Portraits Portrait

Nada Moghaizel-Nasr : une histoire de transmission ou la géométrie d’une élégance maîtrisée

Nada Moghaizel-Nasr : une histoire de transmission ou la géométrie d’une élégance maîtrisée

Miró aurait pu lui dédier sa toile abstraite Étoile bleue et Yves Saint-Laurent créer sa robe Mondrian pour elle.

C’est que tout en elle est graphique : de sa coupe de cheveux courte et lisse à ses bijoux minimalistes dessinés en ligne droite, sans courbes ni sinuosités, en passant par ses ongles au carré, jusqu’à ses vestes structurées en noir et blanc, illuminées de rares touches de carmin, comme une concession à la couleur dans un monde monochrome.

Si pour Gabrielle Chanel « la mode, c’est ce qui se démode », alors que « le style, jamais », cette boutade – fondée – ne saurait trouver de meilleure incarnation que Nada Moghaizel qui a réussi le pari d’une allure contemporaine ultra-moderne, sans jamais suivre les tendances de la mode. C’est que ce qu’elle revêt, comme ce qu’elle écrit, comme ses tableaux favoris, ses poèmes ou ses livres de chevet se ressemblent et lui ressemblent. Chanel elle-même n’aurait pas trouvé de meilleure définition du style…

Ce style qui n’appartient qu’à elle se retrouve aussi dans les inflexions particulières de sa voix, lors de ses interventions orales. Posée, maîtrisée, avec une diction parfaite, la voix est chaude, comme si elle s’adressait à vous seul, en tête à tête. Jamais aiguë ou criarde, elle est le contraire de celle d’un tribun : elle ne cherche ni à vous enflammer, ni à vous emporter, mais à vous séduire par sa seule justesse. Et y réussit toujours.

Si la géométrie est la discipline qui étudie les figures dans l’espace, on peut dire de Nada Moghaizel, notre Annie Duperey à nous, la longue dame brune de l’éducation – comme Barbara était la longue dame brune de la chanson – qu’elle possède la maîtrise de l’espace dans ses trois dimensions : l’espace esthétique, l’espace éthique et l’espace intellectuel.

Sur l’espace esthétique de l’apparent, la maîtrise de soi est telle que même ceux qui la connaissent depuis longtemps n’ont jamais pu capter en Nada un seul instant de laisser-aller ou de relâche de quelque sorte que ce soit. Inhumaine ? Beaucoup trop humaine, justement. D’une sensibilité telle que l’ébauche d’un mot, l’esquisse d’un geste pourraient, en l’effleurant, la blesser. Alors, la guerrière n’a d’autre choix que de se cuirasser dans son armure de rigueur (au double sens du terme), se protégeant des coups du sort que les Moires, divinités grecques du Destin, pourraient lui asséner, apprenant à « être imperméable aux choses, aux gens et aux situations toxiques, tout en restant sensible à tout ».

L’apparente rigueur de notre héroïne n’est, en réalité, qu’une forme raffinée de politesse, mais aussi, une leçon d’élégance apprise de son âme-sœur, sa « boussole », comme elle l’appelle joliment, sa maman, Laure Moghaizel : « Si un jour nous sommes malheureux, nous tâcherons d’être élégants », lui recommandait-elle. Une leçon de (sur)vie que la jeune Nada, conquise, n’a jamais oubliée…

Élevée dans cette exigence, mais aussi choyée et entourée d’affection, elle observe, émerveillée, le couple formé par ses parents, Joseph et Laure Moghaizel, deux juristes épris de droits de l’homme, luttant, au sein du Parti Démocrate fondé par son père, pour un Liban laïc et réformé. Nulle trace de rébellion ou de crise chez l’adolescente puisque ses parents, « les Badinter du Liban » comme on les dénommait, combattent justement un système politique traditionnel et que sa maman milite très tôt pour les droits de la femme. Se rebelle-t-on contre des parents rebelles ?

Elle consacrera d’ailleurs à ce duo mythique un essai lumineux, simplement intitulé Joseph et Laure, une autre forme de nom composé, dira-t-elle. Dans celui-ci, avec son écriture inimitable, ramassée à l’extrême, faite de mots dont la brièveté souligne la force, elle retrace un parcours dans lequel la vie personnelle du couple est inextricablement liée au destin national.

Au-delà du récit du combat de ses parents pour un autre Liban, cet ouvrage est d’abord l’histoire d’un grand amour vécu avec grâce et poésie par ceux « qui auront dix-sept ans leur vie durant », guidés par l’intelligence du cœur de Joseph et la symbolique du geste et du mot de Laure dont le féminisme n’a jamais entravé la féminité.

Aimer et savoir aimer, c’est là le legs de ce couple à la fois réel et rêvé dont Nada est à la fois le témoin, le chroniqueur et le dépositaire.

Chez l’héritière de tant de belles Images écrites, le souci de maîtrise de l’apparence est le reflet d’un autre souci plus exigeant encore : celui de préserver, au-delà du laisser-faire ambiant et de la culture de la facilité prévalant dans le pays, une dimension éthique de la vie.

En effet, titulaire d’un doctorat en Sciences de l’éducation de l’Université René Descartes Paris V, doyen de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Saint-Joseph, puis doyen honoraire et déléguée du Recteur, membre de la Commission internationale de l’Unesco pour l’enseignement et de nombreux autres organismes éducatifs internationaux, expert auprès de l’Agence universitaire de la Francophonie et d’agences renommées d’accréditation pour l’enseignement supérieur, Nada Moghaizel applique à tous ses champs d’activités la même exigence de perfection du travail et d’éthique.

