
Nous connaissons le physicien Étienne Klein pour sa présence soutenue dans les médias, en vulgarisateur des sciences, racontant avec pédagogie les arcanes (pour le moins déstabilisantes) de la physique quantique. Son attrait pour l’œuvre et le discours du plus célèbre d’entre ses confrères, Albert Einstein, n’est pas un secret.
Et voilà qu’Étienne Klein, en bon raconteur, se prend d’une idée fixe : si Einstein lui rendait visite, comment lui exposerait-il l’évolution des sciences depuis sa mort en 1955 ? Pour ce faire, il imagine rien de moins qu’une rencontre, en rêves, entre eux deux, et une visite guidée du monde contemporain. Prenant Einstein par la main, il lui révèle ce qui, dans les théories du premier, a été confirmé ou précisé, l’héritage qu’il a laissé, mais aussi les nouvelles pistes d’exploration et les nouveaux domaines de réflexion qu’il n’aura pas eu le temps de considérer.
Étienne Klein a choisi de raconter cette rencontre fantasmée en bande dessinée et s’est adjoint les services d’un coscénariste, Laurent-Frédéric Bollée, et d’un dessinateur de haute volée : Christian Durieux, dont le trait est d’une grande lisibilité (une sorte de « ligne claire » réaliste), et chargé affectivement. Le résultat est L’Éternité béante, publié aux éditions Futuropolis. On se souvient de sa série Les Gens honnêtes, à hauteur d’homme, ou de son album de Spirou, Pacific Palace, qui menait avec délicatesse le célèbre groom sur le terrain de la romance. Un dessin idéal, donc, pour mêler la nécessaire clarté des échanges (pour le moins techniques) entre Einstein et Klein, tout en appuyant la charge émotionnelle qui sert de support à ces dialogues.
Le tour de passe-passe de Christian Durieux est également de savoir mettre en image des concepts complexes, sans sombrer dans les schémas ennuyeux. Jonglant entre l’onirisme, le réalisme, le symbolisme ou la reconstitution historique, la mise en scène accompagne le lecteur dans une balade jalonnée de surprises visuelles.
Bien sûr, chacun des sujets (l’écoulement du temps, l’espace, les origines de l’univers, son expansion…) est rapidement abordé, mais avec assez de pédagogie pour attiser notre curiosité, et assez de pistes pour se renseigner plus en avant ensuite.
Tous ces sujets font à la fois tourner la tête et ramener à l’essentiel. Mais ce qui ressort particulièrement de cet album, c’est l’idée de transmission entre générations de scientifiques, et du chemin que fait une découverte à travers les siècles, portée par des hommes qu’elle a bouleversés, et qui, prenant le relai, la mènent plus loin à leur tour. Il ne faut pas négliger, dans le domaine des sciences, l’importance de l’affect : chaque idée est un bouleversement de la perception, et en ce sens, elle peut marquer un être humain dans le plus profond de lui-même, au-delà de l’exercice théorique. L’affection que ressent Étienne Klein envers Einstein est à comprendre de cette manière : il sait combien les découvertes d’Einstein l’ont changé, en tant qu’homme, en changeant ses perceptions sur le monde.
L’Éternité béante d’Étienne Klein, Laurent-Frédéric Bollée et Christian Durieux, Futuropolis, 2024, 160 p.