les siens dans les crises et catastrophes en série qu’ils subissent, ce qu’elle fait à son retour à Beyrouth en créant des kits de « survie-couture », comprenant des patrons et des modes d’emploi.

Le courage d’être soi

« Je suis, en tant que femme, libre d’être qui je veux, avoir les cheveux ras ça me chante. Et en tant qu’être humain, je me définis par mes valeurs et mon éthique. Le plus important aujourd’hui, pour n’importe quel être humain, est d’avoir le courage d’être lui-même. Les épreuves nous transforment. L’Égypte, sur une courte période, m’a permis de comprendre les avantages que nous offre le Liban. Peu de cultures sont comparables à la nôtre… J’aime mon pays de plus en plus, à force de devoir le quitter », confie la créatrice. Mais ce retour ne signifie pas que l’aventure s’arrête. Revenue à el-Gouna, son élan est à nouveau coupé en septembre dernier par l’accélération de la guerre entre Israël et le Hezbollah. Elle prend alors le bus pour se rendre au Caire. Cinq heures de route en direction de… Sylva qu’elle a appelée au téléphone : Tu te souviens de moi ? – Viens, lui avait-elle répondu.


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La passion de la nature

Et c’est ainsi qu’irriguée d’amitié et de générosité, la petite collection Embers of power (Braises de puissance). À ces braises qui brésillent en elle il lui aura suffi d’insuffler la passion qui l’habite, celle de la nature qu’elle souffre de voir contrariée, et de la liberté à laquelle elle veut toujours frayer un chemin malgré les contraintes. « La seule manière de survivre est de garder les pieds sur terre, rester terre à terre, ne jamais aller contre la nature », prône celle qui finit par livrer des pièces à la fois simples et d’une surprenante sophistication, entre bords francs et effilochés et plissages complexes, fluidité et resserrages. La palette se décline de la cannelle à l’ocre à mille nuances de beige. Elle qui se spécialisait plutôt dans les tenues de soirée se dédie aux vêtements qui se vivent au quotidien, à toute heure de la journée. La prochaine aventure de Lara Khoury s’est tracée d’elle-même, à la faveur de l’amitié. Ce sera Dubaï, avec l’aide d’Ayman Fakoussa, rencontré lors d’un séjour de yoga à el-Gouna où, dans la plénitude des moments vécus, peu importait de savoir qui était qui. Mais Ayman n’est autre que le fondateur de The Qode, l’une des principales agences de luxe de l’émirat.

De plus en plus persuadée que le hasard n’existe pas, Lara Khoury se consacre pour l’heure à la confection d’une robe de mariée, la sienne, qu’elle portera dans quelques mois comme une révérence à la vie, comme on remercie pour les bas et les hauts et le vertige entre les deux.

En robe de lin ocre, fluide et resserrée en cascade de plis smoking sur le devant, elle avance, creusant dans les vagues de sable l’empreinte de ses pieds nus. Prêtresse ou pharaonne, Lara Khoury n’est plus à la recherche de son pays intérieur. Elle l’a trouvé et, dans la foulée, elle a aussi trouvé le grand amour, confie-t-elle. Alors, cheveux ras, paupières fermées, elle sourit...
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