C’est ainsi que tous les jours de la semaine, tôt le matin, au moment où sa voiture s’engage dans le parking de l’université, elle coupe son portable, ne s’autorisant à répondre à aucune communication personnelle, afin de consacrer tout son temps à son engagement professionnel ! On se prend à rêver de ce qu’aurait pu devenir le Liban si une partie infime seulement de ses cadres se comportait, même occasionnellement, comme elle…

Sur la dimension intellectuelle du personnage et à côté de ses nombreux écrits pédagogiques dénotant un intérêt particulier pour les neurosciences et l’intelligence artificielle, c’est, plus largement, dans son écriture que l’on pourrait qualifier de littérature poétique ou de poésie littéraire, que se déploie l’originalité de son approche.

C’est qu’elle a été nourrie de poésie par Laure, qui aimait Rilke, « Tu viens à moi dans toute chose belle » et surtout Aragon, « Toujours si je te vois je tremble », « Qu’il fait jour à midi, qu’un ciel peut être bleu » et « le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard »…

Il a été dit que, dans ses livres, Nada Moghaizel « prend le lecteur par la main ». Cette dimension de guide bienveillant est tout à fait dans sa nature. Car la rigueur – qui n’est pas rigidité – appliquée à elle-même se transforme en bienveillance à l’égard des autres : elle n’est jamais dans la condamnation ou les jugements catégoriques, du fait de son intelligence des êtres et de l’importance, comme disait Laure « de se garder du péché mortel de petitesse ».

Les ouvrages de Nada, plusieurs fois réédités, d’Images écrites à D’autres images écrites, jusqu’à sa dernière parution Écrits dans la marge, ne sont pas de ceux que l’on lit une fois avant de les ranger pieusement dans la bibliothèque. Ce sont des livres de chevet, ils accourent à votre chevet, comme une douce infirmière, les soirs de froid ou de spleen. Par petites touches, à travers des tranches de vie, des réminiscences ou des observations poétiques, ils dessinent vos vies, vous font réfléchir, comprendre, sourire ou verser une larme.

C’est que finalement, tout est dans le regard. Celui de Nada voit au-delà de la réalité ce que d’autres ne voient pas, ce qu’ils ne verront jamais. Il se réapproprie le réel et le transforme, par la magie des mots, en « contes humoristiques de l’absurde ordinaire » – l’écrivain ayant aussi beaucoup d’humour – ou en partitions d’une poésie onirique du quotidien.

Au-delà des qualités esthétiques, éthiques et intellectuelles de notre héroïne, de son style propre, identifié et identifiable, décliné harmonieusement dans tous ses gestes, le plus important reste encore à dire : heureux ceux qui peuvent compter Nada parmi leurs ami(e)s !

Car elle sera là, toujours là. Dans les rires, la joie et le soleil, comme dans les nuits de grand malheur, le jour de votre mariage et celui de votre deuil infini. Discrète, fine, ne se trompant jamais de moment, ayant « les mots pour le dire » et possédant aussi l’art subtil de dire sans dire. Adepte de « la bonne distance, une façon d’être proche en ne se trompant pas de place », elle se tient légèrement en arrière-plan, mais dans la lumière, comme une ombre lumineuse, une fée bienfaisante…

Rien d’étonnant, Nada n’est-elle pas une tisseuse de liens, des fils invisibles de la vie et des rencontres ? C’est ce que nous révèle son nom, « Moghaizel » étant le mot arabe signifiant « le tisseur de fils ténus ». Un nom sur mesure auquel elle fait assurément honneur.

Plus émouvant encore, Nada se fera le conteur, le chroniqueur et l’historien de votre vie : avec une finesse d’observation remarquable, elle vous dessinera, faisant le lien entre votre enfance, votre présent et vos rêves d’avenir, donnant à vos multiples moi(s) cohérence et harmonie, faisant, en somme, votre synthèse. Sous ce regard attentif et aimant, vous vous épanouirez et vous surpasserez, devenant la plus belle version de vous-même. Y a-t-il une meilleure définition de l’amitié ?

J’ai déjà mentionné que Nada Moghaizel était mon amie ?

Miró aurait pu lui dédier sa toile abstraite Étoile bleue et Yves Saint-Laurent créer sa robe Mondrian pour elle.C’est que tout en elle est graphique : de sa coupe de cheveux courte et lisse à ses bijoux minimalistes dessinés en ligne droite, sans courbes ni sinuosités, en passant par ses ongles au carré, jusqu’à ses vestes structurées en noir et blanc, illuminées de rares...
commentaires (2)

Quel beau portrait. Et quelle belle écriture, Nada! Inspirée et inspirante

May Parent du Chatelet

22 h 29, le 06 mars 2025

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Quel beau portrait. Et quelle belle écriture, Nada! Inspirée et inspirante

    May Parent du Chatelet

    22 h 29, le 06 mars 2025

  • Un si beau portrait d’une personne exceptionnelle, écrit avec élégance et sentiment par une plume fine et poétique d’une non moins exceptionnelle signature

    Berti Zein Alia / ZEIN LAW FIRM

    13 h 08, le 06 mars 2025

Retour en haut